La rencontre entre un organisateur et un joueur est toujours un fabuleux moment. Certains attaquent d’entrée de jeu : « Prends-moi, je suis prêt à tout ! » ou encore « Je veux que tu sois là, j’ai exactement ce qu’il te faut. » D’autres se tournent autour, dans une ronde qui n’en finit pas : « Écoute, je veux être bien sûr que ça nous convienne à tous les deux avant de m’engager. »
Dans cet article je vais plutôt me mettre dans la peau d’un organisateur qui est dans le second cas. Et même plus précisément dans le cas d’un organisateur qui a déjà écrit son jeu et les différents rôles, et qui cherche à attribuer chaque rôle au joueur à qui il conviendrait le mieux. Si vous n’êtes pas dans ce cas, la suite ne vous intéressera probablement pas.
Pour réussir cette tâche délicate, notre organisateur va devoir établir des critères objectifs qui caractérisent correctement ses personnages, et poser les bonnes questions à ses joueurs pour vérifier qu’ils remplissent ces critères. Tâche délicate disais-je, parce que c’est souvent une étape de l’organisation qui se fonde sur l’intuition, sur le feeling. On sent un joueur dans tel rôle, on ne le sent pas dans tel autre, sans forcément savoir expliquer pourquoi.
On aurait tort à mon avis de se passer de cette intuition d’organisateur, mais on l’aurait probablement encore plus à ne pas identifier correctement les souhaits et les capacités d’un joueur, pour essayer de lui attribuer de la façon la plus objective possible le rôle qui lui conviendrait le mieux.
Pour l’intuition, difficile de donner des conseils, si ce n’est de discuter avec le joueur. On en apprend souvent beaucoup au cours d’une conversation sur ses GN passés et sur ses attentes pour se faire une opinion. Pour ce qui est des critères objectifs, on peut essayer de se pencher dessus, et c’est ce que je vais faire ici, en vous proposant une méthode pour élaborer un questionnaire adapté à votre jeu, que vous pourrez fournir au joueur et qui vous donnera des informations réellement utiles.
Caractériser un personnage
Le principe de cette méthode est d’identifier correctement les caractéristiques du personnage qui sont susceptibles de plaire ou de déplaire, celles qui nécessitent des compétences particulières, et tout ce à quoi le personnage risque d’être confronté pendant le jeu.
Ces questions servent à la fois à déterminer ce que les joueurs sont capables de jouer (la partie la plus simple si vos joueurs sont lucides sur leurs capacités), et ce qu’ils veulent jouer (la partie la plus difficile). Certains organisateurs laissent parfois un champ libre après une question ouverte de type : « Que (ne) voulez-vous (pas) jouer ? ». L’avantage est de ne pas orienter le joueur et d’obtenir ce qui lui importe vraiment, tout en évitant de passer à côté d’aspects qui auraient pu vous échapper. L’inconvénient est que le joueur peut vous faire une liste d’éléments qui ne sont pas du tout pertinents pour ce jeu et qui ne vous aideront pas beaucoup, voire ne rien répondre en disant qu’il vous fait confiance. Cette solution reste intéressante, notamment si vous avez fourni par votre communication beaucoup d’éléments sur le jeu, ce qui permettra au joueur de mieux cerner ce qu’il y aura. Toutefois il est souvent préférable de compléter cela par des questions plus précises et liées au jeu si vous voulez être sûrs d’avoir des réponses.
Voici quelques catégories qui vous permettront d’organiser vos idées pour poser des questions pertinentes.
1) Contraintes physiques
Il s’agit tout simplement de savoir si ce personnage doit être joué par un homme ou par une femme, par quelqu’un de particulièrement grand, gros, jeune, vieux, blanc, noir, etc. Ces caractéristiques sont pour certaines inhérentes au joueur, mais d’autres peuvent être simulées. À vous de voir si vous voulez que ce soit possible, mais si cela demande un effort supplémentaire de costume, de maquillage ou de roleplay pour le joueur, il peut être intéressant de savoir à quel point il est prêt à s’investir. Pour certains personnages cela n’aura aucune importance, pour d’autres au contraire vous aurez absolument besoin de connaître cette information.
Exemples de questions liées aux caractéristiques physiques d’un personnage :
– De quelle couleur sont vos yeux ?
– Accepteriez-vous de porter des lentilles de couleur pendant le jeu ?
– Êtes-vous prêt à vous raser la tête pour ce jeu ?
– Êtes-vous prêt à passer tout le jeu assis dans un fauteuil roulant ?
– Quel âge avez-vous ?
– Quels efforts de maquillage seriez-vous prêt à faire pour incarner un personnage plus âgé ?
– …
2) Contraintes de comportement
On rentre maintenant dans le caractère du personnage, il s’agit de définir sa psychologie, à l’aide de mots simples et clairs, afin de déterminer le roleplay nécessaire pour le jouer. Il est fréquent que les joueurs soient attirés par certains « types » de personnages et rebutés par d’autres, ou encore qu’ils ne se sentent pas capables de tenir certains rôles sur tout un GN. À vous de déterminer quels traits psychologiques sont suffisamment particuliers pour qu’ils nécessitent de poser la question au joueur, il n’est peut-être pas nécessaire de le faire pour tous.
Exemples de questions liées au comportement d’un personnage :
– Voulez-vous / Pouvez-vous jouer un personnage introverti ?
– Voulez-vous / Pouvez-vous jouer un personnage qui va sans cesse vers les autres, qui doit aborder des inconnus ?
– Voulez-vous / Pouvez-vous jouer un personnage colérique, qui s’emporte pour un rien ?
– Voulez-vous / Pouvez-vous jouer un personnage très pieux ?
– …
3) Compétences particulières
Certains personnages peuvent avoir des compétences particulières, voire des connaissances pour lesquelles vous jugez que les aides de jeux ne seront pas suffisantes. Vous aurez besoin de savoir dans ce cas si vos joueurs pourront remplir la tâche que vous leur demanderez.
Exemples de questions liées aux compétences et aux connaissances :
– Savez-vous chanter et accepteriez-vous de le faire pendant le jeu ?
– Connaissez-vous bien la religion catholique et ses rites ?
– Savez-vous nager ?
– Connaissez-vous bien l’histoire des rois de France entre le XIIIe et le XVIe siècle ?
– Pourriez-vous faire un tour de prestidigitation devant du public pendant le jeu ?
– …
4) Les actions des personnages
C’est ici que ça se corse. Jusqu’à présent nous nous sommes plutôt concentrés sur des caractéristiques de personnages assez simples pour savoir si les joueurs pouvaient les jouer ou non. Cette première partie de questionnaire est assez facile à construire, mais pour autant elle ne vous indique en rien si un joueur aura envie ou non de jouer tel ou tel personnage.
Pour cela, un bon moyen consiste à partir de ce que les personnages auront à faire concrètement pendant le jeu, et de le synthétiser en phrases simples et claires. Si vous avez un personnage de bureaucrate qui doit régulièrement rédiger des rapports à sa hiérarchie, il s’agit d’une action concrète de jeu qui est importante pour le rôle. Il peut être intéressant de savoir si c’est quelque chose qui amusera votre joueur ou si au contraire il n’appréciera pas du tout. Soyez précis. La question « Voulez-vous jouer un bureaucrate ? » sera beaucoup moins claire et vous renseignera moins sur les motivations du joueur que la question « Voulez-vous jouer un rôle dans lequel vous serez amené à rédiger des rapports réguliers sur votre activité ? ». Dans cet exemple il s’agit d’une action liée à la fonction du personnage (ce qui peut être un bon moyen pour déterminer les actions possibles), mais pensez également à toutes les actions qu’il peut être amené à faire à cause de votre scénario.
Exemples de questions liées aux actions des personnages :
– Êtes-vous prêt à courir régulièrement pendant le jeu ?
– Est-ce que le fait de prononcer des discours en public vous dérange ?
– Voulez-vous jouer un rôle dans lequel vous êtes amené à rester en planque sans rien faire pendant plusieurs heures ?
– …
5) Ce qui attend les personnages
Vous avez peut-être prévu des événements qui affecteront les personnages d’une façon ou d’une autre. Vérifiez que vos joueurs pourront profiter de ces événements.
Exemples de questions liées à ce que subissent les personnages :
– Avez-vous peur des serpents ?
– Êtes-vous prêt à vous faire enfermer dans un coffre de voiture ?
– Jusqu’où accepteriez-vous des contacts physiques en jeu ?
– …
6) Les références
Dans le cas d’archétypes de personnages liés à une thématique particulière, n’hésitez pas à utiliser des références pour que les joueurs saisissent bien l’idée du personnage, de l’ambiance et de ce qu’ils auront à faire. Cela recoupe les catégories précédentes, mais vous donnera des informations supplémentaires. Attention toutefois, les références ne sont pas toujours partagées par tout le monde.
Exemples de questions avec des références :
– Auriez-vous envie de jouer un personnage de type Jason Bourne dans la Mémoire dans la peau ?
– Dans le Seigneur des Anneaux, lequel des personnages préféreriez-vous jouer et pourquoi ?
– …
Les catégories listées ci-dessus ne sont pas exhaustives, ne vous y cantonnez pas. Vous aurez probablement d’autres idées de questions qui ne rentrent dans aucune d’entre elles, mais qui peuvent avoir du sens pour votre jeu, posez-les ! L’important est de trouver des questions claires et précises et d’éviter les questions floues du type : « Aimez-vous les intrigues politiques ? ». Il est peu probable que les joueurs pensent exactement à la même chose que vous avec ce genre de questions, qui n’indiquent pas réellement aux joueurs ce que ça impliquera pour eux.
Mais ça prend un temps fou, non ?
Le secret de l’utilisation de cette méthode, c’est de construire le questionnaire au fur et à mesure, dès le début de l’élaboration des personnages. Dès que vous parlez d’un personnage ou d’une situation qu’il pourrait vivre, vous soulèverez probablement assez naturellement des questions sur le type de joueur dont vous avez besoin pour cela. Notez dès ce moment une question que vous pourrez poser et qui vous donnera des indications pertinentes (et n’oubliez pas d’indiquer pour vous à quel personnage est destinée la question !). Cette méthode de construction de questionnaire fonctionne d’ailleurs très bien avec la méthode d’écriture de scénario précédemment publiée.
Inutile d’être exhaustif, concentrez-vous sur les aspects dont vous avez vraiment besoin de connaître la réponse. Il est même possible que vous n’ayez aucune question à poser pour certains personnages, mais vous y aurez tout de même réfléchi.
Une fois les questionnaires remplis, il va falloir les lire et en tenir compte. Normalement il devrait être assez facile d’éliminer certains personnages pour chaque joueur selon ses réponses. Reste ensuite à choisir parmi les personnages restants. Vous aurez peut-être du mal à faire un casting idéal, mais tenez compte des réponses, il n’y a rien de pire pour les joueurs que de remplir un questionnaire aussi détaillé et de voir que leurs choix n’ont pas été pris en compte. Et si malgré tout vous devez attribuer un rôle qui ne correspond pas aux réponses d’un joueur, contactez-le pour lui en parler !
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13 juin 2013 at 10 h 02 min
Excellent article !
Pour ma part, j’encourage les organisateurs à rédiger un questionnaire d’inscription détaillé, et à utiliser les réponses des joueurs plutôt que leur intuition pour le casting. L’intuition ne me sert que lorsque les réponses de deux joueurs les mettent sur le même perso.
Ca permet de donner aux joueurs ce qu’ils veulent, plutôt que de leur donner ce que vous imaginez qu’ils veulent, ou que vous voulez vous en tant qu’orga.
13 juin 2013 at 10 h 15 min
Si vous faites un questionnaire en ligne, un bon outil c’est google drive.
Voir par exemple le questionnaire de Rouge Garance qui l’utilise : http://www.grand-duc.fr/garance/inscriptions.htm
Pour l’apparence, il y a plusieurs templates et on récupère toutes les réponses dans un tableur.
Et c’est une bonne inspi d’aller voir des questionnaires d’autres assos.
13 juin 2013 at 21 h 52 min
Pour nos jeux, nous construisons les scénarios après inscription des joueurs et remplissage du questionnaire (ce qui nous aide énormément quand il s’agit de nouveaux joueurs). Par contre, le questionnaire reste basique mais nous permet de réaliser une ébauche de BG et d’ensuite échanger avec le joueur.
J’aime bien celui de Rouge Garance. Le dernier en date :
http://www.gi-gn.org/Bloodball/inscription.php
14 juin 2013 at 9 h 10 min
Pour le Conte des 7 voiles, j’avais testé le questionnaire ci-dessous (amélioré pour la seconde édition). Il est inspiré du modèle étoile et cherche à connaître objectivement les goûts du joueur.
Donnez une note de 1 à 3 pour ces aspects du GN (1 = peu d’intérêt et 3 = votre passion):
-Ressentir mon personnage et ses émotions.
-Construire le jeu et le destin de mon personnage (y compris sa perte).
-Vivre le personnage de façon réaliste et dans l’ambiance du jeu.
-L’action et la liberté au cours du jeu.
-Enquêter et comprendre ce qui se passe.
-Me confronter aux autres personnages et atteindre des objectifs.
les résultats sont quand même très variés et soumis à l’interprétation de chacun. Je vais tenter d’affiner le système la prochaine fois.
En tout cas merci pour cet article !
17 juin 2013 at 16 h 09 min
Effectivement le questionnaire, peu importe ses déclinaisons, est un bon moyen d’éviter les erreurs de casting. Et de prendre la température globale des attentes des joueurs sur le gn.
Et ce faisant,cela permet pour l’orga d’aller plus loin dans ce qu’il propose en minimisant les risques. (Certains rôles sont beaucoup plus difficile à jouer que d’autre)
Plus encore, cela permet si l’orga le souhaite d’impliquer le joueur dans la création de son personnage. Même si le personnage est déja défini, il est possible de moduler son costume, son histoire et sa personalité en fonction du pj. (A moins d’avoir un pj couteau suisse sachant tout jouer)
Ceci dit, cela a aussi des effets négatifs,j’ai testé le questionnaire et sur base des réponses, personne ne veux jouer de mime dans mon prochain gn, c’est regrettable 😉 (Mhh note que les pnj eux, n’ont pas vraiment le choix ^^)
18 juillet 2013 at 11 h 26 min
Merci pour l’article Vincent!
Deux réflexions me viennent à sa lecture et à celle des commentaires.
– D’une part, il pourrait être bien de constituer une banque de données des questionnaires existants.
– D’autre part, sur les questionnaires en eux-mêmes, il est toujours intéressant de placer des questions indirectes qui permettent de distinguer
1) le joueur du personnage. Comment se sent le joueur va influer sur comment se joue le personnage. Pas l’inverse. Concrètement, un joueur fatigué aura du mal à jouer un voleur chatoyant version Arsène Lupin. Le simple fait de permettre au joueur de clarifier cet écart permet de le réduire : prendre conscience de mon état me permet au besoin de mieux lutter contre.
2) le jeu idéal et l’idéal du jeu (c’est pour la tournure de phrase!) En clair, entre la manière dont je me vois jouer, ce que je donne à voir, et ce que je pense donner à voir, il y a souvent un écart. Parfois un gros écart. Du coup, on peut demander à un joueur : à votre avis, comment vous voient les autres joueurs de GN? / quelles ont été vos difficultés de jeu lors des derniers GN que vous avez fait? etc.
Ces techniques de décentration sont très utiles dans les questionnaires, car elles permettent élégamment de mettre en évidence tout un tas de non-dits, parfois inconscients, qui sont souvent ce qui va coincer.