Plan Social – Retour d’expérience

Publié le jeudi 23 janvier 2014 dans Critiques de GN

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Plan Social

Un jeu de rôle Grandeur Nature de l’association eXpérience pour 3 joueurs en 4 heures téléchargeable ici : http://www.murder-party.org/sc%C3%A9narioth%C3%A8que/experts/plan-social/

Une critique du jeu (extrêmement positive) sur www.murder-party.org

Les citations en bleu sont des retours de joueurs. Retrouvez le retour complet de Matthieu Nicolas (joueur sur la quatrième session) à la fin de cet article.

Plan Social est un jeu de rôle Grandeur Nature écrit et organisé par l’association eXpérience. Ce texte est moins une critique du jeu qu’un retour d’expérience puisque je suis l’un des auteurs du jeu. L’objectif est de présenter un GN atypique tant par son thème que par sa structure. Je pense que la structure du jeu possède des avantages certains qui pourrait être réutilisés dans d’autres GN, y compris sur des thématiques totalement différentes.

Le jeu raconte l’histoire d’un plan de licenciement collectif dans une usine à Saintes en Charente-Maritime. L’histoire se déroule en quelques mois et est présentée du point de vue de plusieurs personnages. On verra l’évolution et les choix des ouvriers, des cadres et d’un jeune homme responsable de l’audit de l’entreprise.

entreprise jeu de role

“Un exercice de style intéressant dans lequel on se concentre sur le personnage et sa position morale ; un drame émouvant et réaliste dans lequel on s’implique exceptionnellement, bien plus fortement que dans un GN conventionnel, tant du point de vue des “objectifs” que des émotions.” – Vincent

Parler de société en GN

Nous avions envie depuis longtemps d’utiliser le GN pour parler d’un sujet de société. Les licenciements, les délocalisations sont un sujet qui en France fait couler beaucoup d’encre. Nous avons une représentation assez importante des images de luttes ouvrières au cinéma dans notre pays. Elles sont fortement médiatisées et chacun a immédiatement en tête de nombreuses images lorsqu’on parle de grève, de fermeture d’usine, de délocalisation. Le GN peut permettre aux participants de faire l’expérience de l’épreuve humaine que représente un tel bouleversement dans une entreprise. Au travers du jeu, nous voulions raconter une histoire réaliste et permettre aux joueurs de se retrouver face à des choix et des dilemmes difficiles à appréhender si l’on n’en a pas fait l’expérience soi-même.

Nous avons lu plusieurs dossiers et articles pour prendre des informations sur la façon dont se déroulait un plan social (hauteur des primes de licenciements, façon de communiquer la nouvelle), mais nous avons aussi pioché dans des références fictionnelles comme les films « Ressources humaines » ou « Violence des échanges en milieu tempéré ».

Nous avons voulu éviter de tomber dans une caricature et parler de personnages ayant des statuts et des ambitions différentes sans jamais les déshumaniser.

entreprise jeu de role3

“J’ai aimé le jeu : la vitesse d’exécution, le cut, la variété des situations, la concision des personnages et leur potentiel de développement.” – Gilles

Un GN à arborescence

Le jeu a été conçu avec la méthode eXpérience. Nous avons d’abord posé un réseau de personnage et leurs désirs, puis envisagé les situations de jeu qui nous semblaient les plus intéressantes. Nous voulions que chaque scène ait un enjeu fort pour les personnages et l’histoire.

Dans Plan Social, les joueurs vont jouer une trentaine de scènes différentes. Avant chaque scène, chacun va recevoir une fiche d’informations courte, résumant ce que son personnage fait là et ses éventuels objectifs.

Un narrateur va ensuite présenter la situation et les joueurs vont commencer à interpréter leur personnage. Chaque scène dure entre 2 et 10 minutes et se termine lorsque l’organisateur lance une musique. Les joueurs s’immobilisent alors puis sont positionnés pour la scène suivante et reçoivent de nouvelles informations. La musique s’arrête, le narrateur reprend la parole et la scène suivante commence.

“L’ici et maintenant, la sensation d’expérience optimale, c’est vraiment un truc que je recherche de plus en plus en GN, et Plan Social te permet de l’expérimenter.” – Beus

Les personnages face à des choix importants

Vers le milieu du jeu, les personnages sont mis face à des choix importants. Selon leur décision au cours d’une scène, l’histoire prendra une direction différente. Un peu à la manière d’un livre dont vous êtes le héros.

Il existe donc plusieurs embranchements possibles, tous conduisant à des fins différentes. Les joueurs sont donc en permanence dans une incertitude par rapport à la scène suivante et ce qu’elle contiendra, mais aussi dans l’expectative de savoir si leurs choix ont été les bons.

L’histoire du licenciement collectif est toutefois relativement inéluctable et le happy end n’existe pas, aucun des personnages n’ayant moyen de sauver tout le monde, quels que soient ses choix.

Interpréter 30 rôles avec 3 joueurs

Le jeu est un challenge pour les joueurs. Durant 4 heures, ils vont interpréter jusqu’à 10 rôles chacun. En effet, ils retrouveront régulièrement leur personnage principal, mais interpréteront également d’autres personnages clefs de l’histoire.

Parfois, certaines fiches remises avant une scène contiendront des directives particulières. Il peut s’agir d’une instruction de mise en scène ou d’un méta-objectif. Par exemple « Vous devez pousser le personnage en face de vous à vous dire la vérité ».

En raison de ce challenge d’interprétation, ce sont les joueurs qui décident de la durée du temps accordé entre chaque scène. C’est à leur signal à tous que la scène sera lancée par le narrateur.

entreprise jeu de role2

Un jeu très directif et très intense

Au final, le format du jeu à arborescence est excellent pour raconter une histoire à ce point scriptée. Les joueurs gardent énormément d’incertitude et une grande part de jeu, mais l’histoire complexe reste sur des rails établis par les auteurs.

Le jeu est passionnant à organiser car l’organisateur doit rester en permanence à l’écoute des joueurs pour pouvoir comprendre leurs choix et orienter l’histoire en fonction. Il lui incombe aussi de couper les scènes au bon moment pour que l’histoire soit lisible et fluide et sans couper les joueurs dans leur élan.

Les retours des 4 premières sessions sont bons et nous avons parfois ajouté quelques ateliers et conseils avant le jeu pour des joueurs peu familiarisés avec ce genre de format ou peu familiarisés avec le monde de l’entreprise, mais je crois que Plan Social reste accessible tant pour des joueurs que pour des organisateurs et il devrait être organisé de nouveau à l’occasion de la prochaine édition de Studio-GN et faire l’objet d’une traduction en anglais rapidement.

Le retour de Matthieu Nicolas sur le jeu

Dans un GN où le jeu “libre” prédomine (+ de 90% de la production hexagonale), la succession ininterrompue de micro décisions est la règle. Le problème de ce régime d’action est qu’il tend à nous effacer en tant qu’agent, notamment parce que l’on peine à voir ce qui a été déterminant. En réduisant le nombre de choix et en les rendant saillant par l’usage de méta techniques, Plan Social rend les choix dramatiques, au sens littéraire du terme : le joueur sait se situer à un moment décisif et aiguille le scénario sur une voie ou sur une autre. Il pourra d’ailleurs se féliciter de ces choix (ou bien les déplorer) lors du debriefing, en discutant de l’arborescence scénaristique, et des destins alternatifs des personnages.
Pour autant, le jeu ne permet pas de “choisir son destin”. La formule est galvaudée, et souffle désespérément dans les trompettes de l’épique. Dans Plan Social, on ne choisit pas son destin, tout simplement parce que le cours des choses garde une part d’opacité. Les conséquences d’un choix ne sont qu’à 50% prévisibles. Le jeu ménage donc quelques surprises, qui pourront contrarier les attentes du joueur. Je détourne au passage une posture de la philosophie morale, le conséquentialisme, pour insister sur le fait que dans Plan Social, une action n’a de valeur narrative que par rapport à ses conséquences.
Créer une arborescence scénaristique, c’est finalement agir en démiurge. C’est trancher dans le chaos des possibles et décider que telle décision aura telle conséquence pour tel personnage. C’est donc nécessairement créer un discours relatif au sujet traité, ici le plan de restructuration d’une entreprise. Choisir comment un personnage sera puni ou récompensé, et de quelle manière, s’il effectue ce choix plutôt qu’un autre, c’est émettre un jugement moral. D’autres auteurs, sur la base du même thème et des mêmes principes de jeu, pourront développer d’autres thèses, rédigées à l’encre de leurs personnages. C’est évidemment bien plus rare dans un GN “classique”, dans lesquels les organisateurs ne manqueront jamais d’être surpris par ce que les joueurs font d’un jeu qui ne leur appartient plus dès le coup d’envoi.
Je n’ai pas pu m’empêcher, pendant et après le jeu, de penser à la théorie de la dissonance cognitive. La théorie de la dissonance cognitive nous a fourni quelques paradigmes expérimentaux assez féconds, dont ceux dit “de la décision” (placé devant un choix, le sujet sera d’autant plus tendu que les alternatives sont également attirantes  et que les conséquences d’un choix sont irrévocables) et de “l’attente non confirmée” (si un sujet constate un écart décevant entre un gain et les efforts qu’il a déployé pour l’obtenir, il aura tendance à survaloriser ce gain). Nous faisons sans cesse des pirouettes pour ajuster nos opinions à nos comportements et nos idées à nos actes plutôt que l’inverse. C’est tellement plus économique !
Cela marche pour des décisions relativement triviales, mais plus encore pour des décisions importantes, voire existentielles.
C’est bien ce qui se passe, au niveau des personnages comme des joueurs, dans Plan Social : les joueurs devront réajuster leurs opinions au fur et à mesure que les choix s’enchaînent et que leurs conséquences se font sentir. Rationaliser les choses devient une question de survie psychique. Ceux qui y parviennent dormiront sans doute un peu mieux que les autres, qui seront livrés à leur amertume, à leurs angoisses et leurs échecs. En tant qu’acteur et spectateur de l’action, j’ai pu voir cela se produire une bonne demi douzaine de fois. J’ai d’ailleurs été surpris de voir à quel point des résultats obtenus en situation de laboratoire pouvaient être reproduits à travers le filtre d’un jeu et de ses personnages.
Plan Social est un scénario découpé en scènes, qui s’enchaînent selon un protocole précis. Un environnement plus contrôlé qui peut le rapprocher d’un petit laboratoire, là où les leviers vous échappent sur un jeu “libre”. J’ai pu ressortir avec bonheur (mais discrètement !) mes vieux cours sur la théorie de l’engagement, de l’attribution causale et de la dissonance.
Sur le plan du contenu, le thème implique parce qu’il se passe “en bas de chez nous”. Les personnages invitent les joueurs qui les incarnent à la nuance (“Handle with Care”). Le scénario, quant à lui, passe lentement par toutes les étapes du deuil : angoisse, doutes, surprise, colère, abattement, chacun trouvant sa porte de sortie. Le choix des méta-techniques (la transparence et la ronde des différents personnages incarnés) autorise chaque participant à voir la fragilité des autres. En clair, Plan social a l’odeur du concret et le goût des autres.

J’ai un peu bleedé en jouant ce gréviste malgré lui pendant une poignée d’heures. J’ai bleedé pour toutes les fois où j’ai pu voir ces choses se faire, et où tant de fusibles ont été mis en place que vous ne savez plus à qui vous en prendre. Pour toutes les fois où ces effets de système, parfois savamment mis en place, vous envoient ce message en lettres clignotantes : “Ça n’a rien de personnel”. Pour calmer la bête… Putain de merde, bien sûr que c’est personnel, enfoiré !

 

 La table de mixage de Plan Social

mixing-desk-lan-social

 

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Baptiste est Gniste depuis maintenant 15 ans, et a commencé par jouer des scénarios maison avec des amis sans vraiment avoir idée de ce qui se faisait autour. C'est plus tard qu'il a pu découvrir ce qui se faisait un peu partout dans le monde et continuer sans cesse de découvrir de nouveaux horizons. Il aime écrire des scénarios et vous pourrez en découvrir certains sur le site www.murder-party.org (Silence on meurt, Plan social). Persuadé que le GN est un art à part entière, Il a écrit un mémoire sur les jeux Grandeur Nature et veut promouvoir les partenariats inter-associatifs pour que notre loisir trouve un jour la place qu'il mérite. Il a l'honneur d'avoir été le Président de la glorieuse FédéGN.

4 réactions à Plan Social – Retour d’expérience

  1. Joué hier soir. Vraiment un très bon jeu. Merci aux auteurs.

  2. J’ai passé un excellent moment avec ce GN et un casting de rêve:)
    C’est vrai qu’il n’y a pas de monstres à taper, qu’il n’y a pas de fiche de personnage et que le thème ne fait pas rêver aux premiers abords.
    On pourrait aussi s’offusquer d’enchainer des scènes que l’on doit préparer.
    Mais bon dieu que ce GN est intense et efficace!
    Plus intense que de taper sur un monstre de carton pâte, plus efficace que les fiches de personnages que j’ai pu lire ou écrire.
    Pour jouer ce GN en laissant de côté pour 4 heures ses habitudes et ses a priori.
    Il sera bien entendu organisé sur Nantes car il a deux qualités rares dans notre loisir : il est facile à mettre en place et ne demande pas de budget pharaonique.
    Merci à mes camarades de jeu et à l’orga.

  3. J’y suis allé sans a priori même si le thème peut paraitre polémique, cependant, tout au long du jeu, je me suis laisser happer par un scénario et une mise en scène très bien penser.
    Il s’agit là d’un jeu d’une rare intensité où les personnages proposés ont été écrit avec justesse.
    C’est bien la première fois que je joue 4 heures d’affilée sans hors jeu ( les séquences de jeu alternent scènes et petits moments de préparations qui permettent tout à la fois de se concentrer et de souffler, mais l’idée de faire du Hors-Play ne m’ait pas venu ).
    Bien sur je ne le conseille pas à quelqu’un chez qui “Plan social” pourrait entrer en résonance avec une expérience de ce type malgré tout je le conseille car il explore bien des aspects de notre humanité ( ni les meilleurs ou les pires et c’est une des forces de ce jeu ).
    Bref, c’est un excellent jeu, bravo aux auteurs.
    Merci à mes partenaires d’avoir partager ce jeu.
    Que Catherine, Edouard et Sebastien connaissent le plus de visage possible car ils le méritent.
    “Plan Social” c’est un bon plan !!!

  4. Ca donne vraiment envie 🙂

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