Critique de GN – L’été 36 : congés payés et mélodrame

Publié le vendredi 2 octobre 2015 dans Critiques de GN

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L’été 36 se présente comme un jeu à l’ambiance légère dans le contexte des premiers congés payés de 1936, après la victoire du Front populaire. On y boira un petit verre de blanc tout en jouant à la pétanque, on fêtera le 14 juillet comme il se doit, on chantera gaiement des chansons d’époque.

C’est surtout pour cette atmosphère annoncée et la présence du chant en jeu que je me suis inscrite sur l’été 36. Je voulais également jouer un pur GN romanesque à la française, moi qui suis un bébé du GN nordique, et me faire une idée. Est-ce que ça allait fonctionner sur moi ? Est-ce que j’allais être touchée ? Je suis arrivée sur le jeu avec un mélange d’envie et d’appréhension.

Le chant en jeu

Avant même de recevoir nos fiches de personnages nous était envoyé un livret de chant : une dizaine de chansons à apprendre, qui plongent dans l’ambiance plusieurs mois avant le jeu – et servent comme rappel du jeu après sa fin. Nous les avons réécoutées en boucle, parfois jusqu’à l’épuisement, afin d’être prêts le jour J.

La majorité des chansons se faisant en groupe, le stress est un peu atténué. On accepte vite l’idée qu’on ne chantera pas forcément bien, mais que tout le monde sera bienveillant.
Chaque personnage a aussi des chansons personnelles : il peut être plus dur de se lancer quand on sait qu’on sera seul, mais la plupart du temps, on trouve le moment propice grâce à des scènes prévues par le jeu.

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Rythme du jeu et enjeux de personnages

Jeu romanesque implique révélations et relecture du passé. Les personnages vont devoir gérer des choses souvent très lourdes qui leur tombent dessus sans crier gare. C’est évident dès la lecture de la fiche : ce 14 juillet sera plus qu’une belle journée estivale entre amis.

Le jeu alterne entre moments difficiles et l’ambiance estivale des congés payés. Il est toutefois compliqué d’aller parler de son petit problème ou d’un sujet futile quand un enjeu bien plus grand occupe le personnage auquel on veut s’adresser. Même lorsque que les événements n’atteignent pas directement notre personnage, cela pourrait sembler indécent de revenir à des sujets légers alors que quelqu’un d’autre vit un drame. Passé un certain point dans le jeu, certaines intrigues deviennent donc presque injouables et c’est dommage car les plus légères sont aussi celles qui m’intéressaient le plus.

L’été 36 demande aux joueurs de jongler avec leurs émotions selon un tempo soutenu, car le jeu est chargé. L’exercice sacrifie forcément au réalisme pour tendre vers l’artifice : j’ai besoin de m’arrêter sur une émotion, de la jouer pleinement sans être parasitée ni devoir passer rapidement à autre chose, faute de devoir “faire semblant”. Le jeu a donc soulevé une question : comment être dans un état d’immersion, présenté comme but ultime par de nombreux joueurs, quand il faut réagir à autant de stimulis, autant d’histoires ? J’aimerais avoir le point de vue de personnes qui pratiquent essentiellement ce style de jeu.

Et alors, t’as chouiné ?
Un peu, je l’avoue. Une partie des événements prévus pour mon personnage ont eu peu d’impact sur moi, d’autres au contraire m’ont tiré quelques larmes et battements de cœur sans que je m’y attende.

Conclusion
L’été 36 est certainement un jeu qui trouve son public, mais qui gagnerait à avoir un rythme plus maîtrisé, afin d’exploiter pleinement son potentiel. Communiquer plus clairement sur l’aspect dramatique plutôt que de centrer le discours sur l’aspect léger aiderait aussi ceux qui s’inscrivent à avoir une vision plus claire de ce pour quoi ils signent. J’ai en tout cas passé un très bon moment et vécu plusieurs belles scènes de jeu. Quant aux chansons, elles tournent encore dans ma tête, petites ritournelles qui ne s’évanouiront pas de sitôt.

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Leïla TETEAU-SUREL

Curieuse de tout, mais avec un goût plus prononcé pour l'expérimental et le contemporain, Leïla est membre active de l’association eXpérience. Elle joue en France et ailleurs et partage le reste de son temps entre l'organisation de jeux et d'événements liés au GN et la traduction et l'écriture d'articles et de jeux.

15 réactions à Critique de GN – L’été 36 : congés payés et mélodrame

  1. Merci Leila pour ce retour interessant. Je pense qu’il faut egalement saluer l’originalite de ce GN “comedie musicale”.

  2. En dehors de l’aspect “comédie musicale” très original, je trouve que ce jeu est un très beau malentendu : il y a plein de choses dedans, des émotions très contradictoires, un rythme un peu foutraque… et pourtant ça marche. Tout ce contenu foisonnant et pas toujours cohérent se percute dans ce qui me semble être un très beau mélange (et pourtant je ne suis pas client du “trop de choses à faire et à explorer”, mais j’ai trouvé que le jeu évitait plutôt bien cet écueil).
    Effectivement il faut savoir où on met les pieds (un jeu aux intrigues plutôt dramatiques) et faire l’effort collectivement de prendre son temps et de profiter des instants de légèreté offerts notamment en début de jeu.

    Merci en tout cas pour ce retour.

  3. Pour répondre à ta question de la fin de l’article, ce qui est amusant, c’set que moi qui suis né dans le romanesque j’ai beaucoup de mal avec les émotions “forcées” des quelques GN nordiques que j’ai fait (mais j’en ai fait très peu donc j’ai peu de recul). Pour ce qui est de l’été 36, ne pas pouvoir faire certaines choses a certains moment peut entraîner une frustration mais qui au final est, à mon sens, autant celle du joueur que du personnage.

    Après, j’ai aussi quelques petite frustration en tant que joueuse sur le jeu mais il reste globalement très bon.

  4. Hello Camille,

    Je veux bien que tu développes sur les émotions “forcées”, car je ne suis pas certaine de voir de quoi tu parles. Est-ce qu’il s’agit de jeux où on t’encourage à jouer sur telle ou telle émotion (un peu comme un thème), ou est-ce autre chose ?

  5. Communiquer. Ce mot est le leitmotiv actuel chez ceux qui pensent et échangent autour du GN. Comme si la communication était de fait une forme de contrat initial. Je comprends cette nécessité de “bien” communiquer. Dommage en effet quand certains joueurs se sentent trahis par un contenu non représentatif de l’idée qu’ils s’étaient fait d’un jeu.
    Là où ça devient complexe, c’est de communiquer sans trahir une volonté de générer des surprises, “prendre à rebrousse poil”. Car même pour ce qui est de la communication, nous n’avons pas tous les même attentes. Pour prendre mon exemple, je déteste quand un jeu est trop défini, expliqué en amont. Pour prendre un parallèle illustratif, le meilleur moyen de m’amener à ne pas voir un film est justement de visionner une bande d’annonce à l’américaine : tout y est, l’intérêt de la découverte est écorné violemment et au final on cherche les moments du film qui font apparaître ces images rapides qui se sont imprimées sur notre mémoire rétinienne durant la bande d’annonce.
    La communication est devenue cette nouvelle idole devant laquelle nous devons venir tous nous prosterner. Exit les surprises massives. Le GN devient un lieu de forte contractualisation. Et on en vient à regretter tout ce qui n’était pas clairement défini dans le contrat initial.
    Je ne dis pas qu’il ne faut pas communiquer. Mais je trouve que les attentes en la matière deviennent excessives et représentatives d’un monde… qu’on cherche à échapper quelques heures/jours en faisant du GN !

  6. @cire
    Erreur. Certains jeux communiquent justement sur le secret qui les entoure, ce qui ne leur empêche pas d’avoir un très bon bouche-à-oreille. Exemples récents: le Z chez RAJR, le 1899 des Masques.

    Exemples plus rares, en effet. La pratique récente a mis en valeur la nécessité de bien communiquer sur son jeu, et sur de plus en plus de points (thèmes mais aussi techniques, tonalité du jeu, personnages, conditions d’hébergement) Quoi de plus légitime? Le GN est une création collective, si les joueurs ne fonctionnent pas tous sur les mêmes bases, c’est le moment où au pire les problèmes apparaissent, au mieux le jeu ne prend pas. Contractualisation? Bien sûr, puisque le GN fonctionne grâce à un contrat de départ (l’orga fournit le cadre, le joueur joue en respectant ce cadre et en interprétant le personnage de manière cohérente et au mieux de ses possibilités)

    En outre, certains jeux représentent un investissement de plus en plus important (temps, finance), il est logique que les joueurs aient besoin d’informations précises pour s’engager. Et pourquoi laisser un joueur s’inscrire sur la base d’informations incomplètes, sur un jeu auquel au final il ne s’investira pas?
    Une fois encore, certains jeux parient sur le fait de ne rien dire aux joueurs de leur contenu, mais c’est en soit un élément de communication. Oui, il y a une évolution dans ce sens. C’est une bonne chose à mon sens. En tant qu’orga, cela m’impose d’avoir des jeux mieux maîtrisés, mieux construits, et d’être plus compétente dans mes échanges avec mes joueurs. C’est une attitude mature, qui vise à établir une relation de respect entre joueurs et orgas.

    En revanche, un modèle en passe d’être complètement dépassé, c’est la bonne vieille surprise en plein jeu, qui est censée créer un facteur choc mais tombe en général comme un cheveu sur la soupe. Au hasard: tu crois être sur un jeu victorien et, ah, twist, invasion de zombies (ou autre variation, en général du fantastique qui s’invite dans un cadre réaliste) C’est une ficelle tellement usée qu’elle en est devenue pathétique (et j’en parle en connaissance de cause), et qu’elle peut largement sortir du jeu même un joueur expérimenté. Et ce d’autant plus que beaucoup de joueurs signeront volontiers pour une ambiance histo-fantastique, certains jeux fonctionnent très bien avec. (Dans mon exemple, si je m’inscris à un jeu “Pride and Prejudice and Zombies”, pas de problème)

    Pour en revenir au sujet principal, ayant eu un personnage très dramatique sur l’été 36, je ne m’attendais pas à avoir un instant de répit ou de “légèreté”, les discordances d’atmosphère ne m’ont pas gênée, mais je vois depuis en quoi ça peut être difficile. Mais c’est pour le compte une convention du romanesque, avoir parfois des émotions diverses qui cohabitent, même si, là encore, ça demande une certaine suspension d’incrédulité. Mais la gestion des émotions en GN demanderait presque un article à part entière.

  7. @Cire : Mais communiquer ne veut pas dire révéler. Si on écrit de bonnes surprises, elles ne seront pas éventées par une bonne communication 🙂 Elles s’intégreront dans l’horizon d’attente du joueur, tout en le surprenant. Et je ne parle pas de savoir qu’on va être surpris (comme par exemple dans un polar), je parle aussi d’être surpris par une révélation en jeu, sans s’y attendre, et ne pas trouver que ça va à l’encontre de ce qu’on attendait de ce jeu a posteriori.

  8. @Muriel : Je suis d’accord sur l’article à part entière. Tu l’écris quand ? 😀

  9. Le jeu que j’ai joué en “nordique” c’était “rileased” (dsl pour l’orthographe) et même si l’ambiance y était, à aucun moment je ne suis rentrée dans le jeu, j’avais vraiment l’impression que je devais me sentir coupable, oppressée mais je n’y arrivais pas. Après, je sais que des jeux comme Huntsville semblent beaucoup plus “retournant” mais je suis maudite : à chaque session, j’ai autre chose de prévue :(.

  10. Je pense que le “problème” de l’été 36 (qui au final n’en n’est pas un) c’est que son thème vehicule forcement une idee plutot legere et positive alors que le jeu n’est pas que ca et pour certains personnages carrement pas. Pour le coup il me semble que les Canotiers etaient clairement en adequation avec leur thème leger et positif.

  11. Camille, je comprends ce que tu veux dire, mais je ne vois pas en quoi ce serait une spécificité de jeux “nordiques”. Si, dans un jeu romanesque, on vient te faire une révélation dramatique, tu es tout autant “forcée” de jouer sur l’émotion qu’on te propose. Parfois ça fonctionne, parfois non.

    Cire, rien à ajouter à la réponse de Muriel, je trouve ça bien dommage d’avoir aussi peur de la communication.

  12. oulala… les interprétations se multiplient. Je n’ai pas peur de la communication, j’évite juste de voir cela comme le moyen d’éviter tous les problèmes, de le voir comme une panacée, comme un contrat gravé dans l’airain. Dis-je que Muriel et toi détestez les surprises ? Non. Même si vous pensez que certaines ne sont pas véritablement bienvenues. Il ne faut pas caricaturer les positions. Mon message avait justement pour but de nuancer certains propos. la communication c’est très important. Je dis seulement que trop communiquer peut avoir aussi des effets délétères pour des gens comme moi. Nous sommes tous différents.
    Après on aura beau discuter nous ne sommes pas d’accord. Muriel qui voit les choses sous le vocable “d’erreur” (en parlant de ma position) ou de “modèle complètement dépassé” (en parlant des gros effets de surprise en jeu) me dérange un peu. Une fois de plus elle se pose en impératrice détentrice du secret universel de chaque chose en matière GNistique. Il n’y a pas de juste ou d’incorrect, il y a des sensibilités, des expériences et des points de vus personnels. Voilà tout.
    J’adore être surpris. Aussi bien dans l’art, le cinéma ou le GN. Je ne vois pas en quoi il y a un modèle complètement dépassé…
    Pour en revenir au sujet initial : l’été 36 a beaucoup communiqué. Peut-être mal. Raison de plus pour dire qu’on peut communiquer beaucoup mais mal ou peu mais bien, une grosse comm n’est pas forcément l’idéal. Si j’avais su qu’il pouvait y avoir une dimension dramatique je me serai préinscrit. Ce que j’en ai lu sentait trop la rose et je me suis abstenu. En lisant cette critique/retour du jeu, je le regrette.

  13. Je salue la diversité des approches de GN, mais je défends une certaine culture de jeu, et je suis intransigeante sur certains aspects, oui, en tant qu’orga comme en tant que participante. Et en ce qui me concerne, la rétention d’information vis-à-vis des joueurs, à moins qu’elle soit clairement assumée et un élément de design (relire ma critique du 1899), me paraît être une faille en termes d’organisation dans laquelle j’ai vu de nombreux jeux tomber, y compris certains des premiers sur lesquels je fus orga. Cela n’empêche pas la surprise, d’autres l’ont dit. Mais après éprouvé une différence significative de qualité de jeu pour tous quand le contrat orga-joueur était posé en termes clairs, je suis convaincue qu’une bonne communication contribue à la réussite d’un jeu. Mais une fois encore, chacun organise (et joue) les jeux qu’il veut (et même y invite qui il veut, dans certaines cultures).

    Un autre bon exemple de jeu qui à mon sens a une communication nickel et carrée sans pourtant tout dévoiler des secrets de son monde: http://www.electro-gn.com/8961-clones-le-gn-de-science-fiction-par-garou-asbl. Le formulaire de pré-inscription propose même de débuter le jeu en ne sachant rien ou presque de l’univers (personnage qui s’éveille au monde qui l’entoure), ce qui offre un potentiel de jeu très intéressant.

    Recentrons. Un des axes de cette critique est que l’été 36 aurait pu mieux communiquer sur son ton et ses intentions de jeu, se présentant en effet comme un jeu “léger”, alors qu’il comportait de lourds moments dramatiques, avec une dualité de ton qui pouvait parfois prendre au dépourvu (une fois encore, jouant un perso 100% dramatique, je n’ai pas du tout eu ce problème, mais je peux comprendre qu’il puisse apparaître). Là dessus, l’été 36 reste un bon jeu, avec, au plus, les revers de ses qualités, et qui a enchanté un grand nombre de joueurs.

    L’un de ses grands atouts, en plus d’avoir vraiment réussi son travail sur le registre de la comédie musicale, et de l’avoir rendue vraiment accessible, même aux non-chanteurs, est également sa grande facilité d’organisation. Matériel facilement transmissible, accessoires demandant peu de mise en oeuvre et d’installation, contraintes de casting moins lourdes que sur d’autres jeux de formats équivalent, il n’est pas étonnant que l’été 36 ait été un des jeux les plus réédités cette année (et probablement l’année prochaine aussi)

  14. Je comprends ton intransigeance. Nous avons tous la notre. Et il est important que nous soyons très au clair avec nous même sur ce point. Cela nous évite de s’inscrire à des jeux dans lesquels on ne se reconnaît pas. Et en ce point la communication sur un jeu est importante.
    Les orgas de l’été 36 ont-ils omis de traiter de la question dramatique dans leur communication pour surprendre ? Si oui, je soutiens la démarche.
    Si par contre c’est une faille de communication, c’est à mes yeux plus dommageable.

  15. Merci Leïla pour ta critique et le débat créé sur ce jeu.

    J’ai en effet aussi connu une légère frustration sur la mise à l’arrière plan de certains éléments d’ambiance et de quotidien du fait d’un événementiel trop chargé (comment faire vivre un bal du 14 juillet alors que chacun à des choses plus importantes à faire ?)

    Au delà de cet écueil, c’est l’un des jeux dont je parle le plus avec d’autres joueurs d’autres sessions. Les personnages romanesques et marquants, leur nombre relativement restreint et les nombreuses rééditions récentes (loués soient les orgas autant que les auteurs) en font un point de référence et de culture commune pour pas mal de la communauté (au moins francilienne) ce que je trouve très appréciable.
    On parle de ce jeu comme d’un bon film (voir d’un film culte). “Tu jouais qui ? Qu’est ce qu’il s’est passé pour toi ? Moi, je jouais Charles, qu’est ce qui lui est arrivé dans ta session ?”

    Un autre point très personnel : la proposition d’inclusion de chansons, très réussie et maîtrisée, qui m’a personnellement permis de réaliser un rêve de gosse (“vivre” une comédie musicale) m’a aussi décomplexé dans l’utilisation de la chanson en jeu. Je m’autorise à chanter, pour l’ambiance, pour appuyer un moment fort, pour créer du lien, même dans des jeux qui n’insiste pas sur cet aspect. Et c’est un grand bonheur…

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