III. Faire exister l’institution.
Le challenge |
La menace |
Les solutions |
L’ordre (relatif) |
La révolution |
Développer les sanctions, insister dans le profil des personnages, etc. |
Les règles de fonctionnement. Cadrer le jeu des joueurs et organiser les journées |
L’entropie |
Docs de jeu / outils (orga et de PJ / auto-organisation avec la problématique des cadres PJ |
Les règles de simulation |
L’ennui, les usines à gaz |
Règles ad hoc + tests, tests, et tests |
3.1 Créer l’ordre
Un quotidien aussi fragile que du cristal
Une des conditions du succès de tels jeux, c’est de se donner les moyens de créer l’illusion de routine. Il est extrêmement difficile de créer une routine en GN. Cet ordre artificiel n’est pas seulement menacé par l’entropie, mais également par toutes nos mauvaises habitudes de gnistes (vous savez, celles qui font tiquer les nouveaux joueurs). Cet ordre peut donc facilement se désagréger. Comment faire exister l’institution ? Comment faire pour que cette routine, qui sort du néant, soit convaincante dès les premières heures de jeu et jusqu’à la fin du GN ?
3.1.1 Les documents hors jeu
Des premières idées jusqu’au briefing, il faut faire exister l’institution avant que le jeu ne débute. Deux grands chantiers vont s’ouvrir :
– La définition de votre univers de jeu : le type d’institution, son contexte, son univers de référence (réel ou fictif ?). À ce stade, tous les choix se valent. Il faut donc vous demander quelle expérience particulière vous souhaitez faire vivre à vos joueurs.
– La définition du fonctionnement de l’institution : c’est un élément essentiel de la réussite d’un tel jeu. Il est bon d’avoir pour réflexe de s’intéresser à des exemples concrets. La créativité montre vite ses limites quand elle ne s’appuie sur rien. Se documenter, c’est faire preuve de paresse intelligente. Des documents plus ou moins digestes peuvent être facilement trouvés sur le Net ou ailleurs, et vous servir de base.
Cet ensemble d’éléments, vous souhaitez le transmettre aux joueurs. Parmi les principaux modes de restitution, on compte naturellement les fiches de personnages, qui permettent de mêler ces informations à la backstory, les documents collectifs en tête desquels le règlement de l’institution, et les consignes d’avant-jeu. Le travail de transmission peut être fait sur la durée, et éventuellement faire exister l’univers de jeu avant l’heure. Quelques clips vidéo de la direction d’une corporation, l’adjonction d’une fiche de paie à la fiche de personnage, une session de recrutement IRL voire un casting sur lettre de motivation sont autant de petits plus qui ne dépendent que de votre créativité.
3.1.2 Les outils en jeu
Distinguons les outils de communication et les outils d’organisation (et qui sont, dans les deux cas, des éléments d’immersion).
Les outils de communication
Parmi les plus évidents :
– Le téléphone : qui trouve sa place dans de nombreux univers et remplit une fonction précieuse. Les joueurs éviteront ainsi de devoir traverser le site à la recherche les uns des autres. Un coup de fil suffit. Pour les jeux contemporains, les joueurs peuvent parfaitement s’échanger leurs numéros de portable. On évitera en tout cas les usines à gaz techniques qui marchent la veille et vous pèlent entre les doigts le jour J.
– Le courrier : vu sur plusieurs jeux. Marche plutôt bien dans le sens orga -> PJ, plus rarement entre PJ. (Ex : la machination)
– Internet : à réserver pour les cadres contemporains ou futuristes
Les outils d’organisation
Parmi les plus évidents :
– Les agendas permettent d’éviter aux orgas d’avoir à courir après les joueurs, aux joueurs de courir après les orgas, et aux joueurs de courir les uns après les autres.
– Le compagnon indispensable de l’agenda est l’heure. Assurez-vous de prévenir les joueurs de garder leurs montres, et veillez à placer des horloges un peu partout. L’heure peut aussi être marquée par des évènementiels (cantines, contrôles, etc.)
– Le planning permet de poser clairement les objectifs à atteindre du point de vue de l’organisation et donc de certains de ses membres. La détermination des deadlines, la suggestion des moyens à mettre en œuvre, l’enchaînement raisonné des tâches, etc. permettent de combattre le chaos et de cadrer les joueurs potentiellement déboussolés dans ce qui, rappelons-le, ne représentait pas leur quotidien avant que le jeu ne débute.
– L’organigramme. Si vous pouvez faire un trombinoscope, vous pouvez faire un organigramme, et cela vous servira d’ailleurs autant qu’aux joueurs. L’organigramme, qui remplit la fonction d’un classique trombinoscope, renseigne également sur les liens entre les personnes au sein de l’organisation. Éventuellement, vous pouvez concevoir des organigramme personnalisés pour chaque joueur / personnage. Beaucoup de joueurs prennent des notes sur le trombinoscope avant le jeu. En optant pour des organigrammes personnalisés vous faites en partie ce travail à sa place.
Rappelons aussi qu’en marge des organigrammes officiels, des organigrammes parallèles peuvent se mettent en place. Ce fut notamment le cas sur les jeux Rijker et Studio Bloodywood, tous deux organisés par le 5ème éléphant, où ont été mis en place des systèmes d’influence et de réputation.
Travaillez selon des organigrammes variés, qui définissent les relations entre vos personnages de façon parfois tout aussi riche que 15 pages de littérature psychologisante.
– La réunion : à la fois outil de communication et d’organisation, la réunion vous permet de mieux gérer le temps, l’espace et l’action sur votre jeu. Au sein d’une organisation, la tenue d’une réunion est justifiée par le contexte.
Tous ces outils propres aux organisations contribuent à structurer votre GN. Ce ne sont pas seulement des aides de jeu, mais des aides au jeu, qui rendent le joueur et son personnage plus efficaces. Ils ont en outre l’avantage de se fondre totalement dans la diégèse. Plusieurs éléments peuvent venir compléter ce travail, qu’il s’agisse de la création d’argots ou de jargons professionnels (notamment utilisé sur le Rijker), les indications de costume, et éventuellement quelques ateliers bien pensés pour se mettre en jambe.
3.1.3 Plus généralement :
– Renseignez-vous ! Chaque structure à ses codes. Chaque métier utilise des outils, des techniques, des “trucs” qui facilitent la vie de ceux qui le font. Renseignez-vous ! Vous réalisez un jeu dans un grand restaurant ? Contactez des professionnels, intéressez-vous aux métiers de la restauration et à ce type d’établissement. Non seulement vous pourriez avoir de bonnes surprises, mais vous donnerez du crédit à votre jeu. Comment fonctionne un service d’accueil dans un hôpital ? Je suis certain que l’amie d’une amie d’un amie d’une amie en connaît un rayon sur la question, et pourra vous transmettre le tout dans les grandes lignes.
– Sélectionnez : il n’est pas forcément possible de restituer l’institution dans sa totalité et dans toute sa complexité. Ce n’est d’ailleurs pas forcément souhaitable. Sélectionnez les traits les plus saillants, les activités les plus prometteuses, les éléments de règlements les plus pertinents.
– Adaptez : créer des règles institutionnelles jouables est un vrai défi. Il ne suffit pas de plaquer un fonctionnement existant mais de penser en GNiste. Il y a parfois un vrai travail d’adaptation à faire pour :
– Que les activités proposées soient à la portée des joueurs
– Que les activités proposées soient excitantes
Si vous faites tourner un bon système et que vous le leur confiez, les joueurs auront envie de s’en servir car ils se rendront compte que ça marche, que ça a été pensé, ou même testé. Quelque chose d’élégant sur le papier peut vous claquer entre les doigts si le système est mal pensé, ou s’il n’est pas tenable compte tenu de ce qu’on attend des joueurs et de ce que l’on met à leur disposition. Il est parfois difficile de tester un système à l’échelle de ce que sera le jeu le jour J, aussi faut-il avoir une certaine expérience et une réelle capacité à se projeter. Pour éviter les risques, simplifiez, simplifiez, simplifiez.
– Transmettez : restituez tout cela de façon claire au joueur, de façon à ce qu’ils puissent se l’approprier comme s’ils faisaient partie de la structure depuis 10 ans.
3.1.4 Problématique : faut-il laisser les joueurs s’auto-organiser ?
De nombreux joueurs aiment s’organiser avec des semaines d’avance. Coordination des costumes, du roleplay, etc. Cet effort peut être exigé ou encouragé par les orgas, mais il est souvent à l’initiative des joueurs.
Dans les jeux où des rôles d’encadrants ou de responsables sont prévus, les organisateurs font souvent le choix de confier tout ou partie de ces rôles aux joueurs, et non pas seulement aux PNJ. Dans le second cas, les jeux “tournent tout seul”, au sens où les organisateurs se mettent en retrait, laissant les joueurs en responsabilité.
Confier ce genre de rôle à un PJ ou à un PNJ, voilà une question qui se pose pour tous les types de GN, mais je la trouve particulièrement sensible et pertinente dans le cas des jeux en institution. Certains jeux Harry Potter, dans cet esprit, ont confié la préparation des cours aux joueurs incarnant des professeurs plutôt qu’à des PNJ.
Mettre les joueurs en responsabilité, leur donner une marge de manœuvre quant aux méthodes à utiliser pour réguler le jeu, les laisser créer leurs outils peut être très gratifiant pour tout le monde, et réserver de bonnes surprises.
Bref, donnez-vous les moyens de faire confiance à vos joueurs en leur donnant les moyens de faire tourner la boutique.
3.2 Maintenir l’ordre (?)
Le rejet des règles de l’organisation, les fins de non recevoir d’un subordonné face à un supérieur, etc., sont autant d’éléments qui viennent remettre en cause votre cadre.
Les relations hiérarchiques, qui sont des rapports formels entre individus au sein de l’institution, devraient être justifiées et fonctionner à plein. Or, en GN, les relations hiérarchiques ou les rapports d’autorité sont régulièrement sous-joués, voire totalement ignorés.
Cela vient en grande partie du fait que les sanctions sont inexistantes (blâmes, conséquences sur la carrière, etc). La peur du bâton ne doit pas être virtuelle. Les conséquences d’une sanction doivent se faire sentir en jeu et avoir un caractère dissuasif. Rappelons qu’une institution a d’abord pour fonction de se perpétuer. Nombre des institutions mettent à disposition des agents un appareil de sanctions visant à contrôler ou réprimer les comportements “déviants”. Dans les cas extrêmes, l’institution peut se séparer d’un de ses membres, que ce soit par la mort, l’enfermement, ou un simple limogeage (qui vaut ici comme “mort” du personnage)
Dans la plupart des organisations et des milieux professionnels, ces rapports d’autorité sont généralement considérés comme légitimes.
Dans les cas extrêmes, et notamment au sein des institutions totalitaires, ils peuvent cependant avoir un caractère violent et arbitraire. La tendance est grande, du côté des joueurs, à vouloir déclencher une révolution en moins de deux jours. Votre volonté en tant qu’organisateur peut précisément être de scénariser et de mettre en place ce renversement, mais sachez qu’il est en fait assez spontané. Ils peuvent y être poussés par l’ennui, le caractère trop oppressant du cadre, et y être encouragés par des failles dans l’organisation des encadrants.
Si vous misiez donc sur la mise en scène de la routine de l’institution, veillez à proposer au joueur suffisamment de jeu, que ce soit par des intrigues ou des évènementiels. Veillez également à prévoir une échelle de sanctions intelligentes et graduées : la réponse de l’institution doit être adaptée, créer du jeu pour le joueur concerné, et néanmoins avoir un caractère dissuasif pour ce joueur comme pour les autres.
Rappelez-vous également qu’une organisation se maintient parce qu’elle intéresse ses membres, et que cela vaut également dans des institutions de type totalitaire. On en trouve un bon exemple dans le jeu carcéral organisé par Clepsydre : l’un des groupes de prisonniers était très bien établi dans la prison, avait assis son autorité sur les autres détenus avec la complicité passive des gardiens. Chaque membre du groupe y trouvait son compte, et aucun d’entre eux ne souhaitait que la prison soit ébranlée par de jeunes taulards un peu trop fougueux.
3.3 Faire “travailler” les joueurs
3.3.1 Penser le personnage à travers son métier
Une alternative au psychologisme
Parmi les différents éléments de caractérisation de personnage, le métier passe bien après le caractère… Ah ! les backstory dégoulinantes d’une psychologie aussi incohérente qu’inutile au jeu. Le biais du psychologisme, c’est considérer que ce qui fait qu’un personnage se distingue d’un autre, c’est son caractère. C’est bien beau, mais vous n’êtes pas au théâtre. Même en supposant que le personnage est écrit avec une psychologie cohérente par rapport aux intrigues et au scénario que vous lui proposez, le joueur en fait ce qu’il veut.
Un personnage présenté sous l’angle de sa psyché n’est pas plus “unique” qu’une personne identifiée par son métier : la psychologie est aussi un domaine de lois, de constantes, etc. Survaloriser les données du caractère, c’est oublier que deux personnes différentes confrontées aux mêmes situations réagiront souvent de la même façon.
Si vous voulez faire de la psychologie, décrivez le personnage dans son rapport au travail, aux collègues, plutôt que de parler de l’amour secret qu’il avait pour sa tante étant jeune.
Le métier d’un personnage est un élément de caractérisation important, mais vous devez allez plus loin : vous devez faire en sorte que le joueur fasse son métier en jeu.
Des éléments de caractérisation aux éléments de jeu
Au contraire d’un travail effectué consciencieusement et en continu, la plupart des GN n’offrent la possibilité d’interpréter son métier que de façon occasionnelle, généralement en attribuant au personnage une ou deux compétences que le joueur pourra utiliser de temps à autre pendant le jeu.
Il est rare de saisir un personnage par son métier au point de le lui faire exécuter en jeu. La plupart du temps, la profession de votre personnage n’est qu’une affaire de backstory. Tout se passe comme s’il était hors de question qu’il s’y adonne en GN, un peu comme si tous les personnages étaient en vacances. Posez-vous la question : combien de fois votre personnage avait-il une profession sans que cela n’ait vraiment d’incidence en jeu ?
3.3.2 Trois niveaux d’intégration du métier au jeu :
Parmi les métiers les plus représentés sur les jeux, on trouve des hommes de loi (avocat, enquêteur, policier), des hommes de guerre (militaire, garde du corps, garde, mercenaire), des médecins, parfois un curé… Auquel d’entre nous n’est-il pas arrivé de jouer l’un de ces personnages au moins une fois ?
Il y a dans le cas spécifique du GN un présupposé positif sur ces métiers, renforcé par la tradition du GN policier ou guerrier. Bien qu’excitants sur le papier, ces rôles sont souvent en dessous de leur potentiel. Il y a comme une difficulté à penser que d’autres métiers puissent être intéressants dans le cadre d’un GN.
Prenons l’exemple de la médecine.
Beaucoup de Gnistes ont fait l’expérience de règles “médicales”, que ce soit en tant que médecin ou en tant que patient. Force est d’admettre qu’en GN, les règles de médecine ne sont généralement :
– Ni très réalistes : dans la plupart des GN que j’ai joués, les règles permettent de guérir des blessures graves et des traumatismes en un rien de temps (de quelques minutes à une heure de jeu pour des ambiances plus réalistes). En outre, les joueurs rechignent souvent à jouer le handicap lié à une blessure plus de quelques minutes.
J’ai souvent remarqué que des joueurs pouvaient parfaitement assumer le rôle d’un handicapé ou d’un mutilé. En revanche, la blessure qui arrive sur un personnage “indemne” en cours de jeu est plus difficile à vivre. Dans le premier cas, on a choisi. Dans le second, on subit. Je peux comprendre cette tendance à sous-jouer les blessures et les maladies. Je l’ai moi-même souvent fait.
Cette légèreté quant à la gestion de la santé des personnages vaut pour des univers de jeu réalistes, mais les choses sont encore plus troublantes lorsque la magie intervient, comme c’est souvent le cas dans les univers med-fan : on peut alors assister à des scènes où un guerrier se fait littéralement larder de coups d’épée tout en restant debout. Pourquoi ? Et bien parce qu’un magicien se tient à 2 mètres de lui, incantant à la chaînes des “soins 1”, “soins majeurs”, “bénédiction de trucmuche”, etc.
– Ni très passionnantes : être médecin sur un GN consiste donc souvent à distribuer des points de vie. On se penche sur la victime, on fait une petite annonce verbale, éventuellement deux ou trois gestes pour la galerie, et hop ! l’affaire est réglée. Vous voilà devenu le type sur lequel tout le monde compte lorsque qu’un personnage s’évanouit, est empoisonné, ou blessé… Un serment d’Hippocrate tout à fait implicite : je jure de venir en aide, en tous temps et en tous lieux, à n’importe quel joueur blessé, ami ou ennemi, etc.
Si vous êtes médecin en GN, il y a de fortes chances pour que l’on attende de vous que vous respectiez ce serment en remettant les gens sur pieds. On ne vous demande pas expressément d’interpréter un médecin, et il est assez rare que l’on vous ait concocté de belles intrigues liées à votre profession. D’ailleurs, vous êtes rarement sur le jeu en tant que médecin : il se trouve simplement que vous l’êtes.
Du point de vue d’un organisateur, le médecin à l’avantage de servir de contre-feu à des règles trop rudes (pan, t’es mort) ou à des ambiances de jeu particulières (bataille ultime contre les forces infernales du chaos).
Bref, il s’agit moins d’un rôle que d’une compétence que l’on distribue à quelques joueurs. C’est une façon efficace de s’assurer que la plupart des joueurs resteront en vie jusqu’à la fin du jeu. Selon les jeux organisés, cette fin de jeu peut consister en une dizaine de mariages ou bien une meule finale, mais tout le monde est d’accord : ce serait dommage de rater ça.
On peut grossièrement isoler 3 degrés d’intégration du métier au jeu :
– Votre profession est représentée par une simple compétence.
– Au niveau supérieur, une intrigue ou des intrigues liées à la profession vous sont proposées pendant le jeu (ainsi, éventuellement, que des scènes associées à votre travail).
– Au niveau supérieur, vous exercez votre profession en continu, avec idéalement : un système de règles pour la jouer / un impact sur vos intrigues ou le scénario / un lieu et des outils pour l’exécuter.
Parmi les jeux que nous avons présenté, les GN Dr House, Asylum et Sainte Mangouste se déroulent tous en milieu médical et proposent aux PJ médecins une véritable expérience de médecin : cabinet de soins ou salles de chirurgie, entretiens avec les patients, réunions du personnel médical, actes médicaux, etc.
3.3.3 Travailler le week-end, est-ce bien sérieux ?
Prenons le parti de faire jouer des métiers. Vous devez donc donner aux joueurs les moyens de vos ambitions.
Objectif : Créer un ensemble de tâches s’appuyant sur un système de règles dédié, intégrant ou non des compétences
– Chassez le virtuel : préférez le réel au virtuel. Ce n’est pas le personnage qu’il faut occuper, mais le joueur. Préférez les règles qui vous occupent les mains plutôt que celles qui vous encombrent l’esprit. J’ai le souvenir d’un jeu ou le photographe d’une scène de crime n’avait pas d’appareil. Il a donc utilisé son smartphone et sous la direction du chef de la police, a pris quelques clichés qui ont été réutilisés à leur retour au commissariat. Il n’est pas inutile, dans cet esprit, que votre joueur sera d’autant plus enclin à exercer son métier qu’il a un lieu et des outils pour le faire ! Je pense en particulier à tous ces commerçants sans magasins et donc sans clients… Si on me donne un rôle de barbier, je veux pouvoir faire assoir mes clients, leur couvrir le visage de mousse, et les raser (avec une lame en plastique pour éviter les représailles).
– Mettez le réel à la portée du joueur : Si vous simulez, c’est pour que les choses soient à la portée de tout le monde. Pour le dire autrement, l’efficacité du personnage ne doit pas dépendre de compétences du joueur. La tâche doit être accessible à tous.
– Décomposez les tâches complexes : pour des tâches longues ou complexes, découpez les choses en de multiples étapes, toutes également ludiques et intrinsèquement gratifiantes. Évitez à tout prix le rébarbatif et le répétitif.
– Distinguez les métier intrinsèquement intéressants et les métiers potentiellement intéressants : ne créez pas de règles de simulation si un métier comporte des tâches naturellement intéressantes.
Prenons le cas d’un gardien faisant une ronde. Non seulement le niveau professionnel requis est égal à celui du joueur, mais ce dernier aura en outre la satisfaction de maintenir une présence dissuasive, et éventuellement de surprendre quelques comportements illicites.
Sur le jeu La Machination, un groupe de joueurs avait pour tâche de faire transiter les messages sur tout le site. Certains joueurs, les voyant courir dans tous les sens, ont fini par les plaindre. Or il suffisait de parler 5 minutes avec l’un de ces coursiers pour comprendre qu’ils s’amusaient comme des fous.
Les choses sont moins évidentes dans le cas d’autres métiers. Qu’il s’agisse d’un tanneur au sein d’une corporation, d’un manager de service marketing ou bien d’un contremaître le long d’une chaîne de montage, il vous faudra sans doute vous creuser la tête pour rendre leurs tâches ludiques, stimulantes, et gratifiantes.
Une fois votre système défini, vous pourrez aisément, sur la base de celui-ci, différencier les personnages exerçant le même métier en créant des spécialisations, des domaines et des degrés d’expertise, etc.
Contrôle qualité : testez, testez, testez ! Avec le triple objectif d’avoir un système clair, carré, et amusant. Si le test ne parvient pas à vous convaincre, les joueurs devraient ressentir la même chose. À défaut de tests entre orgas, on soulignera à nouveau l’intérêt que peuvent avoir des ateliers, parfois très en amont du jeu, pour peaufiner ce genre de choses.
Vous devez d’une part traquer les bugs et gommer les failles de votre système, d’autre part atteindre le saint graal : le fun. Le fun se vit beaucoup plus qu’il ne se théorise, et j’attends toujours une définition convaincante de ce qu’est le fun. À défaut d’une telle définition, certains game designers préfèrent le penser en creux : débarrasser votre gameplay de tout ce qui est “unfun”, et ce qu’il vous restera sera probablement fun. Votre système repose sur des séquences d’actions trop répétitives ? Cassez-les ! Des éléments sont frustrants ? Virez-les ! Une tâche est trop complexe ? Simplifiez-la ! etc.
Conclusion générale :
Au cours de ce bref survol, nous avons vu que tout pouvait être fait, et que tout semblait avoir été fait en matière de jeu en institution : jeux encadrés par des PNJ ou par les PJ, jeux scénarisés ou jeux mettant en avant la routine, jeux reposant sur les intrigues et jeux reposant sur les métiers, etc.
Toutes les options sont ouvertes et toutes les tendances se valent. Pourtant, j’aimerais conclure en insistant sur le fait que le jeu en organisation reste un potentiel qui n’est pas exploité à plein tant que l’on y applique certaines logiques courantes en GN : place trop importante du scénario, distribution de compétences plutôt que création de règles de simulation d’un métier, etc.
Bref, il y a un espace pour aller plus loin, dans ce que ces jeux sont les seuls à nous proposer. En retour, ils peuvent nous permettre de mieux repenser certaines choses par rapport aux GN “classiques”, que ce soit dans l’exercice des métiers, les rapports à la hiérarchie, l’information des joueurs quant à la routine, ou bien encore le test des règles.
Matthieu NICOLAS
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17 décembre 2013 at 8 h 27 min
Encore une fois, bravo ! Votre poste est très motivant. Ca donne des envies d’organiser du GN 🙂
17 décembre 2013 at 18 h 16 min
Très intéressant, merci !
17 décembre 2013 at 22 h 11 min
Très bonne série …
Les ateliers sont suggérés à plusieurs reprise, je vais donner un exemple. Sur le dernier “Les Légendes d’Espigoule”, le GN se déroulait au sein d’un Parlement (on est assez proche du principe de GN en institution) .. avec des parlementaires, leurs “assistants” et des fonctionnaires chargés du fonctionnement du Parlement.
Un système de règles avait été rédigé pour faire fonctionner le parlement. Elles n’avaient pas été testées avant le GN.
Par contre, on a fait un atelier avant GN pour décrypter avec le groupe de joueur ces règles, pour les essayer ensemble et pour commencer à jouer avec. Ca a permis au Parlement de fonctionner le Samedi de manière autonome, dans le respect des principes de l’institution et au jeu de tourner autour de ce fonctionnement … mais aussi aux joueurs d’exprimer leur entropie naturelle le dimanche en faisant sauter le système dont ils avaient bien profité la veille.
Si j’avais à faire de nouveau un GN dans un système fermé doté de règles de fonctionnement particulière (en institution), je pense que j’adopterais automatiquement le principe d’un atelier au cours duquel les maillons de l’institution apprennent ce qu’est leur quotidien. Sans quoi, on perd du temps et de la qualité de jeu à apprendre ce quotidien avant de pouvoir jouer avec.
18 décembre 2013 at 13 h 30 min
Excellente conclusion, merci.
Un petit complément concernant la mécanique de jeu de notre GN carcéral : les cadres étaient tous interprétés par des joueurs : directeur de la prison, chef des gardiens, intendant chef, etc. Néanmoins, nous avions placé un PNJ très proche du chef des gardiens afin de pouvoir, si le besoin s’en faisait sentir, ajuster la pression de l’autorité armée sur la population carcérale. Les gardes étaient trop sévères et leurs actions empêchaient les prisonniers de vaquer à leurs occupations (et donc les joueurs de jouer)? On allège un peu la surveillance. Les prisonniers font ce qu’ils veulent, ne montrent ni respect ni crainte vis-à-vis des matons ? On accentue la pression. Et pour que le contrat soit clair, nous avions publié un barème faute/punition dont les sanctions pouvaient aller jusqu’à quelques jours de trou, soit une fin de jeu pour les personnages concernés, assumée par la mention dans les documents communs de quelques personnages de remplacement qui auraient pu opportunément sortir du trou, de l’infirmerie, etc.