Ami organisateur, toi qui souhaites faire vivre tes joueurs dans une société différente ; toi qui veux créer une atmosphère sociale profonde où tes joueurs verront le monde et leurs interactions avec un œil nouveau ; toi qui veut mieux qu’un univers creux et de façade.
Ami organisateur, je te souhaite bien du courage, car ta tâche sera rude. Il te faudra déjà être capable d’imaginer cette société, ce qui n’est pas une mince affaire. Plus difficile encore, il te faudra réussir à aider tes joueurs à incarner cette société. C’est là un problème bien plus épineux.
Et pour transmettre tes idées, de quoi disposes-tu ? Très concrètement, une vingtaine de pages (le document décrivant le monde) et peut-être quelques ateliers. Aller au delà est généralement inutile, voire même contre-productif : trop d’information tue l’information, les joueurs ne lisent plus les documents et même s’ils le font, ils auront du mal à utiliser leurs lectures sur le coup[1].
Un PJ à la limite de la surcharge d’information !
Ouch, vingt pages pour décrire une société… C’est peu. Surtout parce que tu souhaites une immersion profonde : il te faut non seulement décrire comment le monde fonctionne mais aussi donner des moyens concrets aux joueurs pour le faire fonctionner !
Cette limite fait qu’il te faudra gérer cet espace de communication avec intelligence. C’est là où beaucoup de jeux pèchent, menant à un gâchis considérable en termes de possibilités d’immersion !
L’erreur la plus commune est de se concentrer sur des détails. Par exemple, décrire la manière de dire l’heure. Cette perspective est attirante car elle mène à des comportements très visibles, ceux qui font plaisir aux organisateurs et aux photographes. Mais ce genre de description a des défauts très importants compte tenu de notre espace limité. D’une, cette influence “pré-codée” est assez anecdotique : elle ne va pas changer en profondeur les interactions ou la dynamique sociale, rien qui ne nous immerge dans un monde vraiment différent. De deux, c’est qu’elle ne s’applique que pour relativement peu de situations, ce qui est peu rentable en terme d’espace mémoire du joueur. C’est comme du maquillage : on a l’illusion de voir quelque chose de différent, mais en dessous c’est tout pareil et on est déçu dès qu’on gratte un peu la surface. Mais est-ce qu’avec ce genre de technique on va avoir l’impression de vivre dans une société différente, avec une manière de voir le monde vraiment différente ? Très difficilement.
Ce problème est malheureusement fréquent ! Comptons par exemple le détail de l’histoire des 500 dernières années, des dix sectes qui peuplent le monde (on en verra peut-être deux dans le GN), les trente manières de cuisiner le ragout… Franchement, quel impact ce genre de “règle sociale” a-t-elle sur la dynamique sociale ? Clairement pas grand chose. Est-ce que ça vaut vraiment une demi-page (voire plus) de tes précieuses vingt pages ? Certainement pas.
Dans cet article, je propose une technique pour présenter le monde aux joueurs. Cette technique consiste à définir les “valeurs” des personnages et de leur société. Cet article fournit la base pour d’autres articles qui suivront. Ces articles introduiront plus en détail comment utiliser concrètement les valeurs pour améliorer son jeu, aussi bien en tant qu’organisateur qu’en tant que PJ.
Cette technique offre de nombreux avantages par rapport aux techniques existantes de description du monde. Tout d’abord, au contraire des descriptions du type “points de détails”, elle est offre un très bon rapport entre l’espace pris, son applicabilité en jeu et sa capacité à faire émerger des dynamiques sociales. Cette technique permet aux organisateurs de définir leur paradigme social, ce qui les aide à rendre leur univers plus cohérent et à décrire les autres documents de jeu. Cette technique est simple à appréhender par les joueurs : elle a même pour vocation à être utilisée en jeu. Elle permet notamment aux joueurs de voir le monde selon une perspective nouvelle et cohérente avec celle des autres, en restreignant au minimum leur liberté. Enfin, cette technique est particulièrement utile pour faire émerger des dynamiques sociales nouvelles avec aisance, en mettant les joueurs au premier plan de cette émergence et en les aidant pour y parvenir.
Pour ceux que ça intéresse, cette technique ne sort pas de mon chapeau. Elle provient d’un travail de recherche en simulation de systèmes sociaux à base d’agents. Pour faire simple, cette discipline cherche à concevoir des intelligences artificielles qui imitent l’intelligence humaine (pour parler GN, on décrit les décisions des personnages) de sorte que ces IA, en interagissant ensemble, fassent émerger le même genre de dynamiques sociales que celles qu’on trouve dans des sociétés humaines. La technique proposée dans cet article est issue d’une recherche qui vise à représenter efficacement l’influence de la culture sur les décisions de l’IA, de sorte qu’on fasse émerger les mêmes phénomènes culturels collectifs que dans les sociétés humaines.
À noter : du point de vue GNS, la technique présentée dans cet article est évidemment à visée simulationniste. Néanmoins, cette technique a pour vocation de faire émerger une dymanique sociale forte avec le minimum d’effort d’adaptation requis de la part du joueur. Dans ce sens, cette technique est tout aussi, sinon plus, utile pour des jeux gamistes ou narrativistes.
Qu’est-ce qu’une valeur ?
Le terme valeur est un terme complexe issu de la psychologie et de la sociologie. Au lieu de nous perdre en définitions, introduisons plutôt les aspects des valeurs qui peuvent être utiles pour le jeu.
Les principaux aspects des valeurs
Les valeurs sont une influence centrale et générique, qui s’appliquent dans beaucoup de situations. Les autres influences offrent plus de détails mais sont aussi plus spécifiques à un contexte donné.
Le plus important à retenir d’une valeur, c’est que c’est une propriété du monde supposée être intrinsèquement « bonne ». Par exemple « c’est bien d’être responsable » ou « c’est bien d’être autonome ».
Notez que ce n’est qu’un indicateur. Cet indicateur est généralement correct, mais il peut parfois être faux. Par exemple, être autonome, c’est généralement une bonne chose, mais parfois ça peut mener à des situations peu désirables (ex : se retrouver isolé). Quand on utilise les valeurs, on suppose que cet indicateur est correct.
Des grandes catégories de valeurs (Schwartz)
En pratique, les valeurs sont utilisées comme un raccourci intellectuel pour prendre des décisions difficiles. Au lieu de tergiverser pendant des heures, on les utilise comme indicateurs pour arriver à une décision. Par exemple, “je fais ça car c’est conforme à la règle”, “je donne cette mission à Jean-Luc car il est le plus compétent pour ça”. Plus précisément, les individus mettent des priorités sur leurs valeurs : c’est mieux d’être influent qu’être obéissant. Les priorités aident à trancher les dilemmes : une personne avec de telles valeurs peut facilement désobéir pour gagner en influence. Autre point positif des valeurs, c’est qu’elles couvrent beaucoup de situations. Par exemple, la valeur de “compétence” peut être utilisée dans tout ce qui est allocation de mission, négociation, demande d’aide etc.
D’un point de vue interaction/collectif, les valeurs, quand elles sont partagées, font facilement émerger des dynamiques sociales particulières. En effet, tous les individus sont poussés dans une certaine direction : ils accordent la même importance à certaines caractéristiques des gens et du monde (obéissance, discipline, autonomie). À cause de cela, ils agissent et font émerger des dynamiques sociales uniques. Par exemple, si la valeur “pouvoir” est mise en avant, les gens ont tendance à créer des relations de domination, “la loi du plus fort”. Si c’est la valeur “égalité”, les gens ont plutôt tendance à chercher le consensus. Si c’est « accomplissement », les gens cherchent plus des relations d’intérêts communs (contrats). On verra dans un prochain article des méthodes génériques pour renforcer la dynamique sociale mise en place.
Exemple de dynamiques sociales mises en avant par des valeurs d’audace, de succès, d’ambition vs. de respect, d’humilité, de politesse [Yang Liu]
Exemple de dynamiques sociales mises en avant par des valeurs d’égalité, de justice sociale, d’honnêteté vs. des valeurs d’autorité, d’ordre et de réputation[Yang Liu]
Définir concrètement des valeurs pour un jeu ou pour un personnage
Étape 1 : une vue synthétique : la manière la plus directe consiste à débuter le document de description du monde en disant : “cette société/ce personnage est grandement influencé par les valeurs A, B et C“. Ma recommandation est de ne pas dépasser trois valeurs. On verra dans un prochain article des techniques avancées pour définir des valeurs.
Un exemple visuel de définition des valeurs (une version avancée incluant des valeurs secondaires dont on reparlera dans un prochain article). On trouve trois valeurs principales (performance, proximité, pragmatisme) ainsi que des valeurs “secondaires” qui “découlent” des valeurs principales
Étape 2 : une définition plus approfondie : Cherchez ce que cette valeur veut dire. Par exemple, pour “obéissance”, Larousse me dit : “Se soumettre à la volonté de quelqu’un, à un règlement, exécuter un ordre : Obéir à ses parents, à la loi.” En bonus, illustrez l’application de cette valeur sur des exemples concrets du jeu : “si un supérieur te donne un ordre, tu en es satisfait. Tu vas faire ton possible pour l’exécuter au plus vite et au mieux, sans négocier”.
Étape 3 : indiquer la dynamique sociale attendue : Si la valeur est partagée par la société, décrivez la dynamique sociale espérée. Ca permettra d’aider à la faire émerger en jeu : “les ordres tombent sans être négociés, les supérieurs découpent les ordres pour leur subordonnés qui font leur possible pour y obéir au mieux. S’il y a des erreurs, ce sont aux subordonnés de se débrouiller ou de payer les pots cassés”.
Étape 4 (facultative) renforcez cette valeur : pour que les joueurs s’imprègnent mieux de cette valeur qui n’est peut-être pas l’une des leur, il faut renforcer le lien qu’ils ont avec elle. Cherchez dans l’émotionnel, ça marche très bien. Pour la brigade, on peut dire : “il faut obéir, sinon c’est le chaos et le chaos c’est la mort. Il faut obéir aux chefs car ils ont raison, car ils ont une vue stratégique de la situation”. On le verra dans un prochain article, ce renforcement sera très utile pour motiver les joueurs à se comporter en accord avec les valeurs et pour punir ceux qui ne le font pas : “En désobéissant tu nous a tous mis en danger ! Tu veux nous faire buter, c’est ça ?”
Voilà, c’est tout. Ça ne devrait pas prendre plus d’une page pour trois valeurs bien détaillées et exemplifiées. Et pourtant, ces valeurs offrent un guide précieux pour vous et vos joueurs (voir les prochains articles) ainsi qu’une grande force pour mettre en place une dynamique sociale attendue. Efficace, non ?
Conclusion
Dans cet article, nous avons mis en avant une technique qui vise à définir efficacement le monde. Cette technique consiste en l’introduction de « valeurs » (ex : obéissance, honnêteté, efficacité, sécurité). Les valeurs sont des propriétés abstraites du monde que les personnages vont considérer comme importantes et agir le plus possible en accord avec elles.
D’un point de vue individuel, ces valeurs améliorent la cohérence dans le comportement du personnage en fournissant un « point fixe ». Quand le joueur interprète un personnage, il peut se référer aux valeurs pour prendre des décisions cohérentes au cours du temps. D’un point de vue collectif, les valeurs permettent de définir la « longueur d’onde » du groupe. Elles font émerger avec force des dynamiques de groupe très particulières à une société donnée.
Les valeurs permettent de compléter les techniques actuelles pour définir les individus et les sociétés. Alors que les techniques actuelles visent principalement à pré-coder en détails certaines interactions spécifiques, les valeurs offrent un guide plus abstrait mais applicable à bien plus de situations. Les deux sont à utiliser de manière complémentaire : les valeurs définissent un cadre général qui permet aux autres techniques d’y greffer des règles concrètes.
Afin d’éviter les levées de bouclier inutiles, je tiens à rappeler l’objectif de cet article : je propose une technique pour améliorer la conception du jeu. Je ne dis pas que c’est la seule manière de faire, ni que je suis le seul à y avoir pensé. Je mets simplement en lumière une technique et ses nombreux intérêts pour le GN (peu coûteuse en espace, facile à utiliser par les joueurs, a un impact fort sur la dynamique sociale… On en verra davantage dans les prochains articles).
Afin d’aller plus loin, je compte organiser une murder party dans le but d’y tester cette technique (a priori, cette murder sera « le match du siècle » qui confronte deux groupes avec deux cultures différentes). Si l’approche vous intéresse et que vous souhaitez participer au jeu ou simplement en savoir plus, vous êtes bienvenu ! N’hésitez pas à me contacter.
Au plaisir de vous retrouver en jeu !
Loïs
Remerciements
Je tiens à remercier Baptiste, Hoog et Vincent pour leur relectures et leurs conseils avisés, ainsi qu’Hélène, Mathilde et Vince qui m’ont aidé à tester ce concept.
Notes
[1] Ce chiffre n’est pas absolu et peut varier en fonction du GN. Typiquement, on peut aller plus loin sur un GN orienté simulationnisme, mais la limite cognitive et motivationnelle arrive tout de même rapidement.
Loïs Vanhée
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8 février 2016 at 8 h 30 min
ouaip, l’important c’est les valeurs comme dirait l’autre^^
au delà des valeurs, je m’appuie sur le comportementalisme pour proposer des choses “logique” vis a vis du groupe/tribu/ethnie/peuple du PJ.
Valeurs / comportements / habitudes / biais mentaux (éducatifs)
A+
Karu
8 février 2016 at 9 h 34 min
Salut Karu !
Merci pour ton intérêt !
Tu as raison, il existe d’autres pans de la psychologie qui sont utiles pour définir des comportements de groupe.
Le comportementalisme, qui se concentre sur les comportements visibles, est particulièrement utile pour renforcer les méthodes traditionnelles de “règles sociales”. En gros, le comportementaliste te dit “dans la réalité, si tu as le type de comportement X dans une société alors tu as probablement le type de comportement Y dans une société”. Cette approche te donne une bonne mesure pour pouvoir “valider” qu’un (ensemble de) comportement est réaliste.
L’approche comportementaliste diffère de l’approche par valeurs en ce point. L’approche comportementaliste se concentre sur des comportements concrets alors que l’approche par valeurs te fournit un ensemble de motivations plus profonde. Par conséquent, les deux approches sont à utiliser pour des effets différents : pour chercher des comportements concrets (les approches traditionnelles de définition du monde) vs. pour chercher un guide abstrait plus générique.
A mon humble avis, l’approche par valeurs est plus pratique pour donner efficacement aux joueurs la température générale de l’eau et les aider à s’adapter à des situations nouvelles. Mais les deux sont à considérer.
Dans de prochains articles, je décrirai le lien entre approche par valeurs et approche comportementaliste (comment passer de valeurs abstraites vers des comportements concrets), aussi bien d’un point de vue définition du monde que définition du monde que comportement individuels. On pourra en rediscuter à ce moment là 😉
8 février 2016 at 11 h 28 min
Un outil simple et efficace !
8 février 2016 at 11 h 48 min
Des bonnes idées que je vais de ce pas mettre en pratique. Merci !
8 février 2016 at 11 h 50 min
Merci pour cet article très intéressant. ça me donne très envie de tester !
8 février 2016 at 12 h 53 min
Merci à vous, ça me fait plaisir de savoir que mon article vous intéresse ! Je vais publier prochainement des suites pour décrire plus précisément comment utiliser les valeurs pour organiser et en tant que participant.
Si vous êtes intéressés pour tester cette en pratique au cours d’une murder (ou autre ?), n’hésitez pas à m’envoyer un mail pour que l’on en discute plus en avant.
8 février 2016 at 12 h 59 min
Mon adresse est prénom.nom@gmail.com
Sans accents, bien sûr.
9 février 2016 at 0 h 14 min
Vraiment très intéressant.
Hâte de voir ce que cela pourrait donner avec quelques personnages déviants voire des groupes sociaux opposés mais partageant un grand nombre de valeurs (catholiques et protestants au XVIe par exemple).
9 février 2016 at 9 h 09 min
Très intéressant, autant pour aider les orgas à typer leurs mondes de manière plus profonde que par de simples structures, que pour les joueurs à qui ça peut fournir une piste de réflexion pour la préparation de leurs personnages.
9 février 2016 at 14 h 00 min
Article passionnant, merci pour cette contribution. Toutefois, c’est une approche assez individualistes des comportements adoptés par les joueurs. L’outil est intéressant mais n’éclaire pas sur ce qui a amené l’émergence de telles valeurs chez les individus. Une mise en perspective s’impose.
Il dès lors serait opportun de les insérer dans une approche systémique des rapports sociaux du monde créé. Et ce afin de mettre en lumière la raison de l’existence des valeurs dans une culture particulière et leur répartitions dans des groupes qui interagissent. Retenons qu’en principe, ce système sera homéostatique. (Cad qui a résisté assez au changements pour trouver jusque la un point d’équilibre qui lui permet de perdurer)
Si une valeur se maintient dans un groupe donné, c’est qu’elle contribue à la perpétuation du système. Si ce n’est pas le cas, elle fait alors partie d’une sous-culture et peut être considérée comme transgressive par rapport aux valeurs générales.
Le statut et la position sociale du joueur dans la société ou il évolue conditionnera fortement son panel de valeur.(Qu’il les adopte ou qu’il les rejettes)
Hum, j’espère que je suis assez clair, c’est pas toujours facile d’éviter de jargoniser.
9 février 2016 at 14 h 16 min
Juste pour faire un retour sur la façon dont on va utiliser certains concepts de cette présentation : nous n’allons pas l’utiliser de façon formelle pour nos joueurs mais plus comme indicateurs en interne pour la construction de certaines parties de notre monde (les groupes influents, qu’ont-ils comme valeurs, etc.).
En fait nous avions déjà déterminé quelles étaient les valeurs de la société en créant celle-ci mais nous ne l’avions pas décrite de façon factuelle avec des valeurs/principes.
Du coup, c’est un outil de plus pour clarifier/formaliser les idées sous-jacente à la construction du monde/société. Et cela permet de garantir une cohérence sur le long terme.
9 février 2016 at 15 h 35 min
@Gaetan : “Hâte de voir ce que cela pourrait donner avec quelques personnages déviants voire des groupes sociaux opposés mais partageant un grand nombre de valeurs (catholiques et protestants au XVIe par exemple).”
Tu as de la chance, c’est justement un sujet de choix pour les prochains articles ! Dans l’article plus spécifique au côté orga, je vais détailler comment influencer les amitiés et inimités profondes entre les groupes en utilisant les valeurs. Dans un article plus tourné vers les joueurs, je parlerai du (difficile) travail d’appartenir à et d’interagir dans plusieurs groupes culturels différents… Voilà qui peut donner des idées 🙂
9 février 2016 at 16 h 32 min
@Tilleul “Article passionnant, merci pour cette contribution. Toutefois, c’est une approche assez individualistes des comportements adoptés par les joueurs.”
Pas tout à fait ! Les valeurs ont pour caractéristiques de jouer sur deux tableaux. Du point de vue individualiste, elles influencent effectivement le comportement individuel (ce qui sera utile pour le joueur). Mais les valeurs (culturelles) ont pour particularité d’être partagées collectivement : tous les membres d’une communauté sont supposés promouvoir et se comporter en accord avec les valeurs du groupe. Et c’est cette influence individuelle mais collectivement partagée qui fait émerger des dynamiques sociales collectives spécifiques.
Ce n’est pas pour rien : j’ai emprunté les valeurs dans les recherches sur l’influence de la culture… Qui établit un lien fort entre individus, collectivités, sociétés et environnement.
“L’outil est intéressant mais n’éclaire pas sur ce qui a amené l’émergence de telles valeurs chez les individus. Une mise en perspective s’impose.”
Je suis tout à fait d’accord avec ta première phrase, mais pas avec la seconde : ton injonction est trop forte. La mise en perspective est *utile* mais non *nécessaire*.
Pour la démonstration, regardons notre objectif de faire apparaître des comportements individuels et des dynamiques sociales particulières d’un point de vue très pragmatique. Le but est atteint si les joueurs se comportent en accord avec leurs valeurs. Si on leur dit “l’obéissance est ce qu’il y a de plus important pour toi et pour la société” on obtient le résultat escompté en une seule ligne.
Pour atteindre ce but, il n’est absolument pas *nécessaire* de “mettre en perspective”, en perdant 10 pages à raconter comment seigneur Jean-Luc a sauvé le monde civilisé grâce à l’obéissance de ses serviteurs.
Néanmoins, une mise en contexte est *utile* (cf. étape 4). La mise en contexte “renforce” les valeurs, aidant par exemple les joueurs à avoir une motivation et des arguments supplémentaires pour défendre leurs valeurs (ex: “toi qui traîne à accomplir les ordres du chef, tu aurais causé la chute de notre monde civilisé du temps de seigneur Jean-Luc. Tu es notre ennemi”.
“Il dès lors serait opportun de les insérer dans une approche systémique des rapports sociaux du monde créé.”
Oui, le lien valeurs/rapports sociaux est une piste d’utilisation des valeurs. Je l’esquisse ici, j’en reparlerai dans un prochain article.
“Et ce afin de mettre en lumière la raison de l’existence des valeurs dans une culture particulière” et leur répartitions dans des groupes qui interagissent.”
A nouveau, établir ce lien peut être utile pour “renforcer” les valeurs.
Cela dit, compte tenu de la difficulté de l’exercice, de “l’espace mémoire” requis pour le joueur et du relatif manque de praticité en jeu de cet ajout, je pense que d’autres documents de jeu sont plus utiles à produire pour soutenir le jeu.
En revanche, pour l’avoir expérimenté pour mon travail, je t’accorde que c’est un exercice intellectuel stimulant.
“Retenons qu’en principe, ce système sera homéostatique. (Cad qui a résisté assez au changements pour trouver jusque la un point d’équilibre qui lui permet de perdurer)”
Oui. L’évolution des valeurs culturelles est *très* lent. Par conséquent, sauf si ton GN s’étend sur des générations, les valeurs des personnage ne changent pas. Idem, les valeurs doivent être “cohérentes” entre elles et adaptées au reste du monde (c’est un peu bête de parler d’obéissance si ta société est sans hiérarchie !)… Sauf si bien sûr tu veux faire jouer le déclin d’une société dans un monde dans lequel elle ne peut plus exister.
“Si une valeur se maintient dans un groupe donné, c’est qu’elle contribue à la perpétuation du système.”
Ha ha, je reconnais là des théories à la Dawkins (le gène égoïste, peut-être ?).
“Si ce n’est pas le cas, elle fait alors partie d’une sous-culture et peut être considérée comme transgressive par rapport aux valeurs générales.”
Pas exactement. Une valeur peut ne pas contribuer à la perpétuation du “système” et pourtant faire partie de la culture principale. C’est le cas par exemple pour les sociétés en déclin.
Néanmoins, restons pragmatiques. Ce sont là des considérations qui dépassent le cadre de la réalisation d’un GN. Il est facile de se perdre dans ces exercices intellectuels motivants sans qu’au final cela ne serve le jeu.
Afin d’éviter de noyer cet article de commentaires plus relatifs à la sociologie qu’à la conception de GN, si tu souhaites continuer sur cette partie de la discussion, pourrions-nous interagir par mail, stp ?
“Le statut et la position sociale du joueur dans la société ou il évolue conditionnera fortement son panel de valeur.(Qu’il les adopte ou qu’il les rejettes)”
Plus exactement, c’est le background culturel du personnage qui influe sur ses valeurs : un ouvrier avec une culture “de gauche” ne va pas devenir libéral à la seconde où il est promu PDG. Néanmoins, il y a de fortes chances que ses valeurs changement avec le temps du fait du nouveau milieu culturel dans lequel il évolue (le club très fermé des gens très riches).
On en reparlera dans un prochain article qui détaille le multi-culturalisme.
“Hum, j’espère que je suis assez clair, c’est pas toujours facile d’éviter de jargoniser.”
En effet. C’est une propriété assez homéostatique des scientifiques :-p
9 février 2016 at 16 h 40 min
@Gilles
Méheu ! Tu spoiles le prochain article !
Plus sérieusement… Je crois que tu as très bien compris l’intérêt de la technique et réussi à en dériver certaines de ses applications pratiques ! 🙂
Je savais bien que c’était une bonne idée de m’inscrire sur le Clones !
10 février 2016 at 11 h 57 min
Merci pour cette réponse, ça m’a permis de mieux clarifier l’approche 🙂
Mes propos ne sont pas inspiré des théories de Dawkins mais plutot de celles de Watzlawick et Bateson. (avec un zeste de sociologie Bourdieusienne)
Je ne partage pas tout à fait le point de vue qui est d’affirmer que si l’on dit à un joueur que « l’obéissance est ce qu’il y a de plus important pour toi et pour la société », ça lui permettra d’intégrer cette valeur à son jeu de la manière la plus pertinente.
Car cette obéissance s’inscrit dans un contexte que le joueur doit être à même de saisir pour en comprendre le sens. Si le joueur comprend pourquoi l’obéissance est une valeur importante pour son personnage et/ou son groupe, sa société (même si le perso n’en a pas conscience lui même), il comprendra comment le jouer au mieux. Il est aussi utile d’expliquer ce que signifierait les transgressions de ces valeurs.
Par exemple, est ce que l’obéissance est liée à une notion d’honneur,au respect de forces surnaturelles,la peur de sanctions, etc. Ou est ce lié à la personnalité du personnage, qui éviterait systématiquement la confrontation. Ça change pas mal les choses.
Je pense qu’il y a moyen de faire comprendre au joueur sans pour autant rédiger des dizaines de pages. Mais juste dire “ton perso est obéissant”, je pense que cela n’est pas suffisant pour que le joueurs s’approprie assez son personnage pour le jouer en nuances.
L’outil reste très intéressant, mais pour moi demande d’être complété pour être utile.
Ceci dit, ce n’est que mon avis, ça se discute volontiers 😉
10 février 2016 at 15 h 29 min
@Tilleul
“Je ne partage pas tout à fait le point de vue qui est d’affirmer que si l’on dit à un joueur que « l’obéissance est ce qu’il y a de plus important pour toi et pour la société », ça lui permettra d’intégrer cette valeur à son jeu de la manière la plus pertinente.”
Je ne souviens pas avoir dit que se contenter d’une ligne pour décrire une valeur était la manière *la plus pertinente* de transférer la valeur à un joueur… Soyons précis dans les propos que nous allouons à nos nos partenaires de jeu, sans quoi on tombe facilement dans le trolling, chose que nous ne souhaitons pas ici.
Bien au contraire, nous sommes d’accord sur ce point. Apporter davantage d’éléments de mise en contexte permet bien évidemment d’améliorer l’imprégnation des valeurs dans le comportement des joueurs (cf. étape 4, renforcement). L’approche “en une seule phrase”, est évidemment limitée (que peut-on faire en une seule phrase ?): en acceptant de payer plus d’espace mémoire, on peut bien évidemment améliorer la solution.
En revanche, poser ses valeurs permet de définir très efficacement l’idée générale. Une fois cela fait, on peut facilement étendre et rajouter plus d’éléments de “justification” (et d’autres), pour détailler davantage l’influence que l’on souhaite mettre en jeu. Tu en présentes d’ailleurs une brillante illustration (obéissance par honneur ou par peur). Le détail de cette étape de renforcement sera introduit dans un prochain article.
“Je pense qu’il y a moyen de faire comprendre au joueur sans pour autant rédiger des dizaines de pages.”
C’est différent. Le but des valeurs est de “jouer en adéquation avec son personnage”, pas de “faire comprendre”. C’est deux choses très différentes. “Comprendre” ne suffit pas pour “se comporter en adéquation”. Idem, “se comporter en adéquation” n’implique pas la compréhension (c’est d’ailleurs l’une des forces des valeurs IRL: on arrive).
“Mais juste dire « ton perso est obéissant », je pense que cela n’est pas suffisant pour que le joueurs s’approprie assez son personnage pour le jouer en nuances.”
Bien évidemment. Plus tu enrichis la définition du personnage, plus tu spécifies le comportement du joueur. Les valeurs ne sont pas appropriées pour but de faire des “petites nuances”. Au contraire, pour te suivre sur cette métaphore, les valeurs sont plus proches du “rouleau”, qui va te poser très efficacement la couleur de fond. Une fois la couche principale posée, il devient plus facile de rajouter des nuances… Plutôt que de démarrer dès le début avec un pinceau fin !
“L’outil reste très intéressant, mais pour moi demande d’être complété pour être utile.”
Nous sommes d’accord. Comme expressément introduit dans la conclusion, les valeurs sont un outil très pratique pour résoudre pas mal de problèmes pour créer un jeu ou interpréter un personnage, mais pas tous. C’est comme un marteau : il est utile pour enfoncer des clous mais pas pour les vis… Et pour faire un GN, tu as besoin de clous et de vis.
A ce sujet, les prochains articles vont détailler comment bien utiliser ensemble ces différents outils 😉
11 février 2016 at 15 h 52 min
Merci pour cette réponse. Votre projet est vraiment ambitieux en fait, c’est intéressant 🙂
Bonne continuation, j’ai hâte de lire vos prochains articles. 😉
11 février 2016 at 21 h 18 min
Super, ça rejoint une critique de GN que je dois relire avant de l’envoyer à la redaction d’Electro-GN. Un GN construit sur ce principe … et pour lequel je confirme que ça offre une grande richesse de jeu.
12 février 2016 at 8 h 46 min
@Olivier
Ca m’intéresse ! Je te contacte par mail pour en discuter !
12 février 2016 at 21 h 18 min
Salut,
Article super intéressant, je pense que nous avons déjà mis en pratique quelque chose qui ressemble au système que tu décris dans nos GN Cape & Crocs avec succès je dirais.
Trouvable ici : http://gn-capes-et-crocs.fr/temperaments
Je pense que les joueurs apprécient l’idée et que cela à contribué à renforcer l’immersion et l’ambiance du GN, peu être allons nous insister un peu plus sur cet aspect des choses pour le prochain opus. Quoi qu’il en soit, n’hésites pas à jeter un oeil et à nous dire ce que tu en penses 🙂
Ad
12 février 2016 at 22 h 41 min
Salut Adrien,
Il y a pas mal de points communs dans l’idée et dans l’application par les joueurs. Si on veut chercher la différence, je dirais que tes tempéraments relèvent plus de la personnalité (ce qui va motiver chaque personnage particulier) alors que les valeurs relèvent plus de la construction sociale (ce qui est accepté comme bien par tout le monde de la communauté)… Les deux facettes sont intéressantes ! Je note l’idée pour un prochain article 🙂
13 février 2016 at 13 h 53 min
Salut Loïs,
Merci pour ton article qui nous fait réfléchir à des améliorations à mettre en oeuvre pour notre GN, je suis dans le même bateau qu’Adrien.
Je pense que ton système de valeur est le pendant pour les groupes de notre système de tempéraments pour les individus.
On va sûrement en discuter à notre prochaine réunion 🙂
13 février 2016 at 16 h 16 min
Une question que je me pose, les valeurs que tu cites sont-elles une liste quasi-exhaustive issue d’études sociologiques ou bien une “vue” qui peut donc être adaptée en fonction des particularités de l’univers du jeu?
13 février 2016 at 18 h 00 min
Salut Gil,
Merci pour ton intérêt. Je suis très preneur d’un retour si vous utilisez des valeurs pour la conception de votre GN. Idem, si vous avez besoin d’un conseil sur votre projet, on peut prendre un peu de temps pour en parler.
En ce qui concerne ta seconde question, les valeurs décrites plus haut ne sont que des indications. La liste n’est pas exhaustive. L’auteur a posé un ensemble de valeurs qu’il rencontre fréquemment et il a montré qu’elles étaient corrélées (les valeurs les plus proches spatialement sont généralement partagées dans une société).
Il est bien évidemment possible d’imaginer d’autres valeurs. Si tu veux partir dans cette direction, il est important est de garder en tête ce qu’est une valeur, pour ne pas tout mélanger (ex : ça indique ce qu’un personnage/société considère comme “bien”, c’est général etc…). N’hésite pas à me demander si tu as un doute…
Cette question est vaste et laisse beaucoup de place à l’imagination. Un prochain article va décrire une méthode pour y parvenir efficacement.