Association : Hauts et Cour (Rôle)
Auteurs : Muriel. A, Hadrien. R, Fabrice. R. Emmanuel. B, Blandine. C, Vincent. M, Alexandre. D
Le Fahrenheit 1.9 (faites attention où vous placez les H !) auquel j’ai eu la chance d’assister les 21 et 22 avril dernier est plus ou moins une réédition du Fahrenheit tout court, un jeu qui avait fait pas mal de bruit il y a deux ans. Pourquoi plus ou moins une réédition ? Parce qu’entre ces deux versions du jeu, les auteurs ont procédé à pas mal de modifications, de façon à obtenir un jeu qui sans en être radicalement un autre n’en est pas moins très différent du premier. Il était d’ailleurs possible pour certains anciens joueurs de revenir en semi-PNJ, et (en tout cas au moins théoriquement) de redécouvrir à nouveau une trame de jeu et des intrigues nouvelles. D’où l’appellation 1.9 qui, les auteurs le soulignent, n’est pas 2.0 mais presque… Vous pouvez d’ailleurs entendre l’interview des auteurs et quelques réactions à chaud de joueurs dans l’épisode 1 de radio-GN ou encore regarder la bande-annonce des deux jeux ici pour vous mettre dans l’ambiance : http://fahrenheit-le-gn.blogspot.fr/
Cette petite parenthèse de pub refermée je vais essayer de faire ici un compte rendu de ce jeu, compte rendu qui ne sera pas exhaustif, parce que :
1) Il relève de ma seule expérience, et qu’en plus j’ai joué dans un groupe particulier qui n’est pas forcément le reflet du jeu en lui-même (je me rends compte que cette phrase est mystérieuse mais j’y reviendrai, continuez à lire)
2) C’est une trop lourde mission pour moi que de couvrir l’intégralité des aspects d’un jeu dont les plus fréquents retours louent la diversité et la multiplicité des intrigues ainsi que la richesse de l’univers
3) Je préfère parler des points qui m’ont le plus frappée ou me semblent intéressants à développer ou à questionner plutôt que d’essayer vainement de parler de tout.
Mais quand même, je tiens à préciser, comme je ne vais finalement pas en parler tant que ça, que le Fahrenheit est un jeu riche, fouillé, soigné. Comme je viens de le dire, beaucoup ont été enthousiasmés par la densité des intrigues mais aussi leur variété – depuis les intrigues les plus personnelles et familiales, jusqu’aux intrigues politiques complexes qui s’entremêlent assez bien – par la large palette de situations et d’émotions rencontrées en jeu, et par la richesse de son univers. Quant à savoir si chacun a bénéficié de ce miracle (ce qui revient à demander si le jeu est « équilibré »), je ne sais pas et c’est un élément difficile à juger. Sans doute que tous n’ont pas été autant impliqués personnellement (et je parle ici davantage des attentes des joueurs et de la façon dont une intrigue peut toucher individuellement) que les autres, sans doute certains rôles ont pu peut-être en éclipser certains autres trop facilement (mais ce sont aussi les hasards du casting), sans doute que toutes les intrigues ne se valent pas (mais c’est le propre de beaucoup de jeux), mais globalement on ne peut nier qu’il y a derrière ce jeu beaucoup de matière et beaucoup de travail, et je tenais à le souligner avant d’aller plus loin.
Je vais analyser ici deux aspects qui me paraissent intéressants et qui sont plus spécifiques à ce jeu que les remarques précédentes, qui finalement peuvent s’appliquer à plein de jeux un peu travaillés :
– L’utilisation de moyens technologiques au service du scénario et de l’immersion.
– Comment mélanger le sérieux et la dérision dans un GN ?
1. L’apport de la technologie au scénario et à l’immersion
Les progrès technologiques qui ont envahi la société n’ont pas de raison d’épargner le milieu du GN, pour peu que comme les orga Hauts et Cour (et toutes les personnes qui les ont aidés) on maîtrise un peu le sujet. C’est leur cas, pas le mien, donc bien sûr pour le profane c’est assez merveilleux de voir s’ouvrir un univers des possibles, qui vient suppléer à la seule narration des fiches de personnages et à la beauté des décors et des costumes, souvent uniques outils utilisés pour favoriser l’immersion et faire adhérer à un scénario. Évidemment, l’intérêt des supports technologiques ne s’entend pour moi que s’il n’est pas peaufiné au détriment de ces points et c’est un écueil que les orgas du Fahrenheit ont bien évité.
Tout d’abord bien sûr, il y a un intérêt évident à l’utilisation de ce type de procédé, ne serait-ce que par la richesse et la fluidité grâce à laquelle les auteurs d’un jeu peuvent transmettre des informations, des éléments d’univers ou de scénario, et peuvent aider l’immersion chez leurs joueurs. En ce sens, le Fahrenheit n’est pas un pionnier. Je pense notamment à l’utilisation de pages internet personnalisées comme média de transmission des fiches (comme décrit par Fred par exemple dans sa critique d’Espresso Connection). La photo est aussi couramment employée, avec tous les trucages qui sont permis pour faire des docs en jeu, ou pour son pouvoir nostalgique énorme d’après jeu. La musique aussi a depuis déjà longtemps pris une place importante dans les jeux, jusqu’à parfois occuper une grande part des préoccupations de l’auteur, voir d’occuper une place centrale dans le jeu. Envoyer une piste musicale accompagnant la fiche de personnage ou bien diffuser des morceaux au fil du jeu sont par exemple devenus monnaie courante, et on ne peut nier l’impact supplémentaire de cet élément, lorsqu’il est bien choisi.
Les orgas du Fahrenheit, pour poser l’ambiance d’empire totalitaire et eugéniste, on notamment utilisé un hymne national fort, fourni aux joueurs avant le jeu afin qu’ils se familiarisent avec. Sa diffusion à plein volume à des moments clés est à mon sens une excellente façon de favoriser l’immersion et de donner aux joueurs un coup de pouce à l’interprétation d’un patriotisme exacerbé qui n’est pas obligatoirement dans le panel d’émotions connus des joueurs. En plus, la notion d’hymne s’inscrit parfaitement dans l’imagerie du totalitarisme (et pour cause, on ne répétera pas le pouvoir énorme de la musique officielle dans l’embrigadement des peuples), et l’effet assez simple, fonctionne très bien.
Mais les auteurs vont plus loin. Sur le Fahrenheit, une large place est donnée aux images, et notamment à la vidéo. Là encore, que ce soit la bande-annonce du jeu, les émissions de télévision, les publicités ou les flashs d’informations diffusés en cours de jeu, les joueurs sont aidés pour assimiler l’univers, mieux sans doute qu’un document-monde lourd et indigeste. Et surtout, ils ont le pouvoir de relancer en jeu cet enthousiasme, comme une petite piqûre de rappel sur l’Univers (parce que bon, les joueurs qui vont relire le doc-monde en cours de jeu pour se remotiver à être bien dans l’ambiance voulue par les auteurs sont -j’imagine- assez rares…). En ce qui concerne les flashs d’information par exemple, ils apportent aussi leur dose d’émotions, par leur froideur, leur caractère objectif. Je ne peux détailler ici, mais certaines nouvelles apprises de la bouche d’un envoyé spécial zélé mais détaché ne procurent pas le même effet qu’apprises par son meilleur ami en larmes… et ça redonne donc aussi une nouvelle richesse émotionnelle pour le joueur, dans le vécu de scènes tragiques ou au contraire heureuses. Détachement et froideur qui renforcent assez bien le ton donné à l’univers, et appuient sur le contraste avec les émotions individuelles. Pareil, moi qui en tant qu’étudiante ai raté l’arrivée et les salutations de l’Être Suprême, sorte de divinité de l’univers, vivre la scène avec mes camarades de classe sur écran donnait finalement une autre couleur et un autre vécu que pour les joueurs « présents ».
Mais ils sont allés encore plus loin dans leur utilisation des supports. Notamment parce qu’à les en croire, leur intention première était une répercussion réelle des joueurs sur le jeu. Aussi ils ont pas mal utilisé la vidéo pour filmer en cours de jeu des scènes, des actions, qui devaient être rediffusés ensuite, que les joueurs concernés le sachent ou non. Par exemple, toujours en tant qu’étudiants en phase finale d’examen, nous avions une minute pour faire un discours filmé sur nos qualités et notre supériorité par rapport aux autres. Pas forcément habitués à parler devant une caméra et en temps limité avec des questions découvertes au dernier moment, le stress n’était pas le même qu’un discours devant un jury par exemple, situation avec laquelle nous sommes peut-être plus familiers. Mais lorsque nos productions, des heures plus tard, après une évolution parfois importante des relations entre nous, ont été diffusées devant tous lors du dîner de gala, et sur grand écran, ce sont d’autres sensations qui se sont manifestées… Ces moyens apportent donc -je trouve- une richesse supplémentaire, notamment par leur caractère relativement inattendu et inhabituel, ce qui renouvelle nos réflexes et bouleversent nos habitudes.
Le débriefing en vidéo peut être également à retenir, parce que c’est quand même moins indigeste que le débrief oral, et que ça permet aux auteurs de donner aux joueurs juste ce qu’ils ont envie que ces derniers sachent et pas forcément de leur asséner tout l’ensemble de leur œuvre dans les moindre détails. Ça atténue aussi un peu l’effet « je t’ai vu nue sans maquillage » qui est parfois un peu violent en fin de jeu, lorsqu’on déballe brusquement et concisément, souvent sans finesse, les tréfonds d’un perso qu’on s’était démené pour jouer avec subtilité pendant 24h. Mais bon, c’est aussi parfait pour un jeu futuriste et demande de l’adaptation pour les autres univers. (Et là j’ouvre une parenthèse pour dire que le débrief devrait aussi être un sujet de réflexion si ça intéresse quelqu’un… c’est le lieu où lancer des perches comme ça, non ?)
Bon alors des fois, il semble qu’ils aient été un peu grisés par la prouesse technique. Certains supports de jeux vidéo par exemple exécutables en jeu et pour le jeu sont moins facilement défendables en termes d’immersion et de crédibilité d’émotions, mais c’est parfait en même temps parce que ça me donne une transition toute trouvée vers le point suivant.
2. Le « Cocktail Haut et Cour »
Parce que oui, un autre des points distinctifs de Hauts et Cour, c’est la volonté de mélanger sérieux et humour, immersion et absurde (ce n’est pas moi qui le dis, c’est eux, vous aviez qu’à écouter l’interview).
Alors il serait un peu vain de chercher à savoir si ce parti pris est fondé ou non. Les fervents défenseurs de l’immersion à tout prix pourront être déçus de voir l’ambiance savamment instaurée se trouver « gâchée » par un clin d’œil ou une touche d’humour qui vient faire retomber la pression. D’autres seront peut-être soulagés de pouvoir faire une pause « autorisée par les auteurs », reconnaissants de pouvoir trouver à rire même dans un jeu lourd, de se sentir unis aux autres joueurs par la force de références communes sans tomber dans le hors-jeu, et de pouvoir partager une émotion positive « en méta jeu »… Les avis se valent j’imagine, et dépendent encore une fois de ce qu’un joueur vient chercher en GN (bon sujet d’article) et de ce que des orgas veulent donner à vivre en GN (autre bon sujet). Comme c’est annoncé en amont (et je respecte beaucoup les orgas qui annoncent ce qu’ils vont faire… et qui le font), y’a rien à redire.
Donc je ne vais pas donner mon opinion sur ce point. Ce qui compte à mon avis est de comprendre pourquoi les orgas ont choisi cette approche et comment ils l’ont rendue. Le pourquoi, ils en donnent cette explication : « c’est pour montrer qu’on ne se prend pas trop au sérieux ». Comme ils ont répondu à la question, il est difficile d’avoir un avis différent… et pourtant personnellement j’ai du mal à m’en contenter. Travailler de longs mois sur un jeu, et puis introduire ce que certains puristes pourraient considérer comme un « sabotage d’ambiance » me paraît un bien grand sacrifice juste pour satisfaire à la modestie… Je dirais plutôt que c’est leur ton, ce qui correspond justement à leur volonté d’orgas, ce côté « se faire plaisir en jouant avec des références » et fournir ce plaisir à ceux parmi leurs joueurs qui partagent cette attente.
Comment le font-ils ? D’abord ils plantent un cadre. Je l’ai dit, le Fahrenheit est un jeu dont le contexte pourrait vite être oppressant, un régime totalitaire, galvanisant pour ses défenseurs, terrifiant pour les autres, qui prône l’eugénisme, la discipline, la soumission et l’excellence. On ne s’attend pas vraiment à rigoler. Par là-dessus, ils rajoutent une flopée de semi-PNJ qui incarnent le cadre de cette société, les mystérieux Impériaux, dont les costumes et le rôle play, n’incitent pas vraiment à la gaudriole. Ensuite, ils donnent des consignes très claires avant le jeu : « Vous aimez ce monde, vous ne voudriez sous aucun prétexte vous rebeller contre lui ». Les joueurs sont prévenus, le ton est donné. Et pourtant, très vite en jeu (en tous cas pour une partie des personnages), la rébellion se présente, séduit, voire s’impose… Et c’est assez inquiétant pour le joueur que de se surprendre à penser rebelle alors que des consignes précises ont été données à ce sujet, et qu’il va de ce fait se sentir seul et isolé (s’il s’autorise à désobéir et à le jouer ce qui à mon avis est souhaitable).
Et puis, par là-dessus, ils parsèment des détails funs. Certains personnages qui extérieurement en tous cas frisent la caricature (j’espère pour leurs joueurs que pas seulement). Des détails chocs, comme l’hymne national, copie de la musique de « Starship Troopers » qui sera dans une publicité (magistralement) déclinée selon tous les styles musicaux, ou le musée archéologique qui ne contient que des objets courants grossièrement mal interprétés. Des épreuves absurdes comme jouer à la Wii en robe XVIIIe au milieu d’une soirée de gala en tant qu’examen d’intronisation, ou à une version modifiée de « Qui veut gagner des millions ? »… Bref, une foison de situations qui prêtent à rire. Qui allègent le ton général, mais qui le modifient aussi. Forcément, quand on discute de préférences sexuelles avec un Impérial, on a plus de mal à être glacé de trouille à l’idée de le croiser dans un couloir. Quand une drogue te rend accro au sexe, et que tous les adultes te font des propositions scabreuses, le caractère unique de la soirée d’émancipation sexuelle et du choix du premier partenaire perd un peu de sa force.
Il y a néanmoins un point que je trouve regrettable (je ne peux pas faire que des compliments), et qui est peut-être lié à cette ambivalence de parti pris. Les joueurs sont confrontés à un univers différent, déstabilisant, mais dont la compréhension est cruciale pour le déroulement du jeu. Si toute la technologie est très bien mise au service de cette immersion, certains points, naturels pour les personnages, sont très inhabituels pour les joueurs, et leur restent difficilement accessibles. Je pense notamment à la place cruciale de la descendance en jeu, mais aussi à la possibilité de se marier à plusieurs, avec gens du même sexe ou non, et de la même famille, ou encore à la réalité même de jouer dans un régime totalitaire et d’en être heureux. Certains orgas auraient travaillé sur ces points, par le biais de ressources écrites, vidéos, de plus de détails sur les fiches ou les documents monde, voire, comme c’est en train de se faire à présent, de workshops pourquoi pas ? Si les orgas ont voulu privilégier la légèreté des docs de jeu, leur univers vraiment complexe n’est pas simple à assimiler et fait parfois pencher le balance du côté de la dérision, ce que je trouve dommage. De même le fond du jeu, la fin notamment, est assez inaccessible aux joueurs (enfin ceux auxquels j’ai pu en parler), qui n’ont pas eu forcément les moyens d’en apprécier et d’en comprendre les tenants et aboutissants.
Mais là encore, est-ce capital ? Faut-il maîtriser un monde pour s’y amuser ? Est-ce que cela peut faire partie du « jeu » justement ? De ce mélange complexe entre réalisme et amusement ? Entre sérieux et simplicité ? À chacun de trouver le dosage qui lui plaît… Les orga Hauts et Cour semblent avoir trouvé le leur en tous cas !
Pour la musique : www.myspace.com/redmourning (ceussent là même qui zont fait l’hymne du jeu.)
Photos : http://www.facebook.com/
Marine SCHWAB
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désolé pour cet oubli. c’est rectifié