Critique de GN – Roméo & Juliette

Publié le vendredi 23 août 2013 dans Critiques de GN,Slide

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Moteur, ça tourne

19 mai 2013

On est dimanche et il est dix heures du matin. Pas un chat dans les rues adjacentes de la Cour St Emilion. Pourtant, devant un hangar se pressent les irréductibles gnistes, matinaux et motivés. Les costumes nous transportent dans les années 60-70, les décors dans un studio de tournage. L’ambiance est assez décontractée. Les rôles d’une page et demi ont été assimilés, l’époque n’est pas trop loin de la nôtre et les vieux rassurent les nouveaux.

Nous sommes en 1968, et le livre de Kurtis King « God hates us all » fait l’objet d’une adaptation cinématographique dont la réalisation est confiée à Luis la Ciotat, jeune cinéaste encore inconnu. L’équipe de tournage s’est constituée petit à petit, nous sommes au début du tournage, qui s’étendra sur plusieurs semaines. Tous les protagonistes de cette histoire se sont déjà croisés ou rencontrés, chacun vient avec ses aspirations, son vécu, ses histoires de cœur et d’argent. Vingt joueurs, trois organisateurs. C’est parti.

gn roméo et juliette 1

Crédit photo : Lucie Choupaut

Des ateliers pour se mettre en jambe

Avant de commencer le « vrai » jeu, les organisateurs nous proposent des ateliers pré-GN. Les premiers exercices servent à mettre les joueurs en confiance : les flamands roses doivent manger la cervelle des pingouins (les flamands se déplacent par grandes enjambées alors que les pingouins font des tous petits pas, ça va vite) ; autre exercice, les joueurs sont répartis en groupe de quatre ou cinq, un ferme les yeux et les autres le manipulent comme une marionnette, on apprend à se toucher, à faire confiance et on se détend.

Les ateliers suivants consistent surtout à construire les personnages et leurs relations. Cela évite la première heure de jeu toujours flottante sur les GN traditionnels, car quelque chose que l’on lit s’imprime bien moins que quelque chose que l’on vit. On commence par faire un cercle, puis on appelle un personnage qui doit se mettre au centre. Sont alors énoncées ses caractéristiques et ses faiblesses, et ceux qui considèrent avoir un lien plus ou moins fort avec le personnage au centre s’avancent vers lui. Cet exercice permet d’identifier ceux avec qui on va jouer, ceux qui veulent jouer avec nous, de mettre des visages sur les personnages de papier. Ensuite, nous devons nous placer tous en ligne selon des indications sur le statut social (« qui est le plus connu ? » « qui a le plus de pouvoir ? ») et les motivations (« qui a le plus envie de voir ce film monté? »). Ce ne sont pas les organisateurs qui nous placent, nous sommes obligés de prendre position pour notre personnage et personnellement, cela m’aide beaucoup à construire Daisy Dickens, la dialoguiste. Je l’ai placée dans les derniers pour les deux premières questions, mais je me suis quasiment battue pour la première place pour la dernière. Voir qui est à mes côtés dans les lignes, mais aussi où sont placés les personnages avec qui Daisy est censée avoir des interactions est très enrichissant également. Enfin, on nous invite à discuter avec les joueurs qui partagent notre histoire (voir la troisième partie) pour échanger sur nos attentes de jeu, sur notre vision des personnages (du nôtre et des autres). On invente des situations pour décrire notre relation avec les autres (« Vous vous rappelez la première fois que vous m’avez vue, j’étais très mal à l’aise avec l’idée de m’exprimer en public, mais dès que j’ai commencé à parler de l’adaptation mes yeux ont commencé à briller »).

La troisième catégorie d’exercice proposée est celle d’expérimentation des règles un peu particulières mises en œuvre dans ce GN. Il y en a deux. Tout d’abord, celle des flashbacks. Dans un coin du studio se trouve une pièce cachée par un drap orange. Ce lieu se trouve hors de l’action, mais il sert de réceptacle aux flashbacks qui peuvent être déclenchés par les joueurs entre eux ou via les organisateurs. Cette pratique étant un peu nouvelle pour la plupart d’entre nous, il nous est proposé de tester une scène à quatre. Le pitch est simple : nous sommes quatre personnages (autres que ceux que nous jouerons après) engagés dans une pièce de théâtre, et deux d’entre nous veulent arrêter tandis que deux autres veulent continuer. Nous sommes invités à utiliser l’outil du flashback pour nourrir cette scène de quelques minutes. Le jeu comportera également des règles de simulation de sexe, la méthode utilisée est celle de l’Ars Amandi. Il est proposé aux joueurs d’expérimenter avant le jeu cette technique qui consiste à émettre des pressions sur le bras de son partenaire. C’était ma première fois. Cette technique me paraît très sensuelle et poétique, les possibilités sont nombreuses, on peut caresser, serrer, griffer (gentiment hein) le bras en restant chaste. J’aime cette idée de nouveau langage, l’idée de transmettre des sensations sans parler (je trouve le jeu de rôle très bavard en règle générale). Ces deux ateliers sont donc très utiles car ils permettent de débloquer les joueurs sur les techniques, laissant la part belle à la fluidité une fois le jeu lancé.

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Crédit photo : Lucie Choupaut

Un jeu émergent découpé en actes

C’est donc parti pour cinq heures de jeu. Le tournage du film durera quatre actes, quatre semaines en jeu. Les actes 1 et 3 sont plutôt axés sur la préparation du tournage (répétitions, écriture, cadrage, marquage au sol des objets de la scène) et les actes 2 et 4 sont axés sur le tournage en lui-même. Ce film est un prétexte, bien entendu, c’est un cadre et c’est pourquoi il est impératif qu’il soit très clair. Le code dans un GN est très important, en perdant du temps sur les méthodes de simulation quand elles ne sont pas claires pour tout le monde (il y eut notamment une véritable confusion à propos d’une baignoire à un moment donné de ce film), on perd en immersion, en enjeux narratifs et en émotions, fatalement.

Entre chaque acte, les joueurs disposent de cinq minutes pour se préparer individuellement et collectivement à l’acte qui va suivre. Nous avons déjà reçu avec nos fiches de personnage une liste de suggestions de scènes pour chaque acte. Ces dernières sont totalement optionnelles, les organisateurs n’auront d’ailleurs aucune directive à l’égard de notre jeu tout au long de cette expérience. Nous sommes libres, mais nous disposons d’un panel de situations de jeu, de leviers narratifs qui peuvent être connus de tous (les fiches de perso étant accessibles à tous avant le jeu), et ces cinq minutes sont justement prévues pour les activer, ou en créer de nouveaux. En jeu, on se rencontrera, ou pas (je n’ai pas pu réaliser toutes les scènes que j’aurais voulu), mais au moins on commence l’acte avec plein de cartes à jouer, des enjeux, du jeu, tout simplement.

Ces cinq minutes sont aussi un espace pour les organisateurs (qui sont totalement muets pendant le jeu, fantômes immobiles témoins de nos destins) pour annoncer ce qui a pu se passer pendant la semaine qui vient de passer, l’heure à laquelle nous nous trouvons quand le jeu commence, l’enjeu exact de cet acte. Sont invités ceux qui le veulent à se produire devant les autres joueurs avec une chanson, une danse, un poème rentrant dans le cadre du jeu. Durant cette session, un poème d’Aragon et une chanson de Janis Joplin, autant vous dire que l’acception de la notion de « thème » était assez large. Le troisième acte a une place un peu particulière dans la chronologie de l’action ; en effet, on nous annonce pour la première fois un événement marquant, un secret dans cet océan de transparence qu’était le scénario jusqu’alors : la Paramount nous refuse finalement les droit pour l’adaptation du livre God hates us all. Comme il fallait s’y attendre, depuis le début du jeu déjà les joueurs s’étaient impliqués dans la réalisation de ce film, le décor du studio nous invitant à nous sentir des âmes de réalisateurs ou d’acteurs. Ce film qui était au départ un prétexte était devenu un véritable enjeu. Et le coup de massue qui nous tombe soudain sur la tête fait mal, très mal. Et en même temps, quelle jubilation extrême que de jouer la détresse de ces personnages soudain contraints par une entité extérieure, inatteignable, véritable fatum d’une tragédie grecque.

Tout rentre finalement dans l’ordre dans le quatrième acte, l’équipe est soudée, nous tournons enfin la dernière scène, c’est dans la boîte. Mais comme je l’ai dit, ce tournage n’était que le cadre du jeu et ce qui était vendu à la base, c’était « Tous les protagonistes de cette histoire se sont déjà croisés ou rencontrés, chacun vient avec ses aspirations, son vécu, ses histoires de cœur et d’argent ». Alors, qu’est-ce qu’on jouait, en termes d’histoire ?

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Crédit photo : Lucie Choupaut

Quatre groupes pour quatre destins communs

Si vous avez lu la méthode eXpérience, vous avez déjà remarqué la patte des organisateurs Baptiste et Vincent dans ce que j’ai déjà décrit, notamment dans la notion de situations de jeu, suggérées sur les fiches de personnage. Mais le scénario de ce GN est un véritable cas d’école. J’ai lu la méthode après avoir joué, et pourtant rétrospectivement je pouvais tout à fait identifier dans chacune des quatre histoires proposées aux joueurs un héros, un adversaire, un allié, un faux adversaire, un faux allié, un personnage secondaire, bref, tous les ingrédients d’un bon scénario selon la Méthode. En tant qu’organisatrice, voir l’application directe de cet outil fut très enrichissant, la pratique est toujours plus efficace que la théorie pour la kinesthésique que je suis.

Dans ce jeu se croisaient quatre histoires, indépendantes les unes des autres (ce qui n’empêchait en aucun cas les interactions entre tous les personnages du GN, grâce à l’alibi du tournage). La mienne était celle d’un acteur vieillissant, divorcé et paumé, qui en découvrant l’amour (MOI) remettait en cause sa carrière. Pour nous, ça s’est bien terminé, mais cela aurait pu tourner court, compte tenu du goût pour le baroque des deux protagonistes. Je ne dévoilerai pas les subtilités de tous les personnages, mais tout s’agençait très intelligemment.

Pour que nous jouions ensemble, en plus de l’atelier pré-gn ou nous étions invités à partager sur nos personnages et nos attentes (dont j’ai parlé plus haut), nous avions dans notre fiche de personnage une ligne de destin en guise d’introduction à notre backstory. La mienne était « Une jeune littéraire inexpérimentée va tomber amoureuse d’un acteur et réaliser que l’amour n’est pas aussi simple que dans les livres. » Cette phrase très claire peut paraître directive, mais il faut vraiment la considérer comme un appui de jeu et pas comme une contrainte. Ce destin, combiné à celui des autres que nous avions en notre connaissance, aide à installer un jeu collaboratif.

L’écoute et l’acceptation sont deux qualités requises pour jouer à ce jeu qui s’inspire assez largement de l’improvisation théâtrale. La plupart des GN en France sont plutôt compétitifs, et les enjeux du personnage priment souvent sur ceux de l’intrigue. Se débarrasser de ses habitudes de joueur, même le temps d’un seul jeu, n’est pas chose aisée. Je pense que le GN Roméo et Juliette est plus accessible à un public d’improvisateurs voire à des novices qu’à un public de gnistes français biberonné au gamisme. Néanmoins, le goût pour les belles histoires est quelque chose d’assez universel, et si les enjeux narrativistes sont clairs pour tous les participants, on devrait tous pouvoir s’amuser.

Prochaine session le 17 novembre 2013. Pré-inscriptions ci-dessous :

http://romeoetjuliette-legn.jimdo.com/pr%C3%A9-inscription/

Une vidéo tournée lors de la deuxième session

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Lila CLAIRENCE

Rôliste et Gniste depuis 2007, j'organise et joue des jeux de formats très différents. Je suis intéressée par le médium dans sa dimension sociale et artistique principalement, ce qui m'a conduite à fréquenter des milieux nordiques et à m'inscrire à la Larpwriter Summer School en 2013. Titulaire d'un Master de Théâtre, je met à profit mon expérience de metteur en scène pour mes GN, et vice-versa. Je suis curieuse et j'aime remettre mes pratiques en question.

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