Critique de GN – Rouge comme la Neige

Publié le mercredi 10 avril 2013 dans Critiques de GN,Slide

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La démarche immersive en Vercors et contre tous.

Allez M’sieur Dusse, quand on aura fini le GN, il sera temps de prendre un bon verre de vin chaud

Les 8 et 9 mars derniers, l’association « Les arts dés idées » organisait à La Chapelle en Vercors les sessions 3 et 4 du huis clos « Rouge comme la Neige », un jeu initialement paru en 2006 dans GN mag n°21. Rappelez-vous, la preview c’était ici

À en croire la déclaration d’intention des deux organisateurs, quelques valeurs étaient mises en avant : immersion, autonomie et liberté d’action des acteurs, effort de réalisme prononcé. Ceci, à contre-courant du format initial du jeu, décrit comme “comportant beaucoup de contenu narratif”. Il faut reconnaître que le contexte du jeu suppose un environnement plutôt hostile (haute montagne, neige, froid) et qu’il paraît difficile de prendre la première poignée de GNistes venue pour les emmener vraiment à plus de 5.000 mètres d’altitude, d’où le recours au mode narratif. Entre jeu hardcore au risque réellement mortel et collection d’indices papier, la voie médiane retenue par les organisateurs cherche à concilier illusion, immersion à 360°, ressenti et sécurité. Pour satisfaire leurs exigences, les organisateurs évoquent de longues heures de bricolage, la mise au point de solutions immersives pour l’essentiel du champ d’action des joueurs, et une réécriture partielle du scénario original. Je tue un peu le suspense : les enjeux annoncés furent réalisés, avec un impact réel sur le (bon) déroulement du jeu.

La cordée n°1

Ici commence (pour moi) la difficulté de rendre compte du jeu sans dévoiler son contenu, d’autant plus que le scénario original est librement disponible sur la toile (par exemple, ici) et pourrait probablement être monté par d’autres équipes dans le futur. Alors tâchons de ne rien dévoiler de gênant, tout en soulignant ce qui pourrait encore être amélioré, car l’expérience de ce week-end, quoique réellement des plus plaisantes, et sans bouder aucunement le plaisir retiré, permet quelques conclusions susceptibles d’être utiles à d’autres organisateurs de ce jeu. Et même beaucoup plus largement, à toute équipe s’inscrivant dans une démarche similaire.

Des idées, des efforts, du travail…

Alors, représenter des conditions aussi hostiles sans mettre en danger les joueurs, est-ce possible ? Et surtout, est-ce qu’on y croit ? La plupart du temps, oui. Le Vercors ce n’est pas le Pérou, certes, et la neige présente n’était (heureusement) pas la tempête annoncée. Dans ce registre, la suggestion fonctionne beaucoup mieux que le réalisme total : commencer le jeu par une courte marche d’approche de nuit, autour de zéro degré, sur un plateau de moyenne montagne, voilà qui devrait suffire, sans risque, à installer l’ambiance souhaitée. N’hésitez toutefois pas à ponctuer la marche d’une ou deux difficultés mineures, pour rappeler aux joueurs qu’ils ne sont pas dans un salon où l’on cause, et que chaque centimètre cube d’air leur est précieux.

De la même manière, et toujours en ne dévoilant que des éléments déjà diffusés publiquement dans la communication du jeu, l’arrivée nocturne puis la découverte de la station météo qui attend les secours est une réussite. À la lueur des lampes frontales, le douillet chalet familial prêté pour l’occasion impressionne par ses recoins et ses zones d’ombre. Il s’explore avec prudence tandis que s’installe une atmosphère inquiétante, au gré des portes franchies et des situations découvertes.

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L’introduction réussie, passons au cœur du jeu : il est très aisé et intuitif de s’approprier le décor proposé tant celui-ci a fait l’objet d’efforts visibles. L’agencement général des lieux a été bien pensé. Une foule de détails (ancêtres d’ordinateurs, utilisation du mobilier, accessoires et artifices utilisés) renforcent l’illusion. Le bois, la pierre sont certes très alpins et peu andins, mais l’illusion d’un cadre montagnard de haute altitude fonctionne, à défaut d’une historicité sans importance. Dans la station météo, on retrouve tout ce que le lieu suppose, les indices ne sont pas distincts de la décoration, et la décoration est cohérente : carnets scientifiques, journal des lieux, effets personnels et relevés de mesures climatiques coexistent avec des objets et des documents sans aucun rapport avec le jeu, qu’on ne peut toutefois pas identifier avant d’avoir pris quelques secondes pour les inspecter pour en avoir le cœur net. Loin des items signalés par une étiquette fluo, mais sans tomber dans le travers des indices introuvables parce qu’indissociables du décor, tout le jeu de fouille et d’enquête s’en trouve grandi, et la promesse d’autonomie/liberté des joueurs est plus que tenue.

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Des trouvailles…

Quand l’interaction avec l’environnement du jeu doit être encadrée, parce que tous les personnages ne sont pas compétents pour accomplir certaines actions, notamment, les organisateurs ont prévu des simulacres à la fois ludiques et représentatifs des savoir-faire concernés. Là encore, difficile d’en parler sans trop en dire, sinon – et par exemple – que si votre personnage est à même de réparer un objet quelque peu technologique, il sait comment s’y prendre, reste à trouver les bonnes pièces détachées… ou à les fabriquer, grâce à un système astucieux qui concilie talent réel du joueur, temps passé et mise en scène.

Ce n’est que dans de très rares cas qu’un organisateur doit intervenir pour communiquer une information autrement trop difficile à diffuser, ou “valider” une action réalisée complètement en jeu. Ce qui se passe toujours très bien et de façon très fluide, car les deux organisateurs maîtrisent complètement ce volet du jeu, sont toujours très présents dans l’espace du jeu sans créer la moindre intrusion, et réagissent immédiatement sur un simple clin d’œil ou un geste discret, sans jamais briser l’immersion. D’ailleurs, le terme de validation est mal choisi : certaines actions entreprises en jeu ont été suivies de conséquences qui nécessitaient parfois d’être déclenchées par les organisateurs, plutôt que d’être approuvées.

Avec un réalisme poussé parfois très loin, ce sont même les joueurs qui freinent parfois, attendant une approbation des organisateurs, comme quand il s’agit de casser – pour de vrai – un – vrai – cadenas avec une – vraie – masse. Approbation qui vient vite et discrètement, le parti pris réaliste est respecté.

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Une première conclusion ici pour souligner la réussite de la démarche des organisateurs : le jeu fut fluide, rapide, intense et même parfois nerveux, grâce à une préparation logistique très importante et une réflexion intégrale et pertinente sur l’environnement physique du jeu.

Des limites de la mise en scène…

Sans revenir sur les qualités de ce jeu tel qu’organisé par Les arts dés idées, l’expérience souligne les limites de la démarche immersive. À commencer par l’adéquation entre le contenu du jeu et la démarche elle-même. Je reprends ici une autre information publique pour éclairer mon propos et reproduis ce qui figure dans la scénariothèque du site www.murder-party.org au sujet de “Rouge comme la Neige” :

On a aimé
– le scénario est plein de surprises, de rebondissements, le thème est original
– le cadre du jeu et la gestion des événementiels favorisent l’immersion

On a pas aimé
– la mécanique du jeu nécessite trop souvent la présence des organisateurs
– les intrigues sont coïncidentales et manquent de cohérence

Sur les trois premiers points, les organisateurs ont su valoriser les qualités du jeu et minimiser, voire supprimer ses défauts réputés.

Sur le dernier point, et malgré la réécriture partielle, la prescription réussie d’immersion ne suffit pas à soigner le mal. On a parfois l’impression, pendant le jeu, que l’histoire en marche n’est effectivement pas à la hauteur des efforts déployés pour la mettre en scène. Même filmé par Spielberg, avec des FX de furieux et un casting de rêve, Oui-Oui mange des spaghettis ne fera pas un carton auprès des critiques, pour prendre une comparaison très imagée et sans doute trop cruelle, mais tellement réjouissante.

FRANCE-CLIMBING-DEATH-HERZOG-FILES

Entièrement conçus pour cette histoire, les personnages n’échappent logiquement pas toujours à ce sentiment d’incohérence. Par exemple, quand on compte moins de vrais alpinistes dans une expédition de secours très risquée, que de doigts intacts à la main de Maurice Herzog, le jeu vous rappelle à la réalité d’une murder-party dont le faisceau d’intrigues est parfois un joyeux fourre-tout…

Les personnages demeurant assez synthétiques, ce qui n’est pas gênant dans une approche où c’est principalement le joueur qui agit dans l’environnement du jeu, il n’y a pas beaucoup de matériau narratif auquel se raccrocher pour se maintenir dans une réelle interprétation du personnage. Il est aisé de délaisser le roleplay pour la caricature (même si c’est souvent réjouissant, compte tenu des personnages proposés). Et le risque que la compétition prenne le pas sur la plausibilité est bien réel.

Ce sont de moindres défauts compte tenu de la densité et de la relative brièveté du jeu qui ne laisse jamais de place à l’ennui (annoncé entre 4 et 6 heures, notre session n°4 a terminé, de mémoire, dans la tranche basse).

C’est réellement le différentiel entre les efforts déployés et l’histoire proposée, entre la forme et le fond, qui est perceptible et devient regrettable. Le travail fourni aboutit à un bon jeu. Avec des intrigues moins coïncidentales et une écriture plus approfondie, une réflexion plus poussée (peut-être par le biais des relations interpersonnelles, à peine esquissées ?), je demeure certain que ce jeu aurait pu se hisser au rang des expériences exceptionnelles.

… ou des limites de l’histoire ?

Le décalage relève peut-être aussi des rythmes et des formats de jeu très différents, induits d’un côté par la mise en scène et de l’autre par l’histoire. Dans l’environnement immersif ici proposé, le jeu fonctionne mieux et plus rapidement que lorsqu’il dépend – entre autres – de la disponibilité de l’organisateur affecté à la remise d’indices, j’en retiens d’ailleurs pour témoin les difficultés de mise en commun d’informations au début du jeu, tant ces informations arrivaient vite, au gré des découvertes accomplies et éventuellement partagées par chacun. Passé la confusion, le logique moteur coopératif correspondant à la situation du moment s’est essoufflé. Des groupuscules se sont formés, voire certains ont commencé à évoluer en solo.

Deux tendances de jeu se sont alors opposées : celle poussant le joueur à reconstituer le fil des événements ayant abouti à la présente situation, ce qui correspond à la classique reconstitution de la backstory générale, attitude tournée vers l’enquête et le passé, reposant sur les indices (terme à prendre au sens large) et le partage d’informations, éventuellement la réussite de ses objectifs personnels, eux aussi établis en fonction de la trame générale. Ce qui s’inscrit dans un format de murder-party très classique, et demeure possible sans effort particulier de mise en scène.

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Et une autre tendance poussant le joueur à sortir de la présente situation, sans forcément tout comprendre du scénario, en prenant un peu de temps pour analyser à froid les événements, comprendre quels leviers avaient quels conséquences, agir dans l’espace du jeu puisque cet espace était cohérent et réactif, et avancer en autonomie. Quitte à relativiser ses propres objectifs personnels, ou, plus exactement, les actualiser à la lumière des événements récents, et redéfinir ses priorités. Une tendance reposant sur l’action, vers l’avenir. Un format de jeu très différent, rendu possible par un environnement de jeu superbement adapté.

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À l’issue de ce jeu, en tentant de faire abstraction de mes propres goûts, de mes propres attentes en matière de jeu, je n’oppose ni ne juge ces deux comportements. Ils peuvent exister exclusivement l’un de l’autre, s’alterner, être complémentaires, ou même idéalement se rejoindre dans une heureuse fusion. En revanche, ils naissent dans des terreaux différents, et ont besoin d’une attention spécifique pour grandir et atteindre leur maturité respective, puis, selon les besoins du jeu, être bouturés, retaillés, se voir poser des tuteurs avant de se rejoindre et d’éventuellement former une treille harmonieuse.

Ici, la plante « Mise en situation » a fait l’objet de toutes les attentions. Les personnages succincts mais suffisants auraient permis de se passer d’un scénario et de se focaliser sur l’action. Mais c’est un pari qui peut apparaître risqué, et il n’est même pas forcément naturel pour un organisateur de GN d’imaginer des situations de jeu déconnectées de toute intrigue (à la Jeepform, me souffle-t-on dans l’oreillette).

On voit le bas de la piste, M’sieur Dusse, c’est enfin l’heure d’un bon verre de vin chaud

Y avait-il une solution pour rendre honneur à la mise en scène sans écrire un scénario complètement original ? Je ne le crois pas. Si je regrette ce manque de convergence, je ne regrette toutefois absolument pas ma participation au jeu. Par ailleurs, je suivrai attentivement l’actualité de Les arts dés idées, dont les valeurs ludiques sont des plus honorables : j’ai apprécié l’intégrité de leur démarche, je salue à nouveau la qualité du travail accompli, d’une part. D’autre part, si la page web de l’inscription au jeu mentionne une PAF de 20€, celle-ci ne couvre absolument pas les frais d’organisation du jeu, elle n’est utile que pour impliquer les participants. L’intégralité des quatre sessions a été financée par des actions préalables de l’association, qui réfléchit également à la tenue prochaine de jeux à prix libre, dans un souci général d’accessibilité du GN à un public débutant et/ou très peu fortuné.

Parce qu’en plus, ils sont super sympas.

Crédits photos: Sébastien Decoster, pour l’association Les arts des idées

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Bross

Je joue et organise depuis 1994, avec un souhait militant de variété et de renouvellement des expériences ludiques.

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7 réactions à Critique de GN – Rouge comme la Neige

  1. Je profite des hasards du calendrier de parution pour signaler que ce week-end, l’association organise la béta-test de son prochain jeu, à thème post-apo. Nous reviendrons sur ce sujet dans ces colonnes pour une preview dès qu’une date sera annoncée.

  2. Rouge comme la neige… Ma casserole d’auteur…
    Comparer ce scénario à Oui-oui c’est encore trop gentil.

    Je ne pourrais jamais que trop conseiller à de futurs orgas d’oublier ce scénar et de se consacrer à des “productions” de meilleure qualité.

  3. Vous êtes sur qu’il est en téléchargement gratuit ? Je ne vois qu’un bon de commande pour le gn mag et des aides de jeu. (Le commentaire de Beus m’intrigue ^^)

  4. Effectivement tu as raison Tilleul. Il est disponible sur commande du GNmag correspondant pour 5€.

  5. Joséphine Verneuil

    Tilleul, Beus n’était pas le seul auteur à avoir écrit ce scénario, et si je reconnais qu’on est loin d’une Valse des Pantins ce scénario reste tout à fait décent. J’ai eu le plaisir de le jouer au stock de Rôle, avant l’incendie, dans une mise en scène immersive pour la première partie et narrativiste-dirigée une fois arrivés dans la station meteo. Le mix a parfaitement fonctionné et j’en garde un bon souvenir. Si tu penses l’organiser, ne suis pas à la lettre le scénario de GNMag, mais tourne-toi vers des gens qui l’ont organisé (Marie-Claire par exemple).

  6. Durant la troisième session il y avait aussi un cinéaste de talent qui nous a fait un superbe bande ,

    /!\ certains la trouve révélatrice d’intrigue /!\

    http://www.youtube.com/watch?v=wB0ol0qmZpc

  7. Joséphine je ne peux considérer ce scénario comme décent, un jeu avec des coïncidences et des histoires improbables comme y en a pas dans les Max Pecas (*), car je ne veux pas qu’on tire la qualité vers le bas. Y a des tas de jeux scénaristiquement bien mieux foutus. Rouge comme la neige c’est juste n’importe quoi.

    Après l’ambiance qu’on a voulu créer à l’époque était sympa, l’idée de base de la mise en situation très bonne.
    Et je reconnais qu’on peut s’amuser de tout.

    Mais quand même…

    (*) et comme ne me parle de Providence ou de Fatalité pour remplacer la fainéantise de scénariste.

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