Ou
Tout ce que le GN peut vous apporter, sans efforts
Ceci est un billet rangé dans la catégorie Humeur. Sentez-vous néanmoins libres de commenter, critiquer, objecter, et même souligner les faiblesses du présent raisonnement. Je serais heureux d’en prendre note. Vigoureusement. Avec toute mon attention.
Ce préambule amical établi, peut-être connaissez-vous la courbe de l’adoption des technologies de Gartner mieux connue sous le terme “Hype Cycle”.
- Réponse a) Oui, vous en êtes même fier, votre réflexe spontané est d’ailleurs de penser “et je la connaissais bien avant toi, attardé !”. Vous êtes un détestable hipster et voici mon conseil : changez vite de fringues et rasez-vous la moustache avant d’avoir des embrouilles avec vos voisins excédés.
- Réponse b) Oui, mais vous ne l’avouerez que sous la contrainte. C’est pour le boulot, vous n’avez pas choisi. D’ailleurs, vous ne portez pas la moustache. Courage.
- Réponse c) Non ? Rassurez-vous, vous n’avez pas raté grand chose.
Largement contestable et même inappropriée, puisque portant sur les nouvelles technologies – a priori, rien à voir avec le GN – la courbe de Gartner présente toutefois une qualité : celle d’illustrer rapidement et parfaitement la réflexion qui va suivre.
Mais d’abord, achevons cette présentation :
Résumons : une technologie apparaît. Elle suscite des espoirs largement surévalués. Puis déçoit beaucoup. Le tout dans un temps relativement court. Puis, dans un temps plus long, elle trouve des applications qualifiées de productives et s’installe durablement dans le paysage.
Préalablement intrigué par un choix de termes évoquant le New Age ou pire, le marketing 2.0, vous avez prêté attention à la légende de l’abscisse et de l’ordonnée, et déjà compris qu’il ne s’agit pas, en réalité, d’une courbe de développement, de croissance ou d’apprentissage : l’objet de la courbe est la variation de la visibilité dans le temps, du néant à la surexposition, puis à l’oubli, puis à la reconstruction progressive d’une visibilité plus réduite, mais aussi plus stable.
Une courbe qui décrit le… phénomène de mode.
Au sens de tendance, engouement irrationnel, “cet automne sera violet”, “l’I-Prout 7 c’est vraiment must have”, tout ça.
Emballement => Déception => Reconquête => Assimilation. Je n’essaie pas de vous convaincre que l’acronyme E.D.R.A existe en théorie marketing, je n’en sais fichtrement rien, mais je trouve que ça claque, alors voilà.
Un exemple ? Parlons fringues, puisque c’est le domaine privilégié de la mode.
Quittons à présent l’horrible monde des trend analysts et des NTIC pour revenir à notre loisir commun, le GN. En quoi cette courbe peut-elle s’appliquer à de grands enfants qui font les cons costumés dans des lieux improbables ?
Déjà, parce que le GN n’est pas exempt de ce type de fâcheux phénomènes de mode.
Démonstration(s) :
J’arrête là, c’est toujours amusant de tirer sur des cibles faciles et offertes, mais ce n’est toujours pas le propos de cet article.
Le propos, comme annoncé en introduction, c’est ce qu’illustre – sans doute malgré elle – la trajectoire de cette courbe, et ce qu’elle peut nous apprendre sur nous-mêmes, sur les autres, sur la communauté et tout ce qui gravite autour. Soyez attentifs à la légende de chaque graphique qui suit, il y a de petites retouches. Et de la pipologie, mais pas que.
Gartner appliqué à l’écriture de GN
Gartner appliqué à l’organisation logistique d’un GN
Gartner appliqué à l’interopérabilité relationnelle dans le GN
Gartner appliqué à la monétisation (♥) du GN
Ça y est, vous comprenez enfin le choix du titre de cet article. Tout clin d’œil à l’actualité récente est volontaire.
Une critique souvent répétée à l’encontre de la courbe de Gartner souligne qu’un certain nombres de “trucs émergents” tombent dans l’abysse et disparaissent purement et simplement, parce qu’ils ne trouvent jamais un public assez motivé ou obstiné pour gravir la pente, trouver l’illumination, et s’installer sur le plateau de productivité de la nouveauté. C’est une critique pertinente pour la technologie et tout aussi largement pour le GN.
Si je ne le souhaite à personne, je constate que le taux de survie des associations de GNs, depuis que des statistiques sont à peu près tenues, confirme la pertinence de la critique : passé l’emballement initial du (des) premier(s) GN(s) organisé(s), un grand nombre d’acteurs disparaissent (ou évoluent, mais d’un point de vue visibilité, changer de nom / marque / culture, c’est tout comme disparaître). Scission sismo-sismique à l’intérieur du groupe, bad trip, divergences artistiques, burn out, coucheries conflictuelles, essoufflement créatif, reprise d’études, pouponnage ou victoire de la Vraie Vie, les causes ne manquent pas. Les mêmes statistiques semblent confirmer que, à l’instar des entreprises nouvellement créées, les structures organisatrices qui survivent à leurs premières emmerdes années tendent à s’installer durablement dans le temps.
Il en irait de même pour les auteurs de jeu, dont certains cesseront de produire après une déception amère, tandis que d’autres s’obstineront et parviendront à trouver leur rythme de croisière, en renouvelant leur créativité pourquoi pas, plus sûrement en s’installant dans un genre particulier qui leur correspond et leur réussit. Pour les joueurs, itou. Pour les modes qui traversent notre communauté, reilpa. Pour les ambitions professionnelles, one again.
Alors changeons d’échelle dans le temps : si mon aimable lectorat veut prendre un peu de recul et cesser de souligner la subjectivité totale des bases du présent raisonnement, il constatera qu’une fois pondérée, la courbe de Gartner ressemble à s’y méprendre à une courbe d’apprentissage. Comme celle que vous montrait votre gentil moniteur d’auto-école pour vous réconforter de vos échecs répétés à réussir un créneau en moins de quatre manœuvres.
La synthèse est possible entre l’engouement excessif et la déception douloureuse : par la pondération de l’engouement comme de la désillusion, quand on s’en laisse également le temps, on accède au plateau convoité par une pente plus douce. CQFD.
Cette dernière courbe nous apprend que ceux qui surmontent leurs désillusions successives, qui ne tombent pas de la courbe ni ne demeurent indéfiniment dans une abysse, peuvent atteindre des sommets inespérés.
Ce n’est pas linéaire, puisqu’il faudra multiplier les engouements excessifs et les déceptions cruelles.
Ce n’est pas confortable, puisqu’il faudra, sur la durée, continuer à grimper, à produire un effort.
Surtout, ça n’est pas garanti, car ça repose sur l’entretien d’une curiosité permanente, d’une capacité à vouloir aller au-delà de la difficulté qui se dresse devant soi, sans aucune idée de la destination finale.
Par rapport à une autre activité majoritairement amateur et associative, comme le football, par exemple, le GN a ceci de particulier qu’il n’a pour l’instant achevé aucun cycle qui lui permette, a posteriori, de se structurer et de se pérenniser. Comparons les instantanés du monde du GN pris aujourd’hui, il y a 5 ans, 10 ans, 15 ans, etc. Le GN change, dans des directions très différentes, à des vitesses très différentes. Tandis qu’un club de foot, photographié à 5, 10, ou 15 ans, sera toujours concentré sur une pratique exhaustivement définie (un ballon, un terrain, 22 bonhommes) et son public réparti dans des cases convenues selon l’âge (poussins, juniors, vétérans III) et le niveau (tournoi des jeunes du quartier > professionnels avec des salaires fantabuleux).
Je ne suis pas en train de plaider pour la structuration du GN à l’image d’un sport/loisir de masse comme le football. Déjà, je ne suis pas certain que cette perspective me plaise, mais surtout, je crois vraiment que nous n’en sommes pas là. Je crois que notre loisir commun n’a pas encore révélé son entier potentiel, qu’il reste de nombreux territoires inconnus à découvrir et à coloniser. Nous sommes lancés, sans concertation ni consensus préalable (c’est rien de le dire) dans une exploration, dans un voyage, dont les moteurs sont la passion, le plaisir et la curiosité. Il n’est pas étonnant que, dans la multitude des acteurs désynchronisés du GN, certains nouveaux venus s’enflamment bruyamment, pensant avoir inventé l’eau tiède, tandis que d’autres, qui ont déjà trouvé discrètement le thé et le sucre, moquent la naïveté des premiers. Néanmoins, comme chacun prend une route différente, les vétérans auraient bien tort d’ignorer ou de gêner les nouveaux : ils pourraient ouvrir de nouvelles routes (l’infusion et le nuage de lait ?) et élargir encore l’horizon.
C’est le moment de l’envolée lyrique : Oh ! hé ! Explorateurs de l’océan, l’immensité est devant nous, qu’allons-nous faire ? Faire feu de tous nos canons et nous entre-tuer pour qu’un seul navire règne, seul, sur un océan vide ? Tracer des lignes sur la mer et exiger un péage comme de vulgaires pirat€$ ? Ou échanger nos carnets de bord, partager le récit de nos voyages, répondre aux équipages en détresse et sceller nos amitiés dans le rhum ?
Bross
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24 avril 2013 at 9 h 10 min
Ah ben si y’a du rhum, forcément, ça change tout !
24 avril 2013 at 9 h 56 min
Pour continuer dans la métaphore sportive footballistique (sans les putes, la coke et le fric facile pourtant…)et le ludique.
http://socio-anthropologie.revues.org/index174.html
24 avril 2013 at 10 h 35 min
‘Tain, du coin de l’œil j’avais lu “Des putes, de la coke et de la fricadelle”. Je suis déception.
24 avril 2013 at 10 h 46 min
Belle illustration de la légitimité des Knuttepunkt, GNiales, GN’idée et autre BELarp. Qui réconfortera sans doute les aigris désillusionnés clmant “j’ai déjà tout vu en GN”.
24 avril 2013 at 10 h 47 min
Ca manque de nazis par contre.
24 avril 2013 at 10 h 55 min
Une tasse de thé, un nuage de lait, et le talent littéraire de Bross.
Monsieur, je suis fan de vous.
Tu veux pas écrire notre Steampunk avec nous? On ne mettra pas de corsets à motif engrenages, promis.
24 avril 2013 at 11 h 21 min
Hé… pas mal ton article (avec l’accent sicilien). Bon, du coup je me replonge dans ma préparation d’enquête en tentant d’intégrer d’autres trucs et des bidules…
Sinon, ta courbe d’apprentissage, de Garner etc. ça ressemble aussi à s’y méprendre à un pic d’influx nerveux. Comment ça c’est pareil?
Merci pour le billet, ça met de bonne humeur.
24 avril 2013 at 13 h 22 min
J’aime beaucoup ce que vous faites cher ami et je trouve votre réflexion très juste.
Ceci dit je ne saurais résister à l’envie de pointer du doigt que vous avez conjointement une pilosité faciale et une connaissance, voir une certaine maîtrise, de la courbe de Gartner :p
24 juillet 2013 at 16 h 50 min
Sauf erreur de ma part, j’ai l’impression que le week-end dernier, des gens ont essayé de mixer les courbes “Trône de Fer” et “Adhésion du public”.
Dont je rappelle les éléments clés : Pic de la Réinvention du genre médiéval fantastique pour adultes, Pic des putes, de la coke et de l’argent facile, Abysse des complications judiciaires.
2 pics, ça me paraît casse-gueule. Du genre à voire l’abysse se creuser deux fois plus profond. Mais je ne demande qu’à être convaincu du contraire !