Sarabande : j’ai dansé, dessiné, récité un GN

Publié le jeudi 2 octobre 2014 dans Critiques de GN

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Une fois n’est pas coutume, c’est la critique d’un jeu que je me propose de faire ici ; un jeu nordique, Sarabande, qui a été organisé pour la première fois en France à l’occasion de Labo-GN, une semaine communautaire exceptionnelle, riche en échanges et en expérimentations, qui fera certainement l’objet d’autres retours sur Electro-GN.

Le pitch du jeu de Jeppe & Maria Bergmann Hamming est assez original : dans un Montmartre artistique fantasmé, sans époque définie, les joueurs (au nombre de 12) sont invités à dérouler les histoires de leurs personnages par le biais de médiums artistiques divers en bannissant absolument le dialogue. À défaut de pouvoir parler entre eux, les joueurs pouvaient peindre, dessiner, chanter, écrire des poèmes et les réciter, danser, se maquiller, et utiliser tout autre moyen d’expression qui pouvait leur passer par la tête. Pour moi, qui ne joue pas beaucoup, l’expérience me semblait assez intéressante pour me faire violence et avoir envie de la tenter. LaboGN était le lieu idéal pour essayer ce type de jeu, et la qualité de jeu de l’ensemble de mes camarades a contribué à créer une expérience vraiment particulière, même si le jeu en lui-même m’a laissée très mitigée. Dans cette critique je vais rentrer dans les détails de l’organisation de jeu, qui me paraissent à modifier, au moins pour le public français, le concept méritant vraiment de nouvelles organisations chez nous.

La structure du jeu

Le jeu est construit en 4 histoires mettant en jeu 3 personnages. Ceux-ci sont construits, par les joueurs, sur la base d’archétypes comme le/la créateur/trice, le/la protecteur/trice, l’idéaliste, le/la bouffon/ne, le/la héros/héroïne, l’amoureux/euse, l’aventurier/ère, etc. Chaque joueur choisit l’archétype qu’il a envie de jouer et les archétypes sont placés par groupes de trois prédéfinis par les auteurs. C’est alors que les 3 joueurs doivent créer leurs trois personnages, ensembles, et imaginer leur histoire. Toutes les histoires doivent tourner autour d’un conflit majeur mettant en jeu les notions de liberté, d’amour, de vérité ou de beauté. Les histoires sont des drames et tous les personnages ne pourront sortir victorieux de ces conflits.

Chaque groupe a donc choisi le conflit qui devait animer les personnages puis a mieux défini l’histoire de ce trio. Mon propre trio, qui mettait en scène la créatrice, l’idéaliste et le bouffon, était une histoire d’amitié entre 3 artistes dont le conflit reposait sur la question de la liberté de création.

Les ateliers pré-GN

Pratiquant la danse contemporaine depuis une quinzaine d’années et l’écriture et le dessin depuis encore plus longtemps, je suppose que je faisais plutôt partie du public visé par les auteurs du jeu. Néanmoins même pour des GNistes à l’aise avec l’idée de laisser libre cours à leur fibre créative, et à plus forte raison pour des joueurs tout à fait novices en la matière, j’ai trouvé les ateliers très insuffisants pour permettre aux joueurs de véritablement s’exprimer pendant la durée du jeu.

Dans l’un des ateliers, il s’agissait de raconter notre matinée, d’abord normalement puis en le déclamant sur un ton un peu dramatique. J’ai trouvé cet exercice plutôt inutile dans la mesure où le jeu est destiné à être majoritairement silencieux. Il m’aurait semblé beaucoup plus pertinent de passer plus de temps sur le mime et l’utilisation des outils de création à notre disposition pendant le jeu. Par exemple en demandant aux joueurs d’exprimer la colère, la peur, la tristesse et la joie par le biais d’au moins 3 médias pour chaque émotion (écriture, danse, peinture, chant, maquillage, etc.). L’idée étant que les joueurs laissent le plus possible au vestiaire le blocage du “mais ça va être moche/c’est nul” et qu’ils réfléchissent peu à ce qu’ils font. L’atelier peut être présenté comme un test dont ils pourront se servir en jeu, et user de l’alibi du personnage pour créer quelque chose.

Un tel atelier aurait pu nous permettre à tous d’être plus à l’aise et de faciliter nos moments de créations. 80 % du temps, au lieu de vivre les émotions de mon personnage (ce qui est tout de même arrivé à de très beaux moments) je réfléchissais à la manière dont je pouvais développer l’histoire pour mes partenaires de jeu par le biais de ces moyens de créations et ce n’était pas toujours facile.

Un jeu presque intégralement silencieux rend, à mon sens, brûlante la question du mime. Empêchez un GNiste français de parler et malgré lui, il va se mettre à mimer des actions de façon complètement débile : “Oh lala, je joue l’étonnement avec mon corps et j’exagère tellement mon mime que 1. j’ai l’air un peu con, même à mes propres yeux, 2. je ne propose rien d’intéressant à mon partenaire de jeu pour l’aider à jouer en silence”. Je l’ai constaté dans mon propre jeu lors des premières scènes.

Si je fais partie des gens qui trouvent que les GNistes français sont très bavards et qu’il faut les inciter à moins parler en GN, je pense aussi qu’il est essentiel de les préparer au silence. On ne peut pas se contenter de leur dire “Interdiction de parler”, il est vraiment indispensable de les accompagner, notamment en proposant des exercices de mime (que nous n’avons pas eu sur cette session, mais qui pourraient être vraiment intéressants) : en 3 groupes de 4 (mais pas forcément ceux avec qui l’on va jouer). On passe deux à deux devant les autres pour mimer une scène de dispute par exemple en grossissant le trait et ensuite on rejoue la scène de dispute en essayant d’être le plus sobre possible et en gommant toutes les attitudes exagérées. On n’est pas obligé de jouer la scène devant les autres joueurs, mais je trouve que cela permet d’avoir une vision critique extérieure de ce que l’on a fait.

Sur notre session nous venions de passer 4 jours de vie en communauté basée sur l’écoute des autres, c’est pourquoi le résultat du jeu a été plutôt réussi, mais à mon sens le contexte a beaucoup joué et n’aurait pas aussi bien fonctionné ailleurs avec les seuls ateliers prévus par les auteurs et mis en place par notre organisateur.

Sarabande

La construction du jeu

Sarabande se construit autour de 10 tableaux, qui prennent tous place dans le même café à Montmartre. Chaque tableau est séparé par une routine collective (des gestes routiniers faits par nos personnages) que nous avons construite progressivement tous ensembles.

Nous avons construit le parcours de nos personnages rentrant dans le café chaque matin. En faisant le même chemin, les mêmes mouvements, en rencontrant les mêmes personnes, sur la même musique. À force de répéter cette routine nous y avons incorporé quelques éléments dansés. Je pense que tous les joueurs sont d’accord pour dire que cette routine était un élément fort du jeu. Comme elle revenait entre chaque tableau nous pouvions y apporter des altérations en fonction des émotions que notre personnage ressentait à différents moments du jeu.

Le gros reproche que je fais à ce jeu (en dehors des ateliers qui me semblent vraiment insuffisants), c’est le manque de directions données par l’organisateur tout au long du jeu. Souvenez-vous que nous avons imaginé 4 histoires différentes occupant chacune 3 personnages. Or c’est aux joueurs de dérouler le trame de l’histoire sur ces 10 scènes et de gérer l’intensité dramatique du récit. Non seulement l’exercice est difficile, mais il est aussi compliqué par le fait de que les 4 histoires ne suivaient pas la même progression. Plongés dans nos trios nous avons à peine observé les autres, le jeu était bavard (même s’il était silencieux) et nous avons été plusieurs à regretter de ne pas être davantage spectateur des histoires des autres, pour que l’ensemble du jeu reste lisible à tous.

J’ai aussi beaucoup regretté que chaque nouveau tableau ne s’accompagne pas d’une émotion prédéfinie par l’organisateur, permettant à tous les joueurs de jouer au diapason et donc d’éviter des moments d’incompréhension totale entre joueurs.

En somme ce jeu m’a laissé un sentiment mitigé parce que je ne l’ai pas trouvé suffisamment abouti pour les exigences que l’on peut avoir dans ma communauté de joueurs, malgré une idée vraiment très bonne à creuser. Certains moments ont extrêmement bien fonctionné avec mes camarades de jeu, des moments où l’on s’est compris et où nos créations sont allées dans le même sens. C’est pourquoi je vois beaucoup de potentiel au concept, qu’il serait dommage de ne pas amener plus loin, avec lequel il faudrait, à mon sens, être davantage ambitieux.

Nous avons essuyé les plâtres d’une première session française grâce à Stéphane, que je remercie encore, et ça me donne envie de l’organiser différemment à la lumière de notre expérience de jeu. Je perçois aussi le potentiel du jeu pour créer une œuvre collective avec différents acteurs du monde de l’art et du spectacle vivant, expérience allant au-delà du GN et qui pourrait être passionnante. Sarabande est un jeu qui peut aisément être filmé et diffusé. Malgré quelques petites retouches à apporter, je ne peux que conseiller Sarabande au public français.

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Lucie CHOUPAUT

Présidente de l'association eXperience, Lucie s'intéresse aux rapports entre GN et art. Ses goûts d'organisatrice et de joueuse la portent plus particulièrement vers des jeux expérimentaux d'ambiance contemporaine et réaliste.

7 réactions à Sarabande : j’ai dansé, dessiné, récité un GN

  1. Je ne dirai pas “C’est pas du GN”, mais bon, quoi…
    Je trouve ce “truc” bien plus proche du théâtre d’impro lié à une performance plus ou moins artistique, et ça me fait penser à certains exercices pratiqués dans les cours de théâtre des MJC.
    Je pense que la fracture vient de la conjonction de trois éléments :
    – la backstory réduite aux histoires inventées par les petits groupes.
    – l’évènementiel réduit au rythme des tableaux (si j’ai bien compris ton explication)
    – le quasi autisme des personnages, voire des joueurs, dans la mesure où ils doivent se concentrer sur la performance artistique silencieuse (ce qui est un challenge en soi) et sur la construction narrativiste, sans pouvoir vraiment profiter de celles des autres.

    A mon sens, revenir sur un des ces éléments pourrait rendre Sarabande plus accessible (mais ce n’est peut-être bas le but), et en tout cas permettre plus d’échanges et/ou de sensations.

  2. Je répondrai pas sur la question “du gn ou pas du gn” par contre, ce que tu dis sur l’autisme a été noté lors des retours des joueurs, on aurait presque tous aimé profiter de la performance des autres. On s’est dit qu’en définissant davantage ce qui se passe dans chaque scène (ex : dans cette scène vous n’interagissez pas avec les membres de votre trio, dans cette scène on se concentre sur tel trio, dans cette scène…) ça pouvait peut-être éviter le côté “tête dans le guidon”.
    Après, c’est un parti pris, le fait que le jeu soit fermé sur le groupe a aussi plu à certains plus adeptes d’un jeu introspectif.

  3. Mon gros point noir sur ce jeu effectivement. Le fait que j’aurais voulu pouvoir suivre les performances des autres et construire avec eux beaucoup plus. Mais je pense que c’est possible de l’obtenir en changeant quelques détails dans le jeu et sa préparation. ça reste une expérience vraiment intéressante.

  4. Pas une performance puisqu’il n’y avait pas de spectateurs. Un happening plutôt alors.

    On est aux limites de ce qu’on peut appeler du GN. Perso je pense que ça mérite encore le qualificatif en lui ajoutant expérimental. Voire ‘très expérimental’ mais dans le fond ce n’est pas bien important. On sera tous d’accord pour dire que ce n’est pas du GN classique.

    Pas de souci avec les ‘backstory’ à mon humble avis. Même écrits en un peu plus d’une heure, j’ai le sentiment que tous les éléments étaient présents pour jouer (le jeu en soi ne durait qu’un peu plus d’une heure et demi) et sur les 4 trios de personnages, 2 ont très bien fonctionné et ont réussi à se raconter une histoire riche et forte (pour les deux autres : 1 a fonctionné à moitié et 1 n’a pas fonctionné).

    Il ne s’agit pas non plus d’une performance artistique. Le jeu peut en produire une mais ce n’est pas le but premier. Le point de jeu est d’ôter aux joueurs leur mode de communication privilégié (le dialogue) et les laisser utiliser tous les autres (danse, dessin, déclamation de poésie, il n’y a aucune limite tant que ce n’est pas du dialogue). Il ne s’agit pas cependant de faire de l’art ou de produire du beau en soi mais d’utiliser un médium artistique pour s’exprimer. La difficulté ici est justement de lâcher prise, ne pas se juger et expérimenter.

    Les ateliers sont à enrichir (notamment pour aider à ce lâcher prise et une meilleure prise en main des outils d’expression offerts). Et il y a plusieurs erreurs commises par l’organisateur qui ont desservi le jeu (une gestion ratée des musiques et les lumières qui n’étaient pas appropriées notamment, qui sont les outils normalement prévus – et les seuls dans la version originale – pour lui permettre d’intervenir sur le déroulement de l’histoire).

    Après le jeu est hackable à l’infini, c’est aussi son intérêt. Je suis curieux de voir ce qu’on peut en sortir. On n’est qu’au début de ce genre d’expérimentations. Mais une version fidèle au script avec les erreurs en moins et quelques ateliers de plus devrait très bien fonctionner.

    Et merci beaucoup pour le retour Lucie !

  5. Pour moi, Damien était spectateur. Un spectateur invité à participer, mais son rôle était quand même assez passif.

  6. Vous ne jouiez pas pour Damien, c’est ce que je voulais dire quand je parlais d’absence de spectateurs.

  7. Mmmhh… dans le cadre de performance, il arrive que la frontière soit floue entre ce qui est joué pour le public, ceux qui est joué pour soi. J’ai tendance à penser que notre jeu change quand on est regardé, consciemment ou inconsciemment.

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