Critique – L’Envers du Décor

Publié le vendredi 15 avril 2011 dans Critiques de GN

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    Un site de jeu correspondant parfaitement à l’esprit du GN peut souvent faire toute la différence. Cette réflexion m’apparaît avec encore plus de force à la suite d’un jeu comme L’Envers du Décor, organisé près d’Angers par l’association A3DL, lors de deux sessions successives les 26 et 27 mars 2011. Ce GN annoncé sur un thème « Angoisse » prend place dans une ancienne maison de retraite médicalisée laissée à l’abandon du jour au lendemain, et équipée comme si le personnel allait subitement réapparaître. Difficile à croire tellement c’est fou, mais c’est pourtant vrai et c’est ce qui en fait un cadre absolument idéal.

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    Dès leur arrivée sur le site, les joueurs sont pris en charge en jeu. Les personnages, tous stars de la musique en villégiature, y sont accueillis par les employés de la clinique où ils vont passer quelques jours, on les mène à leur chambre, puis ils passent une soirée relativement calme à faire connaissance avec les autres et à se familiariser avec les lieux et le personnel. Cette mise en confiance ne dure pas, et c’est à la nuit tombée que le jeu commence réellement.

   Profitant de l’obscurité et de l’isolement des personnages, chacun dans sa chambre, les organisateurs commencent à faire basculer progressivement l’ambiance du jeu vers l’angoisse, comme ils l’avaient annoncé auparavant. Certaines scènes qu’ils font vivre aux joueurs à ce moment-là sont particulièrement réussies, avec de belles idées de mise en scène des phobies des personnages, mais on peut regretter que les auteurs n’exploitent pas davantage ce moment de jeu particulier, surtout après avoir joué sur l’attente, qui a mis les joueurs en condition psychologique nécessaire, mais qui peut leur laisser un sentiment de frustration si elle n’est pas résolue.

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    Le lendemain matin, c’est encore un nouveau GN qui commence, il ne s’agit plus vraiment de faire « peur » aux joueurs, mais plutôt de retranscrire une atmosphère étrange, mettant mal à l’aise, où l’angoisse est plus diffuse. Cette clinique n’est définitivement plus la même que celle de la veille, et les personnages vont apprendre à la redécouvrir. Cette phase de découverte amène elle aussi son lot d’adrénaline, servie par une logistique impeccable et de bonnes idées d’organisation. L’emploi du temps des personnages est cadré, ainsi que les lieux où ils sont censés être, et ces contraintes qui sont là pour qu’on les enfreigne font tout le sel de cette partie du jeu. Chaque écart au règlement engendre des punitions allant de l’isolement dans une pièce obscure pendant plusieurs minutes au passage sur la table du chirurgien qui vous explique calmement qu’une seule oreille vous suffit amplement. Un carnet dont les pages s’effeuillent progressivement indique à chaque joueur l’évolution de sa santé mentale, et le basculement dans la folie la plus totale n’est pas loin.

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    En revanche une fois cette phase de découverte passée, le jeu n’évite pas l’écueil d’une intrigue globale très classique, avec une énigme assez linéaire que l’on résout progressivement, une liste d’objets à récupérer aux quatre coins du site, et la préparation d’une scène finale dont la réussite permettra à tout le monde de se sortir de là. Cette intrigue est plutôt bien pensée, notamment avec une scène finale originale et amusante, et elle pourrait être particulièrement intéressante pour trois ou quatre joueurs, mais le fait que les seize personnages soient tous concernés au premier plan a tendance à les absorber de telle façon que les joueurs ne forment plus qu’un seul groupe avec quelques leaders et les autres suivant la marche, toute la portée dramatique de l’intrigue s’en trouvant fortement diluée.


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    Si j’ai esquissé cette vue d’ensemble du jeu sans trop m’attarder sur les personnages, c’est que je vais m’y intéresser davantage maintenant que le cadre est posé et que vous devez avoir une meilleure idée de ce à quoi ce GN pouvait ressembler.

 

    Les théoriciens du scénario distinguent les scénarios « plot driven » (menés par l’intrigue, où les personnages réagissent à une histoire qui existe par elle-même), des scénarios « character driven » (menés par les personnages, où ce sont leurs actions qui créent l’histoire). L’Envers du décor est un scénario assurément « plot driven », et on sent très rapidement que les personnages ne sont qu’un prétexte pour découvrir l’intrigue liée à la clinique que nous ont concoctée les auteurs du jeu. Cependant, on peut se poser la question de la légitimité de ces personnages.

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L’idée de stars de la musique, toutes différentes, allant du jazzman au chanteur disco sur le retour, et en passant par le rappeur et le chanteur de reggae, a l’avantage de créer une identité visuelle forte particulièrement appréciable dans un GN. Il est très facile de savoir d’un seul coup d’œil qui est qui, pour les joueurs comme pour les organisateurs et PNJ. De même on appréciera le contraste entre ces artistes fiers de leur différence et arborant des tenues extravagantes, et cette clinique cherchant à les faire entrer dans le moule et à les uniformiser. À cet égard, l’idée de les forcer à tous porter la même chemise est particulièrement bien vue.

 

    Cependant, en faisant de ces personnages des caractères excentriques, souvent proches de la caricature, les auteurs du jeu incitent à une forme de parodie qui se marie mal avec le thème de l’angoisse. Il est parfois difficile pour les joueurs de savoir sur quel pied danser, et si certains feront le choix d’un sérieux à toute épreuve, nécessaire à l’ambiance oppressante visiblement voulue par l’équipe d’organisation, d’autres se laisseront plus facilement aller sur la voie du second degré que leur personnage semble suggérer. 

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Cette absence de corrélation de ton entre les personnages et l’intrigue, peut-être due à la méthode d’écriture du jeu, scindée entre les différents scénaristes, est à mon avis ce qui a contribué le plus à ne pas accentuer davantage ce sentiment d’oppression, de malaise et d’angoisse que le jeu essayait de créer. Dans un scénario « plot driven » comme l’Envers du Décor, il me semble important que les personnages soient pensés au service de l’ambiance suscitée par l’intrigue, et si le côté libertaire de ces personnages se marie bien avec l’atmosphère du GN, on peut regretter que leur caractère, parfois excessif, ne soit pas toujours le plus approprié au ton du jeu.

 

    Dans un scénario de ce type où le passif des personnages (leur backstory) a bien moins d’importance à mon avis que la façon dont il vont réagir à leur situation nouvelle, peut-être aurait-il fallu que les fiches de personnages s’intéressent davantage à guider les joueurs dans leur réaction face au surnaturel et à la peur, plutôt que d’esquisser, même de façon très légère, des intrigues relationnelles entre eux qui n’ont de toute façon guère d’intérêt dès que le rapport des personnages à la clinique prend le pas sur le reste.

 

    L’Envers du Décor est un jeu plein de bonnes idées dont plusieurs scènes restent en mémoire, et il est réussi sur bien des aspects, mais laisse néanmoins un arrière-goût d’inachevé. Sans doute faut-il jouer ce GN en gardant à l’esprit que c’est en restant sérieux que l’ambiance voulue pourra prendre, malgré la tendance parodique des personnages. En tout cas, cela donne envie de savoir ce que les auteurs nous prépareront la prochaine fois !

 

L’Envers du Décor – A3DL

Guill aume Co rdier

Fré déric G oxe

www.a3dl.fr

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GNiste depuis le début des années 2000, cofondateur de l'association eXpérience, Vincent est présent sur Electro-GN depuis son lancement en 2011. Après une trentaine d'articles, il se consacre désormais davantage à la gestion quotidienne du site et à la planification des nouveaux articles. Convaincu qu'il y a encore énormément à découvrir sur le GN et ce qu'il permet, il espère que de nombreux GNistes continueront d'écrire et de partager leurs réflexions sur Electro-GN ou ailleurs.

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10 réactions à Critique – L’Envers du Décor

  1. Hum… ça fait envie.

  2. Merci pour cette critique.

    Le site était à usage unique ?

  3. En tout cas, ca m’a l’air d’être un super site.

    A propos de la création de pj, je tiens à donner mon avis de mj biclassé Chtulu/Kult.

    Faire commencer tout le monde dans des bg de “monsieur tout le monde” peut être une bonne idée pour permettre de coller les réactions des joueurs à celle de leur perso.

    Ça limite les jeux stéréotypés surtout que le surnaturel peut venir de situations peu exceptionnelles.

    On peut faire de chouettes background sans forcément avoir recours à des personnages hors du commun.

    Mais personnage atypique ou non, je pense que le backstory devrait être construit de manière à faire écho au scénario tout en restant subtil et non exclusif.
    Je vais prendre un exemple ultra archi classique du genre l’horreur pour clarifier mon propos.

    Imaginons un perso qui a perdu sa fille Alice dans un accident il y a quelques années.

    Si dans le scénar on prévoit une “apparition” d’une fillette se prénommant Alice, le pj concerné sera normalement touché par le rapprochement entre cette entité et sa fille.
    Ca peut créer du jeu et ça augmente le trouillomètre, ça peut pousser le joueur à montrer d’autre facette de son perso même si celui-ci est “extreme”.

    Ce genre de backstory peut être facilement inséré dans n’importe quel historique de personnage.

    De plus cette entité étant intrinsèquement flippante, elle “fonctionne” sans problème avec les autres joueurs. Le perso ne viendrait pas que son rôle pourrait rester le même.

  4. La fin de mon post n’est pas clair, je voulais dire que l’apparition peut servir au scénar que le joueurs père soit la ou non.
    Ce backstory pousse le joueur à réagir avec cette fillette mais ca n’empêche pas les autres joueurs de faire de même.
    On a donc à la fois un plot et un character driven.

  5. @tilleul : je trouvais ça clair. c’est intéressant ton exemple parce que c’est le genre de chose que je vois assez rarement en GN : Une info qui n’est rien de plus qu’une piste. le pj peut
    l’explorer ou non. Ce n’est pas un aspect du scénario qui lui est réservé. On lui donne juste de la matière au départ mais on ne lui sert pas l’aventure sur un plateau.

  6. Merci pour cette critique, constructive et sérieuse.
    Pour le site, ça doit être possible de le ré-exploiter je pense. Le plus simple c’est de prendre contact avec nous (A3DL).

  7. je rejoins totalement cet article. Et je vois où tu veux en venir Tilleul. Evitons juste d’appeler la fille alice dans la réapparition ça fera moins coïncidence forcée. (bon là je chipote)En faite
    on se rend compte que le personnage est quoiqu’il arrive le nerf de la guerre. Les orgas auront beaux mettre une tartine d’evenementiel, ce sont bien les joueurs qui font le jeu et l’ambiance.

  8. Les joueurs plutôt que les orgas ? Les deux surtout !
    Imaginer que les joueurs font tout le jeu (et tout autant imaginer que les orgas font tout le jeu) me semble assez proche de l’hérésie.

  9. @Pascal : Je crois que ce que veut dire Sly, c’est que les orgas “font tout le jeu” avant le GN, en écrivant les personnages. Et que les joueurs “font tout le jeu” pendant le GN, en interprétant
    les personnages. Mais je peux me tromper :).

  10. non non tu te trompes hoog…:-) ! Mais bien sûr, ne retirons pas le travail des orgas, bien au contraire. Mea culpa. Sans orga, pas de jeu. Mais je trouve que parfois il y a un peu de “gâchis” si
    l’orga perd de vue cette variable dans sa prépa. ça parait tellement évident mais dans le jus ça l’est moins. Maintenant je n’ai jamais rien organisé d’envergure alors la critique est facile, j’en
    suis conscient. Pour en revenir à l’article, j’ai vraiment ressenti les mêmes choses que Vincent alors que nous n’étions pas sur la même session. Mais je pense que notre session à vraiment essuyer
    les platres (comme toute première session qui se respecte). Et les orgas ont très bien réagis et en ont tiré de l’experience pour la deuxième. Reste la partie perso qui était difficilement
    rectifiable entre les deux sessions successives.

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