Nous avions déjà fait un article dans cette veine. Mais les méthodes pour améliorer sa propre créativité sont légion. Parmi les ouvrages les plus célèbres des théoriciens de la créativité, on citera la Grammaire de l’imagination de Gianni Rodari. Un ouvrage qui regroupe l’essentiel de ces jeux et exercices. Je vais m’efforcer de les appliquer à l’écriture d’un GN, disons… western et insolite.
Allez, on se lance. Imaginons que Terry Gilliam réalise un western burlesque dans la ville de Bakertown, qu’est-ce que ça pourrait donner en utilisant les jeux de Rodari ?
Le binôme imaginatif
Le jeu consiste à prendre deux mots et à les associer de la façon la plus originale possible. Chaque mot est pris sans se soucier de son sens premier. Il est libéré de son champ sémantique et « dépaysé » pour pouvoir les lancer l’un contre l’autre et briser tout lien avec un sens commun évident.
J’attrape un livre au hasard dans ma bibliothèque et c’est parti : « dirigeaient » et « mort ». Quelques idées émergent :
– Le maire de Bakertown est mort et irremplaçable ;
– Bakertown est contrôlée par une bande de bandits morts-vivants ;
– Un nécromancien sévit à Bakertown ;
– Le chef prend ses décisions en interrogeant les esprits ;
– Bakertown se dirige vers sa fin : une épidémie de peste.
Peu satisfait du résultat assez classique (très « Deadlands »), j’essaie avec deux noms communs pris au hasard dans le même livre : « combat » et « cardinal ».
– On ne sait plus où est le Nord, le Sud, Bakertown est perdue, coupée du monde ;
– Bakertown est dirigée par un homme d’église avec une milice habillée de rouge à sa botte ;
– Un prêtre va devoir apprendre le kung-fu pour sauver quelqu’un ;
– Ceux qui sont debout et ceux qui rampent vont s’affronter (cardinal au sens artistique) ;
– Deux industriels décident de faire pousser des vignes dans l’Ouest (raisin cardinal).
Qu’arriverait-il si ?
Pour ce jeu, il vous faut un sujet et un prédicat. Plus difficile à trouver au hasard mais pas impossible non plus.
Utilisons toujours le même livre, même si le champ lexical est donc forcément réduit : « œuvre » et le prédicat « trouver des manières de parler ». Que se passerait-il si une œuvre (par exemple un tableau) trouvait des manières de parler ?
– Les cowboys pourraient lui vouer un culte, en tomber amoureux ;
– Un saltimbanque ferait de l’argent avec ce phénomène ;
– Une institutrice essaierait de l’éduquer ;
– Un chasseur de sorcières viendrait détruire l’œuvre ;
– Un prêtre pourrait être le seul à l’entendre et serait pris pour un fou.
Le préfixe arbitraire
Je vais de nouveau prendre un mot au hasard et lui appliquer un préfixe (dé, sur, anti, semi, bi, sous, vice, mini, intra etc…) : « Effervescence ».
Quelques idées :
– Anté-effervescent : la fin du monde est pour bientôt. Les prêcheurs l’appellent la Grande Effervescence.
– Profervescent : il y a également des groupes qui cherchent à l’accélérer.
– Bi-effervescence : dans ce monde pré apocalyptique, le mariage est un consommable. On peut se marier pour une semaine pour profiter un maximum avant la fin.
– Bi-effervescence : deux quartiers en effervescence, lors de préparatifs. C’est à celui qui fera la plus belle fête.
Ce mot m’évoquant une fin du monde, qui est un sujet trop abordé à mon sens, je ne suis pas satisfait. Voulant en prendre un autre, mon doigt s’arrête entre « Figure » et « Brouillard ». Le brouillard est également surexploité dans les fictions, je vais prendre « Figure », moins évident.
– Défigure : un vrai mot mais qui peut inspirer bien des choses. Débrouillard aussi, d’ailleurs ;
– Dans Bakertown, l’échelle sociale est visible sur le visage de quelqu’un via des marques, par exemple des chiffres ;
– Anti-figure : des jeux de cartes avec des anti-figures. Des anti-valets et d’autres règles très spéciales, transformant le poker en 1000 bornes ou en Kamoulox improbables ;
– Pro-figure : à Bakertown, tous les artistes doivent représenter des œuvres sacrées. Un artiste va chercher à représenter autre chose que dieu.
– Semi-figure : le faux monnayeur mégalo s’était dessiné lui-même sur sa production de fausses pièces.
Le cadavre exquis
Difficile à faire seul, j’ai donc bénéficié de l’aide d’une amie pour pondre quelques cadavres sur le modèle suivant.
Qui était-ce ?
Où était-ce ?
Que faisait-il ?
Qu’à-t-il dit ?
Qu’on dit les gens ?
Quel a été le résultat ?
Prenant chacun une question sur deux nous avons produit ceci :
– Un notaire qui venait de fuir le séminaire ;
– Chez le croquemort ;
– Il prenait sa température avec une de ses inventions ;
– Il a dit : « ils sont vivants » ;
– Les gens auraient bien aimés être à sa place mais hélas ils n’avaient pas la même taille ;
– Résultat : trois à zéro
L’idée d’histoire que nous en avons tirée :
Deux notaires arrivent à Bakertown. Ils prétendent savoir trouver de l’or et vendent des concessions. L’un est un scientifique. L’autre un notaire ayant fui le séminaire. Il peut en fait, en se glissant un artefact dans le derrière, avoir des visions. Une compétition entre eux s’engage. La ville compte les points. À un moment, on leur demandera d’utiliser leurs dons pour retrouver des mineurs perdus au fond d’une mine.
Autre essai :
– Un cowboy peureux mais amoureux ;
– Sur la colline des mille tombes ;
– Il volait des objets rouges ;
– Il a dit “Je refuse tout net” ;
– Les gens ont dit : Mais qui parle cette langue ? ;
– Malgré ses efforts, il se trouva bientôt sans le sou.
L’idée d’histoire que nous en avons tirée :
Un cowboy va piller des tombes pour trouver de l’argent pour pouvoir épouser une jeune fille. Il se fait punir par un esprit. Il se retrouve donc condamné à parler une autre langue dans laquelle on le comprend mal. Il est donc renvoyé du ranch et sans un sou. Il découvre que, s’il trouve un objet ayant appartenu à l’esprit, il peut s’en libérer. Une énigme décrit l’objet. On sait notamment qu’il est rouge.
Voilà en somme quelques exemples de jeux créatifs, qui me semblent permettre à défaut de le garantir, de s’éloigner un peu des clichés rebattus partout. La culture de l’imaginaire, qui fonde un peu la culture geek aujourd’hui, me semble parfois sclérosante, se copiant elle-même sans fin et tuant tristement la poésie qu’elle recèle. Je crois qu’il est plus que jamais nécessaire de se donner les moyens de penser différemment (ha merde, slogan déjà pris !).
images extraites de SUKIYAKI WESTERN DJANGO
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Très intéressant. Merci !