Les intrigues – Partie 2 – Une typologie des conflits

Publié le jeudi 20 mars 2014 dans Articles,Slide

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Lisez la première partie : http://www.electro-gn.com/7125-les-intrigues-partie-1-les-situations-dramatiques

Les intrigues de GN : Entre jeu et récit

Partie 2 – Une typologie des conflits

Une typologie des conflits[1]

Ce sont les conflits qui donnent de la texture aux histoires  que vous souhaitez mettre en place. Les bonnes histoires articulent un certain nombre de conflits[2]. Je me contenterai d’évoquer 5 grands types de conflits :

–          Conflits relationnels :

Le personnage est en conflit avec une autre personne. Luke Skywalker et Dark Vador, Harry Potter et Voldemort, l’opposition entre deux personnages est au cœur de nombreuses fictions.

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Ces conflits sont largement utilisés en GN. Rien de plus simple, en effet, que de trouver un antagoniste à un joueur en la personne…d’un autre joueur. Les intrigues bâties autour de ce type de conflits demandent assez d’énergie et auront du mal à exister dans la durée si vous ne misez que sur du roleplay. Feindre l’inimitié ou la haine envers quelqu’un durant un week end est difficile. Il peut alors être tentant d’arrondir les angles en cherchant la réconciliation, ou bien de se détourner du conflit pour se concentrer sur autre chose.

C’est pourquoi il faut que ces conflits reposent sur autre chose qu’un roleplay qui finira vite par s’épuiser. En clair, il ne suffit pas de postuler des personnages en conflit : il faut rendre ce conflit vivant pour les joueurs, et le faire passer par des objectifs concrets.

Prenez deux joueurs dont les personnages, deux aristocrates aigris, forment un couple en crise. Ne demander pas simplement aux joueurs de se détester. Permettez les de réaliser des objectifs concrets pour donner vie à ce conflit. Le mari peut par exemple avoir pour objectif de payer une femme de chambre pour que celle-ci mette un produit irritant dans le corset de sa femme.

–          Conflits sociaux

Le personnage est en conflit avec un groupe (famille, administration, etc.). A distinguer du conflit avec un représentant particulier de ce groupe, qui peut être de l’ordre du conflit relationnel. Dans Autant en emporte le vent, c’est bien la guerre et la présence des yankees qui contrarie les projets de Rose. Dans S.O.S fantômes, c’est la municipalité de New York qui cherche faire fermer l’entreprise de chasseur de fantôme de Peter Venkman.

Assez courantes en GN, ces intrigues découlent directement du contexte de jeu : elfes contre nains, surveillants de prison contre détenus, etc. Ces lignes de force permettent de généraliser le conflit à des groupes entiers. Rappelons-nous cependant qu’il ne suffit pas de postuler des tensions pour les rendre vivantes. L’organisateur veillera :

– A individualiser ces conflits : un nain détestera d’autant plus les elfes que, dans son histoire personnelle, l’un des elfes présents l’a humilié publiquement.

– A prévoir des règles et des évènementiels susceptibles de dynamiser ces conflits : le conflit entre détenus et gardiens sera d’autant plus vif qu’est prévue la désignation, parmi les détenus, de responsables de couloir, qui seront certainement perçus comme des vendus par leurs compagnons de cellule.

– A fixer des objectifs concrets aux groupes concernés, dont les membres cherchent à résoudre le conflit d’une façon ou d’une autre.

 

–          Conflits situationnels

Le personnage est en conflit avec une situation globale. Ce peut être une guerre comme dans Platoon, ou bien une catastrophe, comme dans la Tour infernale. Ces situations sont intéressantes en soi, mais elles ne gagnent en force que si elles sont exploitées au travers de conflits relationnels. C’est bien le cas dans Platoon où deux officiers s’opposent sur des questions morales. C’est bien le cas, également, dans la Tour infernale, où les personnages se querellent en permanence sur les moyens d’échapper à l’incendie qui ravage l’immeuble.

De nombreux GN reposent sur une situation globale difficile (famine, institution totalitaire, guerre, etc.). Cette situation doit devenir une véritable matrice de jeu, et générer ou compliquer les intrigues des personnages. Aucun personnage ne doit pouvoir en faire abstraction.  Si la menace est trop abstraite ou pas assez forte, le joueur va s’en désintéresser complètement et son jeu va s’affadir.

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Mettons que votre GN se déroule dans un village alpin, au XVIIIe siècle. Plusieurs familles de loups infestent la région, et font peser une menace sur le village.

L’un de vos personnages est un jeune fermier qui a perdu des bêtes, et qui désire mener des battues avec des groupes d’homme du village. Un second personnage, notable, entend bien profiter de la situation pour déstabiliser le chef du village et prendre sa place. Ce sont deux exemples d’intrigues générées par la situation (dont une axée sur un conflit relationnel).

Un troisième personnage, qui braconne, doit aller relever ses pièges de nuit, pour ne pas éveiller l’attention. Bien entendu, la présence des loups rend cette expédition solitaire bien périlleuse. C’est un exemple d’intrigue compliquée par la situation.

–          Conflits internes :

Le personnage doute. De lui-même, de ses actes, de ses sentiments ou de son désir.

Rares sont les joueurs capables de jouer seul tout en y trouvant leur compte. Ces conflits n’ont de valeur en GN que si ces doutes se manifestent.

Le GN ne permet pas, contrairement  à un roman ou un film avec voix off, de lire l’intériorité d’un personnage. L’organisateur veillera :

– A donner au joueur de vraies occasions d’extérioriser ses doutes. Pourquoi pas en faisant d’un autre personnage son confident, qui l’écoutera et lui donnera la réplique.

– A mettre en relief ce conflit interne en le croisant avec d’autres types de conflits

Sans cela, le potentiel de tels conflits va vite s’épuiser, le joueur pouvant même être tenté d’en faire carrément abstraction.

–          Conflits cosmiques

Le personnage est en conflit avec une force supérieure. Dieu, la fatalité, etc. Le conflit est de nature existentielle, même s’il peut prendre le masque d’un autre type de conflit (par exemple un conflit relationnel ou situationnel). C’est par exemple le cas dans Seul au monde, où le personnage de Tom Hanks, seul sur une île déserte, lutte moins contre la faim que contre la fatalité et l’absurde.

Ce que nous avons dit des conflits internes vaut également pour les conflits cosmiques. A moins que ces conflits ne s’extériorisent et ne s’impriment sur des relations humaines bien définies par les organisateurs, on reste dans quelque chose de trop intime pour pouvoir tenir sur la durée.

Si le joueur ne peut pas mettre en scène ses états d’âme, sa tension intérieure, ses conflits internes… autant ne pas écrire ce type d’intrigues ! Les organisateurs devraient toujours accorder autant d’importance à ces intrigues qu’aux intrigues s’appuyant sur des éléments plus « concrets » afin de les rendre intéressantes et opérationnelles. Là encore, il peut être bon de superposer ces problématiques à d’autres types de conflits.

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Un exemple : les mineurs

Prenons un GN qui trace pour cadre une grande grève sur un site minier, au XIXe. Une partie des joueurs interprètent des mineurs ayant décidé de travailler malgré tout. Or un incident a eu lieu dans la mine, piégeant ces contre grévistes dans différentes galeries. Parmi les grévistes, une équipe est mise en place pour une opération de sauvetage.

Posons le personnage A, chef de l’équipe de secours. La situation dramatique qui compose sa trame est « sauver ». Plusieurs conflits le travaillent :

– Un conflit situationnel : comme tous les autres membres de l’équipe il aura à affronter une situation périlleuse : galeries instables, coups de grisou, inondations, quasi obscurité, épuisement et peur des hommes, autant d’éléments représentés en jeu par des règles et un matériel spécifique. Il faut travailler contre la montre en prenant des décisions rapidement et fréquemment, avec à la clef des morts potentiels.

– Un conflit interne : ce personnage doute de lui, car il a déjà été confronté à ce genre de situations, et a fait de mauvais choix, qui ont couté la vie à plusieurs camarades.

– Un conflit relationnel : l’un des membres de l’équipe de secours, le personnage B, va contester régulièrement les décisions du chef, pour une raison que celui-ci ne comprend pas. En tant qu’organisateur, vous traduirez le tout en un ensemble de quêtes qui donneront du sens à cette trame.

Penchons nous maintenant sur le personnage B. La situation dramatique qui compose sa trame n’est pas sauver, mais « se sacrifier aux proches ». Le meilleur ami de ce personnage fait partie des mineurs pris au piège. Il s’est donc porté volontaire pour faire partie de l’équipe. Ce faisant, il éprouve les conflits suivants :

– Conflits situationnel : tout comme le reste de l’équipe, il aura à affronter les dangers des galeries.

– Conflit relationnel : il sera en conflit avec le chef de l’expédition dès lors que celui-ci fera des choix qui l’éloigneront de son ami. Il est près à sacrifier sa vie et celle d’autres mineurs si cela lui permet de sauver son ami. Evidemment, ses motivations ne sont pas avouables. En tant qu’organisateur, vous traduirez le tout en un ensemble de quêtes qui donneront du sens à cette trame. Vous pouvez par exemple fixer au joueur l’objectif consistant à voler un peu de pétrole dans la lampe de chacun des membres du groupe, pour se réserver la possibilité de faire cavalier seul si le besoin s’en fait sentir.

En résumé, les conflits donnent du souffle à une histoire. Vous pouvez décider de laisser les conflits se mettent naturellement en place au cours du jeu, mais si vous raisonnez en tant qu’auteur, vous voudrez probablement avoir la main haute sur ces éléments, les choisir avec soin, et les travailler en orfèvre. Cela vous permettra d’être plus précis quant à ce que vous attendez du joueur. Comme avec les situations dramatiques, l’enjeu est de donner vie aux conflits internes aussi bien qu’aux conflits externes, de ne pas les postuler ou les empiler façon millefeuille, mais de les intégrer de façon claire, cohérente, et si possible originale.

Lire la troisième partie.

 


[1] Basé sur SEGER Linda, 2005, Faire d’un bon scénario un scénario formidable, Dixit éditions

 

[2] Pour une présentation du travail de développement des conflit au niveau des personnage, voir Techniques du récit et jeu de rôle grandeur nature : Les Personnages, Baptiste Cazes

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Matthieu NICOLAS

C'est tout jeune, en fouillant dans les affaires de mon frère et en découvrant ses bouquins de l'Œil Noir, que je suis devenu rôliste. Il n'aura fallu que quelques compagnons de route et un repaire (la seule boutique de jeu digne de ce nom de mon patelin) pour élargir la pratique : dés, wargames, hexagones, figurines... ont fini par occuper une part gigantesque de mon temps libre. Ajoutez à ça une pratique assidue des jeux vidéo, et vous n'obtenez pas le gars le plus populaire du lycée. Qu'importe ! J'ai découvert le GN vers 15 ans grâce à des types sans peur et sans reproches. J'enchaîne les expériences en la matière depuis une vingtaine d'années, alternant périodes creuses et fastes, jeux malins et jeux crétins, à la recherche d'un Graal que j'espère ne jamais trouver. J'aime interroger la pratique, chahuter les habitudes.

3 réactions à Les intrigues – Partie 2 – Une typologie des conflits

  1. Très intéressante cette série sur les intrigues !

  2. Super. Merci.

  3. Rassure-moi : ça ne va pas finir par les PIP ?

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