Critique de GN – Les Fleurs de Mai

Publié le mardi 29 septembre 2015 dans Critiques de GN

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Les Fleurs de Mai est un jeu atypique, pas tant par son thème (pourtant très intéressant) que par le fait qu’il peut être considéré comme un laboratoire de techniques de méta-jeu : transparence du scénario, usage d’une black box, gestion des relations sexuelles avec l’ars armandi, jeu en actes, ateliers divers avant le jeu, sortie de jeu en douceur, usage de la musique non-diégétique… Les Fleurs nous offrent la totale. Le point fort du gn étant que tout cela est justifié : il ne s’agit pas de multiplier les techniques par principe, mais parce que celles-ci vont toutes dans le même sens, à savoir la construction commune d’une histoire intéressante, difficile, et pourtant dans laquelle chaque participant est en sécurité.

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Muriel, l’organisatrice du jeu, a de plus laissé la possibilité pour une femme de jouer le rôle d’un homme (et vice-versa je suppose, quoique pour l’instant, à ma connaissance, ça n’ait pas été le cas). Coup de bol, j’ai justement joué un rôle d’homme lors de ce gn, je vais donc pouvoir parler de ce point en connaissance de cause.

Avant d’attaquer le vif du sujet il me semble important de signaler qu’avant cela je n’avais jamais eu l’occasion d’utiliser ces méta-techniques. J’avais un peu lu sur le sujet mais ces connaissances théoriques ne me permettaient pas vraiment de juger de leur intérêt. Il s’agit donc ici d’un point de vue de néophyte. De plus, suite au debriefing de cette session et des autres ayant déjà été jouées, des changements ont pu être apportés au scénario ou au cadre du jeu.

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On attaque avec l’histoire.

Paris, début du XXème siècle. Les Fleurs de Mai est l’une des maisons closes les plus huppées de la capitale, en grande partie grâce au savoir faire de Madame May. Celle-ci organise régulièrement des soirées exclusives pour lesquelles les clients sont triés sur le volet. Pour satisfaire ces hommes exigeants elle choisit des prostituées de luxe capables de répondre à leurs attentes, même les plus sombres.

Quatre hommes, quatre femmes. Il y a de plus deux pnj : Madame May et sa sœur Mia, une femme aussi discrète et attentive que sa sœur est forte. Toutes deux sont jouées par l’organisatrice.

En quatre heures de jeu à peine vont se dérouler trois de ces soirées, soit l’équivalent d’une année, qui vont voir se sceller le destin de la maison close mais aussi celui de chacun des protagonistes.

On commence avec la rencontre des personnages puisque, bien que six d’entre eux soient des habitués des lieux et aient déjà des relations établies, deux nouveaux rejoignent le groupe : un jeune homme qui va être initié aux maisons closes par son oncle, mais aussi une nouvelle prostituée dont la mise aux enchères de la virginité devrait pimenter la soirée.

Le jeu en actes.

Le déroulement des trois soirées se fait toujours selon le même schéma. D’abord une phase de conversation mondaine durant laquelle l’alcool (faux) coule à flot. C’est l’occasion pour chacun de briller en société, les hommes en profitent pour glisser de petits mots à Madame May pour dire avec qui ils aimeraient finir la nuit, tandis que les femmes tentent de séduire ceux qui leur plaisent le plus (ou déplaisent le moins).

Une fois cette partie de la soirée finie, c’est Madame May, et seulement elle, qui décide de la répartition des couples. Ses décisions sont sans appel.

Dès lors les couples se répartissent dans les zones « blanches » (des espaces privés matérialisés de façon abstraite qui correspondent aux chambres de la maison close) pour y avoir un « entretien privé » durant lesquels la technique de l’Ars Amandi est utilisée pour gérer en toute sécurité les relations sexuelles. Mais je reviendrai sur ce point plus tard.

Au bout de 15 minutes, la clochette retentit, marquant la fin de cette phase mais aussi de cette soirée. Pour bien marquer la séparation entre ce moment et le début de la soirée suivante, l’organisatrice créé une « phase de décompression » en passant une musique calme. Pendant cette courte période les joueurs peuvent à voix basse se mettre d’accord sur ce qu’auront été leur relations durant les quelques mois séparant les deux soirées.

À la fin de la troisième soirée, après la phase musicale, chaque joueur est invité à raconter ce que sera l’avenir de son personnage. La sortie de jeu se fait ensuite très en douceur, au son d’une chanson calme et agréable, non diégétique mais qui colle au thème de la soiré : les joueurs ferment les yeux, puis un par un ils sont emmenés hors de l’espace de jeu par l’organisatrice.

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Les ateliers

Étant donné les nombreuses méta-techniques utilisées en jeu, on ne pouvait se passer de ceux-ci. En effet, pour un(e) néopyte, pas question de jouer des scènes d’Ars Armandi sans avoir eu l’occasion de se familiariser avec ce système de gestion du sexe (http://www.electro-gn.com/9558-ateliers-de-lart-daimer-ars-amandi). C’est l’occasion de tester mais aussi de lâcher un peu de pression : on peut ricaner nerveusement une bonne fois pour toutes. C’est aussi l’occasion d’apprendre les safe words destinés à sécuriser le cadre du jeu, que ce soit d’un point de vue émotionnel ou physique.

D’autres rapides ateliers permettent d’entrer progressivement dans la peau du personnage, d’accepter ses failles… Tout cela dans l’optique « play to lose » : Les Fleurs de May est un jeu pour lequel il est essentiel d’accepter l’idée d’être faible, d’échouer, de rester à sa place. Les prostituées ne seront pas sauvées par un miracle quelconque, les hommes se sortiront pas de cette histoire grandis.

La transparence

Avant le jeu, chaque joueur a reçu l’intégralité des fiches de personnages. On pourrait craindre que cela rende le déroulement du gn trop évident, sans la moindre surprise.

Au contraire ce choix se révèle parfaitement adapté au thème et offre plusieurs avantages.

D’abord la grande subtilité du roleplay : nul besoin ici de scènes dramatiques exagérées pour partager avec les autres l’essence de son rôle. Chacun des joueurs étant déjà au courant des plus sombres secrets de tout le monde, il suffit d’une hésitation, d’une allusion discrète. Le personnage en face n’en saisit pas forcément la portée, mais le joueur en revanche n’en perd pas une miette, apprécie ces détails à leur juste valeur et peut en retour tendre des perches.

Cela donne un jeu feutré, tout en nuances, qui colle à merveille avec le thème du gn : une société compassée tenue par des codes strictes, où les éclats caricaturaux façon « grande scène du deux » n’ont tout simplement pas leur place.

On s’épargne aussi les discussions-révélations : il n’y a pas de mystère à découvrir, aucune nécessité de faire passer les informations et donc de perdre du temps de jeu en apartés pour raconter à unetelle que machin est en réalité homosexuel….

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L’économie de ce genre de scènes, potentiellement chronophage, justifie à mon sens la durée assez courte, même si d’autres joueurs auraient au contraire préféré un gn plus long.

Troisièmement, non seulement on est tout de même surpris, mais en prime ces surprises sont de qualité : elles ne reposent pas sur des retournements de situation capillotractés et autres cliffhangers pas toujours heureux mais sur les choix d’interprétation de chacun.

Last but not least, cette transparence offre un cadre sûr, indispensable pour un tel jeu. Quand on doit interpréter le rôle d’un client extrêmement violent ou celui de la prostituée que celui-ci martyrise depuis des années, il est rassurant de savoir très exactement où l’on met les pieds, mais aussi que la personne en face est dans la même situation. Chacun a en main toutes les cartes pour doser son roleplay et savoir quand utiliser les safe words.

L’Ars Armandi

Beaucoup de gnistes semblent réticents à l’idée d’utiliser cette méthode. (Elle permet aux joueurs de simuler une relation sexuelle en se touchant – caresses, massages, pressions – sur une zone précise, des mains jusqu’au cou. Les joueurs se regardent dans les yeux et peuvent produire des sons ou se parler). En effet elle a les qualités de ses défauts : très sensuelle grâce au toucher, mais aussi aux jeux de regards et de respiration, elle permet de créer rapidement et de toute pièce une forme d’intimité entre les joueurs. C’est du moins ainsi que je l’ai vécu.

L’atelier du début ayant permis d’essuyer les plâtres, les scènes en jeu se sont étonnement bien passées : non seulement la simulation a été très efficace, mais en prime personne n’a pouffé nerveusement au risque de ruiner le roleplay, ce qui était ma plus grande crainte

Je jouais le rôle de Paul, un jeune homme de 19 ans. En tant que femme hétéro, la question était de savoir si le fait de jouer des scènes de sexe avec des femmes rendrait les choses plus simples ou au contraire plus difficiles. Au final cela n’a fait aucune différence car l’utilisation d’une méta-technique pour gérer le sexe met d’office la distance nécessaire : tous les protagonistes connaissent et respectent les codes mis en place ensemble, On est donc ancré dans l’idée de jeu. Une gène peut persister et cela reste un retour d’expérience personnel donc limité, mais j’ai été plus que convaincue par cette technique.

Je reviens sur la notion d’intimité : bien artificielle, celle-ci était présente après les scènes d’Ars Amandi. Les relations entre les personnages s’en sont trouvées enrichies et plus crédibles.

Pour conclure sur ce point, on peut considérer cette technique comme une mise en danger mais cette expérience m’a au contraire convaincue qu’un cadre bien défini, même très sensuel, permettait de jouer de façon à la fois sûre et assez réaliste.

La black box

Tout d’abord, une définition rapide : c’est une pièce sombre, dans laquelle on dispose généralement des lumières et une sono, dans le but d’y créer des scènes qui n’ont pas lieu dans le temps et l’espace du reste du jeu. On y joue entre autre des flashbacks et des flashforwards. Cet espace de jeu remplit plusieurs rôles. Le plus évident : enrichir le récit à l’aide de scènes (dialogues ou encore monologues d’introspection) en dehors de la timeline et de la maison close.

Une plume noire est ici utilisée pour permettre à chacun d’inviter un autre à le suivre dans la black box sans pour autant faire du pur hors jeu : simplement tendue en guise d’invitation, celle-ci permet de passer en douceur et avec une certaine élégance d’une forme et d’un espace de jeu donné à  l’autre.

Elle a une seconde utilité, non négligeable dans un jeu possédant une telle structure. Les trois « soirées » se finissent chacune par 15 minutes durant lesquelles les prostituées et leurs clients s’isolent selon les directives de Mme May, qui décide de qui couchera avec qui en fonction des désirs exprimés par chacun et peut être de ses propres caprices (elle n’explique jamais les raisons de ses choix, qui peuvent être surprenants).

Il n’est pas impossible de se retrouver sans partenaire durant ce quart d’heure imposé. La black box devient tout naturellement un exutoire, le fait même de ne pas avoir été choisi ou d’avoir demandé à rester seul étant une bonne base pour une scène d’introspection.

Jouer l’autre sexe

Ce n’est pas le but premier de ce jeu mais il était intéressant d’avoir cette opportunité, surtout dans un GN qui traite de prostitution.

Tout d’abord pour le plaisir de l’interprétation et le petit défi physique : c’est très intéressant de jouer quelqu’un d’aussi éloigné de soi, tant culturellement qu’au niveau de la gestuelle. Il faut repenser ses automatismes et observer les postures de l’autre sexe.

Comme j’étais seule dans cette situation il n’y avait pas d’atelier dédié, je me suis donc préparée en relisant la critique du GN Mad about the boy, dans lequel les hommes sont autorisés à interpréter des rôles féminins.

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Dans ce contexte très particulier, être une femme m’a en réalité facilité les choses : bien qu’il existe une prostitution masculine, ce sont les femmes qui sont majoritairement victimes du commerce sexuel. De ce fait je n’ai pas eu trop de mal à prendre de la distance avec le rôle de client.

Il faudrait que les hommes ayant joué les Fleurs donnent leur avis sur le sujet, mais j’ai l’impression que le fait de pouvoir être, de par son genre, assimilé aux oppresseurs du monde réel rend délicate l’interprétation d’un client de maison close.

En conclusion, Les Fleurs de Mai n’est pas un jeu facile, mais il est facilité par les méta-techniques qui l’encadrent. C’est aussi un excellent outil pour tous ceux qui souhaitent tester ces techniques avant d’organiser eux-même un gn les utilisant (ou pas).

 

 

 

 

 

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Saki

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2 réactions à Critique de GN – Les Fleurs de Mai

  1. Merci pour cette critique. C’est un jeu intéressant !

  2. Merci pour ce retour, Saki. Voilà un jeu qui permet de diffuser en douceur plein de super techniques d’écriture et de jeu. Bravo Muriel !

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