Critique de GN : Un Autre Monde

Publié le lundi 9 juillet 2018 dans Critiques de GN,Slide

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Le GN “Un Autre Monde” hébergé par La Compagnie du Yucca se déroulait du 15 au 17 Juin 2018 à Langon, proche de Bordeaux. GN-concept, il promettait à ses 35 joueur.e.s d’interpréter des GNistes se rendant au tout premier GN de France en 1981, à la veille des élections présidentielles. Comme le disait le pitch du GN : “Sur vos costumes de 1981, vous pourrez enfiler vos costumes d’univers med fan, FAIT-MAISON et jouer dans le fantastique univers de Moulins&Gobelins Version 7.92 ! Bref, du lourd.” Trois niveaux de réalité se superposaient donc : “En réalité”, “En Hors-jeu” (mon personnage des années 80) et “En jeu” (mon personnage de Moulins&Gobelins).

Votre humble serviteur durant sa sieste

 

Briefing et mise en abyme

Dès le briefing, le ton est donné : suite à un briefing “en réalité”, les organisateurs, costumés, moustaches fièrement taillées, coupe mulet rivée à la nuque, entament un briefing – mené par Jules et Maxence, leurs personnages “Hors-jeu” cette fois – d’un autre temps : désordonné, oubliant une partie des informations essentielles, se contredisant pendant leurs explications. Nous ne sommes pas là pour jouer une reconstitution de GN des années 80, mais bien pour se moquer tendrement des erreurs et incongruités des débuts de notre loisir. Jouer la gamme complète des pires comportements GNistes possibles s’avère extrêmement divertissant et les premières heures de jeu s’enchaînent dans la recherche des stéréotypes que nous pourrons caricaturer. Le GN acquiert une dimension de “private joke” à ciel ouvert.

Les décors sont à l’aune du reste : tentes igloo, tonnelles plastiques et chaises de camping ne sont pas masquées, mais au contraire fièrement mises en avant. La mode est à laisser sa voiture au milieu du jeu, à côté de son camp, autoradio allumé, plutôt que de l’amener au parking. À titre personnel je prends énormément de plaisir à jouer cette mise en abyme qui nous est proposée, tout en regrettant la proportion de joueur.e.s dont c’est le premier GN. Impossible pour ell.eux de saisir la vaste blague que nous sommes en train d’interpréter et d’avoir les codes pour jouer à être “les pires GNistes possibles”.

Un joueur en plein roleplay dès son réveil samedi matin

 

Hey Maxence, tu fais quoi le week-end prochain ?

Le jeu est structuré en deux phases : la première du vendredi soir au samedi fin d’après-midi, où nous jouons nos personnages année 80 qui eux-même jouent leurs personnages “En jeu”, puis une phase où tout déraille, où nous jouons nos personnages année 80 qui, eux, ne jouent plus. Mon personnage n’ayant aucune information sur ce qui se déroulait dans cette seconde phase, je n’y ai été impliqué que quand il a manifestement été impossible pour lui de continuer à jouer “en jeu”. Mais après tout, ayant épuisé au cours des 17 premières heures du jeu le registre de toutes les âneries GNistiques possibles – et ayant terminé ma sieste – j’ai pudiquement renoncé à justifier mon implication et me suis lancé avec avidité dans le jeu gamiste qui nous était proposé. Attaques de terroristes, sauveurs gendarmes puis émissaires venant de “l’autre monde” portant une énigme dont la résolution nous sauvera tou.te.s, je suis en terrain connu et le GN redevient un classique du genre. Pas déplaisant, mais moins dépaysant.

Métatechniques innovantes

Autre point saillant du design du jeu, la volonté de mettre la/le joueur.e face à la vacuité de l’existence humaine. Le vide, le gouffre, l’Abîme. Face à la nécessité d’habiter l’Abîme, le jeu prends le parti – nihiliste – de nous faire subir une suite d’épreuves sans queue ni tête, infantilisantes, voire humiliantes, dans une formidable métaphore de nos propres vies.

Le concours de danse bat son plein samedi après-midi

 

Concours d’avalage de gâteaux apéritifs, concours de danse-la-plus-hideuse-en-tenant-une-pêche-juchée-sur-une-cuiller-tenue-entre-les-dents, concours de récupération avec la bouche d’une capsule de bière déposée au fond d’un bac rempli d’eau, concours à qui enfoncera le plus profondément les pieds de sa chaise dans la terre boueuse du terrain. Rien ne nous sera épargné. Pourtant, les fiertés s’exacerbent même pour des compétitions aux enjeux si médiocres. Les regards s’allument, les gagnant.e.s rayonnent de fierté. Et c’est là le génie des organisateurs : par son design, cette séquence du jeu nous met face au miroir du néant de nos prétentions à “jouer quelque chose d’intelligent”. La réponse de ce jeu est sans appel : “Pourquoi s’embêter, alors que tout le monde peut se prendre d’enthousiasme pour un concours de pets ?”

L’un des organisateurs du jeu, en plein brainstorming

 

Le GN, un média politique

Dernier point d’intérêt, je félicite l’équipe pour ses choix concernant les repas, qui étaient végétariens. Même si la raison invoquée est plus qu’étrange – “Voilà, c’était un délire à nous ça, on avait envie de montrer ce que ça fait de faire des repas sans viande pendant un GN : les gens se cassent.” dira ainsi un organisateur durant le débriefing – l’équipe d’aubergistes dévoués de La Compagnie du Yucca (que l’on remercie) a su proposer aux 50 participants des plats délicieux, variés et aux quantités généreuses. Certain.e.s présentes ont ainsi pu découvrir des plats qu’iels n’auraient sinon jamais goûté, et outre le quota de râleur.e.s habituel, la propagande par l’exemple semble avoir fonctionné.

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Will Stochastique

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