La torture en GN

Publié le mardi 6 octobre 2015 dans Articles

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Cet article est le compte rendu d’une réflexion lors d’une table ronde organisée au LaboGN 2015 sur le thème de la torture, animée par CaroNeko et Skimy. Pour comprendre ce qui suit, il est conseillé de connaître la notion de bleed et de lire le futur article passionnant d’eXpérience sur l’éthique en GN lorsque celui ci existera. Vous pouvez aussi lire l’article Le harcèlement en GN qui aborde les limites des joueurs et l’utilisation de techniques permettant de définir les limites de chacun et de veiller à ce qu’elles ne soient pas franchies.

Audrey FLEUROT (Hortense) et Richard SAMMEL (Heinrich) Réalisation Philippe : Triboit et Jean-Marc Brondolo

Un village français, avec Audrey Fleurot (Hortense) et Richard Sammel (Heinrich)
Réalisation : Philippe Triboit, Jean-Marc Brondolo

Définition de la torture : La torture est un acte grave qui brise le corps et/ou l’esprit de la victime, mais peut aussi traumatiser les bourreaux et les proches.

Définitions du Larousse :

  • Tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne : Des aveux arrachés sous la torture.
  • Souffrance physique ou morale extrême : Cette longue attente était une torture.

 

Objectifs

Nous connaissons des jeux où la torture est un savoir faire comme “pister”, “faire une boule de feu”, “connaissance en archéologie” etc. Dans ce cadre, la torture est une méta-technique qui permet d’obtenir des informations. Et si il y a un impact sur la santé du personnage (sur ses points de vie ou sur ces caractéristiques) il y a peu d’impact (voire pas) sur la psyché de la victime et pas de bleed pendant l’acte. (Nous parlons bien ici de torture, et pas d’interrogatoire.)

Nous aimerions intégrer la torture non pas comme une mécanique de jeu mais comme un élément moteur pour ressentir des émotions. Dans la vraie vie, l’acte de torture est un acte grave, qui est peu efficace pour obtenir des informations*, mais qui est utilisé afin d’instaurer la peur au sein une population, d’un groupe, et pour briser les individus et les asservir. Comment, dans un univers dictatorial où les personnages sont plongés dans un climat de terreur, dans la peur d’être dénoncé, comment faire ressentir cette insécurité sociale où l’oppresseur utilise la répression physique ? Comment mettre en place un système de torture qui est à la fois un impact sur le personnage et sur le joueur ?

Il est important de préciser que si nous cherchons à maltraiter nos joueurs dans leurs bleed-out, nous refusons évidement de les torturer. Nous rejoignons ici une problématique plus générale sur l’éthique du GN, les devoirs de l’organisateur, le contrat de confiance tacite orga/joueur, et les dérapages possibles lorsqu’un joueur dépasse ces limites, poussé par une pression sociale (les autres joueurs), un contexte (la fatigue, un état émotionnel de fébrilité).

 

Gestion des règles ou de la méthode

Idées

La solution du simulationisme fonctionne relativement bien pour peu que les joueurs se prêtent au jeu. On fait confiance à nos joueurs pour faire de ce moment une belle scène pleine de cris et de frissons pour eux mêmes. Pour autant ce modèle n’est pas adapté à tous les joueurs, et dans tout les cas impacte peu la psyché du bourreau et des spectateurs. La scène peut même vite tourner à la dérision et aller à l’encontre du but recherché. Quelques pistes :

  • Déstabiliser le joueur, à travers la privation de sommeil, de confort, de nourriture et utiliser un bleed-in ainsi créé.
  • Demander dans la fiche : “Es-tu prêt à mourir en début de jeu ?” afin de créer la crainte de la perte du personnage (et empêcher une méta réflexion poussant le joueur à se penser immortel)
  • Forcer l’implication de la torture entre amis : “Si ce n’est pas toi qui le torture, ce sera nous, et nous serons beaucoup plus méchants”.
  • Humilier les personnages : faire venir les joueurs en costume, puis leurs imposer de mettre un pyjama de prisonnier (danger pour les joueur qui se sont impliqués financièrement dans leur costume).
  • Humilier les personnages : dans un jeu où la représentation sociale est importante, aligner les victimes en sous vêtements dans une zone publique.
  • Torturer un PJ en lui passant la vidéo de la mort d’un proche de son personnage.
  • Mise en place d’une paranoïa en créant une situation d’attente, d’appréhension d’un possible drame.
  • Utilisation du conditionnement (pendant chaque scène de torture, on passe une musique spécifique, ou on utilise un objet, le PNJ fait un geste, ou autre chose d’apparence anodine. Plus tard dans le jeu, on remet la musique, ou l’objet, ou le geste pour que les joueurs appréhendent inconsciemment ce qui va leur arriver.)
  • Il est souvent plus efficace de laisser imaginer au joueur que de lui donner à voir (exemple : un joueur qui entend des cris derrière une porte sera plus troublé qu’un joueur qui assiste à une fausse scène de torture)

Utilisations de PNJ :

  • Si un personnage rebelle se fait torturer, il peut imprimer une peur sur les joueurs.
  • Attention, si un personnage se fait violemment torturer en début de jeu, les joueur penseront que c’est un PNJ et l’effet en sera amoindri.
  • Si BEAUCOUP de PNJ meurent au fur et à mesure du jeu, les joueurs vont vraiment s’inquiéter car il est peu probable qu’il y ait autant de PNJ…

Règles et technique possibles

  • Le bourreau et la victime lisent un texte narrant une scène de torture (vécue pour la victime ou infligée pour le bourreau). Le joueur/victime précise quand elle craque (le personnage tombe dans les pommes), et les deux cessent de lire. Si la victime craque rapidement, le tortionnaire sera peu touché par ce qu’il a fait. Cette technique permet aux joueurs de doser ce qu’ils sont capable d’endurer moralement.
  • La victime avance sous les huées des bourreaux et passe dans une black-box. Les bourreaux entendent les cris du supplicié (enregistrement) pendant que la victime joue un traumatisme clé de la création de son personnage. Lorsque la séance est finie, la victime peut s’appuyer sur le vécu de son traumatisme pour le transformer en sortie de séance de torture.

 

Gestion du joueur

L’accompagnement des joueurs dans un jeu portant sur une thématique aussi sombre nous parait essentielle, c’est pourquoi nous avons réfléchi à la mise en place d’un suivi à l’aide de différents briefings et débriefings.

Avant :

  • lettre d’intention sur le système de jeu et casting
  • insister sur les intentions de jeu, et ne pas hésiter à se faire écrire sa communication
  • gestion du casting très soigneuse
  • parler en amont avec les joueurs de leurs limites

Pendant :

  • zone “hors jeu” ou une zone “calme” avec débriefing possible

Après :

  • Prise de nouvelles des joueurs quelques temps après le jeu pour débloquer des situations de contrecoups tardifs.
  • Laisser un espace d’expression dédié aux anciens joueurs (groupe Facebook)

 

*cf le rapport  rapport de la commission du renseignement du Sénat sur la torture de la CIA

https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_de_la_commission_du_renseignement_du_S%C3%A9nat_sur_la_torture_de_la_CIA qui est en anglais mais dont la page Wikipédia dit : “(..), il analyse comme nul l’intérêt de la torture et les techniques d’interrogatoire dénoncées pour obtenir des renseignements décisifs.

 

Crédit : Étaient présent et ont participé à cette table ronde : Vladimir, Mathieu, Rémi San, Nicolas, et plein d’autres gens merveilleux…

Crédit photo extraite de la série télévisée “Un village français” Saison 3 épisode 4 – Série TV / France 2010

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Cylon Neko & Skimy

Né en 2015 dans l’arrière cour d’un Laboratoire dans la région de Chambéry, Cylon Neko & Skimy est le fruit de la fusion réussie de deux laborantins en recherche de méta-techniques. Ses géniteurs furent contrains de mettre en communs leurs forces afin de créer un être supérieur en mesure de tenir une table ronde.

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4 réactions à La torture en GN

  1. Encore un atelier ou je ne pouvais être…

    Merci, un article très intéressant!!!

  2. C’était une table ronde très ouverte et efficace, j’ai trouvé. Surtout sur un sujet aussi délicat et sujet à controverse.
    L’un des projets in fine (je laisse Cylon s’étendre si elle le veut sur son sujet) se prête bien la torture, qui ne doit pas être une fin en soi, mais dont l’absence nuirait à l’ambiance dans certains cadres.

    Aussi, les règles de communication instaurées à LaboGN (lapin, rat de parole…) ont bien aidé le débat.

    Table ronde trop courte, comme toujours.
    LaboGN aussi.

  3. Lors du dernier Betalarp, je me souviens d’une remarque intéressante de Gilles Cruyplant sur le fait que des stimulus négatifs trop importants (sommeil,confort, froid, fatigue) était contreproductifs par rapport à la synesthésie joueur/personnage (enfin le bleed in). On a tous connu un moment ou l’on a vécu un point de rupture qui nous a fait sortir du jeu. (ex: Qu’est ce que je fous la en pleine nuit affamé et trempé à attendre dans un buisson ^^)

    Priver le joueur de bouffe et de sommeil dans le but de le déstabiliser pour une simulation de torture est à mon avis le meilleur moyen de le faire sortir de son personnage. Sans parler que ça doit être mortel…d’ennui…

  4. Cela a quand même plus de gueule de parler de “synesthésie” que de “bleed” !
    Parfaitement d’accord avec Tilleul (et donc G.Cruyplant).
    Mais la torture dans le confort… ça perd de son charme !

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