Comment créer et organiser des GN antifascistes ?

Publié le lundi 22 novembre 2021 dans Articles

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Compte-rendu de table ronde, LaboGN 2021

L’article qui suit est issu d’une table ronde animée par Axiel Cazeneuve à l’occasion de l’édition 2021 de LaboGN. Il est le fruit des notes conjointes d’Axiel et moi sur le sujet et des échanges qui se sont tenus pendant cette table ronde. Ce compte rendu se veut une ouverture à la discussion et aux réflexions que nous devons mener collectivement au sein de nos communautés pour lutter contre la montée des fascismes. Aucun·e de nous ne se prétend expert·e de la question antifasciste et nous avons hâte d’avoir vos retours sur le sujet.

Montée des extrêmes-droites et GN

Rôlistes et GNistes ont souvent été associé·e·s médiatiquement à l’extrême droite. Cela a été le cas notamment après la profanation du cimetière juif de Carpentras1, attribuée à tort à un rôliste avant d’être révélée comme un agissement de néonazis, mais aussi plus récemment avec la fameuse gifle à l’encontre d’Emmanuel Macron le 8 juin 2021, qui a donné des sueurs froides à toute la communauté du GN, l’auteur se révélant finalement un royaliste pratiquant les Arts Martiaux Historiques Européens2.

À chaque scandale de ce genre, la communauté du jeu de rôle grandeur nature court le risque d’être associée aux extrêmes droites. Et, de fait, la montée des idées d’extrême droite, qu’elles soient néonazies, royalistes, fascistes ou “simplement” frontistes (RN), est observée dans notre société actuelle.

Le GN n’échappe évidemment pas à ce phénomène et les clivages de plus en plus marqués – dont la manifestation la plus visible est sur les réseaux sociaux et en particulier Facebook – démontrent l’urgence de se donner les moyens d’une communauté véritablement et radicalement antifasciste, opposée à toutes les discriminations et refusant de laisser des idées nauséabondes imprégner plus ou moins “passivement” nos communautés.

La culture geek, à laquelle appartient le GN, subit régulièrement des tentatives d’incursion des extrêmes droites3 et la sociologie des gens susceptibles de rejoindre des groupes fascistes n’est pas très différente de la sociologie de ceux qui rejoignent le GN traditionnel : des hommes cisgenres, blancs, minorisés sur le plan de la classe ou des neuroatypies et de la santé mentale.

Le risque que les communautés du GN s’extrêmisent à droite progressivement est réel, d’autant plus si les personnes discriminées en leur sein n’y trouvent pas de soutiens actifs. À cet égard, nous devons porter notre vigilance sur l’apparente neutralité des groupes dans leur refus de se prononcer sur des discours d’ordre politique. Le classique “Nous on fait du GN, on ne parle pas de politique”, en plus d’être hypocrite, est dangereux puisqu’il tend à rendre inaudible la parole des victimes d’oppression et à faire comme si les comportements problématiques n’existaient pas. Ce n’est qu’en reconnaissant l’existence des comportements discriminants que l’on peut trouver le moyen de lutter contre activement, et c’est sans doute au niveau du ventre mou des communautés que le plus gros travail de pédagogie doit être mené. C’est par la mise en lumière de ce qui a cours dans nos communautés et que nous ne pouvons pas accepter que nous éviterons le mieux d’être noyautés par les extrêmes droites.

En outre, si des parallèles peuvent être dessinés entre GN et extrêmes droites, il existe aussi des ponts entre rôlisme et anarchisme, qui montrent que le combat est loin d’être perdu. L’initiative récente “GN et JDR antifasciste” est une manifestation visible de ces accointances, qui se retrouvent également dans des organisations libertaires. Axiel rapporte ainsi qu’il se passe rarement une permanence de la Bibliothèque Anarcha-Féministe de Toulouse sans que le sujet des jeux de rôle (et notamment la recherche de groupes de JDR entre anarchistes et sympathisant·e·s) soit évoqué, et a constaté que de nombreux·ses camarades toulousain·e·s s’adonnaient également au GN et/ou JDR.

Vers un GN antifasciste

Dans cet article, nous entendrons l’antifascisme comme la lutte contre tous les systèmes de domination et les extrême-droites. Cette acception globale contient donc tous les mouvements anti-autoritaires, anticapitalistes, antiracistes, antispécistes, antisexistes, anti-validisme, anti-homophobie, anti-transphobie, etc.

Changer nos modes d’organisation

Si les GN ayant pour thématique la lutte antifasciste peuvent jouer un rôle pédagogique non négligeable au sein des communautés, ce ne sont pas tant les thématiques abordées dans nos jeux que notre façon de les organiser qui va avoir le plus grand impact, à travers les réflexions qu’elles seront amenées à faire naître et à essaimer.

Briser la hiérarchie des structures associatives

Il faut noter que la loi 1901 dont dépend la structure de la plupart de nos associations de GN implique une structure pyramidale (avec un bureau et un·e président·e à sa tête), qui peut paraître antinomique avec la lutte contre les systèmes de domination.

Il convient néanmoins de distinguer “autorité” et “domination” puisque l’autorité peut être consentie, tandis que la domination est l’exercice d’une autorité sans consentement. Au sein d’une structure associative pyramidale, l’autorité déléguée aux membres du bureau est parfois consentie, mais le plus souvent, tolérée par désintérêt pour la structure. Cadrée par différents outils de répartition des pouvoirs, elle peut être limitée. Une attention toute particulière doit notamment être portée aux statuts de l’association, sans quoi des abus sont inévitables. Par ailleurs, et même si cela comporte des difficultés administratives supplémentaires, certaines associations font le choix d’une structure plus horizontale avec un collège dirigeant, dont l’accès peut être conditionné à la simple adhésion ou à une demande motivée.

Sans même parler ici d’organisations horizontales avec collège dirigeant, nos associations de GN peuvent mettre en place plusieurs mesures pour limiter les risques de crises d’autorité en leur sein :

  • mettre en place des discussions autour du cadre des règles (générales de l’association et de chaque événement) et permettre leur transformation si celles-ci sont pertinentes.
  • remettre en question les rôles d’organisation (de GN ou d’événements au sens plus large) qui se trouvent, de fait, en position d’autorité. Il est possible de repenser la structure pour installer des contre-pouvoirs, notamment autour des processus de prise de décisions.
  • prévoir des équipes de sécurité physique et  émotionnelle qui se trouvent hors des structures hiérarchiques de l’organisation comme de l’association. En somme des comités indépendants qui ne se retrouvent pas sous l’autorité des dirigeant·e·s.
  • faire appel à des relecteur·ices, des regards extérieurs à chaque étape de l’organisation, dans l’esprit de mettre en balance les pouvoirs.

Communiquer

À cet égard, la communication des associations joue un rôle important, notamment par le biais d’une charte de bonne conduite établie par elles comme par les équipes d’organisation. Celle-ci est fondamentale pour montrer à l’ensemble des participant·e·s que certaines actions auront des conséquences dans la vie réelle. Il n’est évidemment pas suffisant d’écrire et de diffuser cette charte, encore faut-il la faire respecter en accueillant la parole des lanceur·euse·s d’alerte et en prenant des mesures collectives, réfléchies et débattues pour remédier aux situations problématiques.

Une partie du militantisme anti-fasciste consiste en l’identification des groupes d’extrême droite pour porter à la connaissance des organisateur·ice·s de ce qu’il se passe dans leurs espaces. Ces alertes sont primordiales pour lutter contre la politique de l’autruche. Une fois renseignées, les personnes ne peuvent plus faire comme si le problème n’existait pas et dès lors, leurs actions ou inaction sont une prise de position.

Affiche antifasciste

Photo de Jon Tyson via Unsplash

Stratégies de militantisme actif

Si pour beaucoup notre hobby représente un moment d’évasion, un loisir qui nous permet de nous extraire de nos vies quotidiennes parfois peu satisfaisantes, nous ne pouvons nous cacher derrière l’excuse des mondes imaginaires. Nos jeux, aussi fantaisistes soient-ils, sont écrits par des humain·e·s du XXIe siècle et s’inscrivent dès lors dans un contexte social structurel, qui ne disparaît pas parce que nous soufflons dessus.

Nos GN parlent tous de qui nous sommes et de la société dans laquelle nous vivons. Je ne vous apprends rien en notant ici que nous vivons dans une société fondée sur des structures oppressives et que ces structures ruissellent tout naturellement dans nos jeux si nous ne prenons pas garde à les combattre. Les enjeux de classe ont notamment été abordés, en anglais sur nordiclarp.org, par Muriel Algayres4 et Usva Seregina5, ainsi que les enjeux de race (e. g. par Jonaya Kemper6) ou de corps (par Shoshana Kessock7), etc.

Se pose donc cette question essentielle : comment faire évoluer les pratiques du GN mainstream pour intégrer durablement la lutte contre les systèmes de domination ?

L’une des premières idées avancées lors de la table ronde a été d’investir des thématiques a priori consensuelles pour attirer un large public, mais lui proposer, à l’arrivée un cadre différent. On peut faire, par exemple, du GN Vampire, la Mascarade en le politisant et en adressant les questions de domination, peu traitées dans le jeu d’origine, tout en gardant un jeu fun, agréable à jouer et sur lequel on a envie de revenir. On peut faire du GN médiéval qui démantèle les vieux biais sexistes et racistes et qui reste un joyeux moment entre potes. D’ailleurs, des initiatives existent déjà en ce sens. Comment faire, donc, pour qu’elles se multiplient ?

Pour y répondre, la meilleure solution reste de convaincre le plus de monde possible que ces questions sont importantes et que les jeux d’aujourd’hui doivent s’en saisir à bras le corps. Et pour ce faire, nous devons d’abord gagner en visibilité dans la guerre des idées. Nous devons nous acharner à rendre visibles et audibles les critiques et les discours antifascistes. Nous devons parler inlassablement : animer des ateliers, organiser des jeux, écrire des articles, faire grossir notre place dans l’espace médiatique. Les réformes sociales s’intègrent peu à peu, par capillarité parce que les idées qu’elles véhiculent deviennent omniprésentes dans le débat public.

Et si nous faisions plus de GN anarchistes ?

Les GN anti-fascistes et anarchistes, aussi bien par leurs thématiques que par leurs structures d’organisation (horizontales par exemple) ont un rôle à jouer dans cette lutte. En effet, même s’ils attireront, le plus souvent, des gens de gauche déjà convaincus, ils sont des outils éducatifs puissants puisqu’ils peuvent permettre à de simples sympathisant·e·s d’approfondir des sujets qui les amèneront, avec le temps, à prendre davantage position. Les idées politiques sont un continuum et l’on ne peut pas diviser les gens en deux catégories de personnes : les fascistes et les antifascistes.

Quid de l’expérience cathartique ?

En tant que GNistes, nous le savons pour l’avoir probablement expérimenté personnellement, l’expérience de jeu peut se révéler un formidable outil cathartique pour expulser, dans le cadre du jeu, des pulsions que l’on juge néfastes à la société : fascistes, autoritaires, viriles… De nombreux GN explorent d’ailleurs ces thématiques, notamment les jeux qui s’inscrivent dans un cadre carcéral.

Ceci n’est pas problématique a priori, puisque c’est précisément l’intérêt des jeux, d’explorer, de faire semblant, d’être autre… Mais cela nécessite d’habiter le cadre politique, de prendre conscience qu’il existe et ce faisant de réfléchir aux conséquences et aux accompagnements que l’on met en place en tant qu’organisateur·ice·s. Avec quelles idées, sensations, émotions, veut-on que les participant·e·s sortent d’un jeu ? Si le joueur ayant incarné un officier nazi ressort de son jeu en étant content d’avoir torturé des gens et en ne se posant aucune question sur ses actions, c’est probablement que l’organisation a raté quelque chose.

Que fait-on de nos fascistes ? (L’exclusion n’est pas une solution)

La dernière question que nous avons abordée lors de cette table ronde a été celle des actions à mettre en place pour faire disparaître les relents d’extrêmes-droites de nos communautés. Une fois les fascistes identifiés, qu’en fait-on ? L’exclusion, solution la plus facile, ne fait que repousser le problème hors des murs et donne l’illusion d’un espace protégé des menaces extérieures alors que ce n’est pas le cas. Si les fascistes identifiés ne viennent plus sur vos GN, ils n’ont pas disparu de la surface et continuent probablement à faire des dégâts ailleurs. Par ailleurs, là aussi, c’est un spectre : de nombreuses personnes avec des positions problématiques, mais pas encore auto-identifiées comme appartenant à l’extrême-droite, sont des proies idéales pour les organisations fascistes une fois mises à l’écart de milieux ne tolérant pas leurs propos et actions discriminantes. Ne vaudrait-il pas mieux essayer de les convaincre, de les amener à modifier leurs points de vue et ainsi, les empêcher de rejoindre les rangs des fascistes militants ?

Nous nous sommes interrogé·e·s sur les alternatives à l’exclusion, notamment en évoquant la justice restaurative8, mais nous n’avons pas vraiment de réponse. La pédagogie nécessite du temps et des ressources qui ne sont pas toujours disponibles, et dans certains cas, parvenir à une simple discussion est tout simplement impossible. Cela ne doit cependant pas nous décourager, et nous devons persister à travailler à l’élaboration de groupes et communautés capables de résister et faire face à l’émergence d’idées ou d’individus fascistes en leur sein.

Une chose est sûre, c’est que la lutte contre les individus ou groupes qui exercent une domination sur d’autres au sein de nos communautés doit passer par leur faire perdre leur position d’autorité et le sentiment de danger qui en émane. Les décrédibiliser, faire rire de leurs idées, montrer leur ridicule est peut-être une piste à explorer. Le rapport de force peut changer.

Ressources

Framapad collaboratif de ressources de GN et JDR antifascistes : https://mypads.framapad.org/mypads/?/mypads/group/larp-l95mxu7ph/pad/view/gn-et-antifascisme-liste-de-jeux-5x4va7te

Notes

[1] Page Wikipédia de l’affaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_de_la_profanation_du_cimeti%C3%A8re_juif_de_Carpentras

[2] Voir par exemple sur le sujet cet article du Parisien : https://www.leparisien.fr/politique/macron-gifle-le-suspect-un-jeune-homme-fan-darts-martiaux-de-deguisements-et-inconnu-de-la-police-08-06-2021-KUUFAVGJ2BH7FESFZJWWQ35QTQ.php

[3] Sur les tentatives d’invasion de la culture geek par l’extrême droite : https://www.independent.co.uk/voices/how-alt-right-invaded-geek-culture-a7214906.html#commentsDiv ou https://www.dailykos.com/stories/2021/8/20/2047103/-Gamers-Nerds-Geeks-and-White-Nationalists

[4] https://nordiclarp.org/2019/10/29/the-impact-of-social-capital-on-larp-safety/

[5] https://nordiclarp.org/2019/12/17/on-the-commodification-of-larp/

[6] https://nordiclarp.org/2018/02/07/more-than-a-seat-at-the-feasting-table/

[7] https://nordiclarp.org/2019/09/05/im-not-too-fat-for-your-larp/

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Justice_r%C3%A9paratrice

Photo de couverture Orit Matee via Unsplash.

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Lucie CHOUPAUT

Présidente de l'association eXperience, Lucie s'intéresse aux rapports entre GN et art. Ses goûts d'organisatrice et de joueuse la portent plus particulièrement vers des jeux expérimentaux d'ambiance contemporaine et réaliste.

Une réaction à Comment créer et organiser des GN antifascistes ?

  1. Merci beaucoup pour ce compte-rendu Lucie !

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