Des types de fun en GN

Publié le lundi 28 avril 2025 dans Articles

Par

--

Récemment, un ami m’a demandé de définir ce qu’était le GN de type 2. Il était tombé sur une note d’intention dans laquelle un GN se présentait comme cela et il s’est demandé ce que ça voulait dire exactement. Sa première hypothèse était qu’il s’agissait d’un GN à émotions mais il s’est ravisé : les GN dits “traditionnels” aussi provoquent des émotions. Mais alors quoi ? S’agit-il d’un fourre-tout de GN “non standard” ? Ou bien une façon pompeuse de définir un GN sur casting et “bien préparé” ? Cet article propose une explication de la typologie du fun que l’on peut rencontrer en GN et quelques bonnes pratiques sur les façons de les mobiliser. Je finis avec une ouverture qui montre que ces catégories sont en mouvement et peuvent être réappropriées par la communauté.

Des types de fun

Ce qu’on appelle “le type 2” est une version abrégée de “fun de type 2”. On parle de types d’amusement qu’on peut s’attendre à ressentir en GN, d’une typologie d’affects. L’article NordicLarp.org indique que le terme “type 2” aurait été utilisé pour la première fois par Markus Montola dans le groupe Facebook Larpers BFF en 2016. Il serait tiré de la communauté de l’aventure en plein air (randonnée, escalade) où il est utilisé pour qualifier des expériences objectivement pénibles (froides, dangereuses, inconfortables) sur le moment mais que la personne aurait appréciées rétrospectivement. Courir un marathon, par exemple, c’est du fun de type 2 : on va quelque part chercher à ressentir ses limites et puis à les dépasser, traverser une épreuve qui est objectivement inconfortable ou douloureuse par moments, mais a posteriori on est satisfait·es d’une manière ou d’une autre.

Si on applique ça au GN, on ressentira du fun de type 2 quand on s’exposera dans le jeu à un registre d’expériences objectivement inconfortables qu’on chercherait plutôt à éviter dans notre vie quotidienne. Cela peut être au niveau physique (en ce qui concerne par exemple la nourriture, la température, l’environnement sonore, le sommeil), émotionnel (dans l’exploration d’émotions qui peuvent tourner autour de conflits, du deuil, de la rupture, du rejet, de l’abandon) ou encore psychologique (cela peut concerner le niveau de stress auquel lae joueur·euse est soumis·e, des designs qui jouent sur la dissonance cognitive, sur des dilemmes moraux, sur la santé mentale, etc.). On parle parfois de “misery larp” (GN à misère) ou de “GN à chouine” (en francophonie) pour parler de GN orientés pour maximiser le plaisir de type 2.

Crédit photo : The Art of Momentography, GN Si Qua Fata Sinant 2023

 

En comparaison, le fun de type 1 est chouette en temps réel. On s’amuse, on prend du plaisir. Des GN orientés type 1 sont des GN auxquels on s’inscrit pour passer un bon moment. Cela peut prendre diverses formes. On peut éprouver de la stimulation intellectuelle dans le fait de résoudre des énigmes ou de mettre en place des stratégies. On peut apprécier un banquet ou le fait de chanter dans une taverne. Avoir de l’adrénaline, se sentir important·e, porter des costumes dans lesquels on se sent stylé, être en contrôle de son destin, envoyer des commentaires pinçants à ses compagnons, … Toutes ces choses nous font passer un bon moment et sont directement agréables.

Le plaisir de type 1 est une activité que vous êtes sûr·e d’apprécier, et c’est le cas. […] Mais le plaisir de type 2 ? Là on parle ! Il vous met au défi sans vous mettre en danger et il est souvent inconfortable, mais d’une manière qui vous fait aussi sentir vivant·e. (Washingtonpost, 2022)

Le type 2 est “fun” dans la mesure où bien que ça ne soit pas exactement “chouette” sur le moment, on est content après coup de l’avoir vécu. Si on recherche cela, c’est qu’on y trouve généralement quelque chose de gratifiant. Le fun de type 2 peut répondre par exemple à une recherche d’intensité ou d’exploration. Il offre souvent des expériences mémorables, qui nous sortent du quotidien, nous confrontent à nos limites, sont des catalyseurs de liens sociaux, nous font nous sentir vivant·es. Les expériences de type 2 peuvent être cathartiques, dans le sens où elles nous permettent de vivre dans un environnement contrôlé des expériences qu’on chercherait plutôt à éviter au quotidien et qui peuvent – semble-t-il – nous faire grandir.

Comment utiliser cette typologie ?

Une tension que l’on trouve autour de l’utilisation de cette typologie est qu’elle est aussi bien utilisée par les joueur·euses pour décrire leurs expériences que par les organisateur·ices pour définir leur projet. Or je crois que qualifier un GN de “GN de type 1” ou “GN de type 2” est un raccourci qui n’est pas tout à fait juste.

Cette typologie qualifie l’expérience des joueur·euses et parfois les joueur·euses vivent des expériences très différentes les un·es des autres. Lorsque les orgas l’utilisent dans leur note d’intention pour qualifier leur GN, ce qu’elle veut dire en réalité, c’est : “dans ce GN, les joueur·euses peuvent s’attendre à une expérience de type 2”. Il s’agit pour les orgas de communiquer leurs intentions, l’expérience qu’iels cherchent à faire vivre. L’intention des orgas n’est pas une garantie.

C’est important de garder en tête que l’expérience des joueur·euses ne sera pas forcément homogène sur un même GN. Le premier épisode de Clones a été l’une des expériences les plus difficiles que j’ai vécues en termes de type 2. Pourtant, j’ai découvert lors du débriefing qu’un nombre important de joueur·euses avaient vécu le même weekend comme de l’authentique fun de type 1. Conscience est un GN qui traite de déshumanisation, d’oppression et de violence (y compris sexuelle). En participant, il est très clair qu’on doit s’attendre à vivre sur ces thématiques des expériences violentes et des émotions plutôt inconfortables, dérangeantes. J’ai été fort étonnée de constater, après coup, que j’avais vécu une expérience très feel good grâce à une histoire d’amour particulièrement belle et centrale dans mon jeu.

Tous les orgas de GN ne cherchent pas non plus à concevoir des expériences spécifiques pour leurs joueur·euses. Parfois, iels cherchent surtout à créer un environnement intéressant à l’intérieur duquel les joueur·euses auront la liberté de fabriquer leurs propres expériences. Cela est particulièrement visible en mass larp : lorsqu’une très grande quantité de participant·es sont rassemblés dans un même GN, il apparaît clairement que chacun·e ne vit ou recherche pas forcément la même chose. Les joueur·euses décident, dans une certaine mesure, d’investir le jeu dans une direction ou l’autre. Cette typologie reste très pratique pour communiquer : dire “pour moi, Ragnarok cette année était vraiment une expérience de type 2” permet de situer son expérience par rapport à d’autres.

Crédit photo : Fabrice Martellucci, GN Ük Egsdiin, inter-live du clan Khaïdu 2025

Ce que le type 2 n’est pas nécessairement

Le “type 2” est parfois amalgamé avec d’autres notions que j’aimerais ici distinguer.

Toutes les expériences de type 2 ne sont pas “hardcore”. Le “hardcore gaming” est une manière de s’investir dans le jeu de façon particulièrement intense ou extravagante. Ce qui est considéré comme hardcore diffère d’un groupe ou d’une époque à l’autre. Dans de nombreuses cultures de GN, vivre des expériences de type 2 n’est pas considéré comme hardcore. On peut vivre des expériences qui sont inconfortables sur le moment à différents niveaux d’intensité. Le jeu de type 2 peut devenir une norme en elle-même au sein d’une communauté.

On peut parfois être tenté d’amalgamer le jeu de type 2 avec l’idée de “GN mature”. Un GN “à contenu mature” peut aborder des thèmes ou présenter des contenus qui ne sont pas appropriés pour tous types de publics, comme certains types de violence, des contenus à caractère sexuel, de la nudité, du gore ou des thématiques sensibles comme l’abandon ou le deuil, par exemple. Ce qu’on voudrait dire par là, c’est qu’un certain niveau de discernement est attendu de la part des participant·es pour aborder ces thèmes avec maturité. Il est évident qu’on n’a pas strictement besoin de ces thèmes pour vivre une expérience de type 2. Le type 2 n’est pas un thème : c’est une qualité d’expérience.

Ce que j’entends parfois dans l’utilisation des termes “GN mature”, c’est qu’il faudrait une certaine maturité en tant que GNiste pour jouer ce type de jeu. En effet, les expériences de type 2 peuvent être bouleversantes, dérangeantes, elles peuvent mettre en mouvement des émotions complexes. Elles requièrent souvent de meilleurs outils de sécurité émotionnelle (par exemple un cadre clair pour calibrer, processer ces expériences et en débriefer), ainsi qu’une meilleure communication entre joueur·euses et avec les orgas. Dans ce sens, elles peuvent s’adresser à des joueur·euses qui seront habilité·es à mobiliser ces outils. Mais il est important de garder en tête que de nombreux·ses GNistes commencent le GN avec ces jeux orientés type 2 et de nombreux·ses GNistes pratiquent le GN depuis des décennies sans jamais explorer cela. On peut le voir plutôt comme le fait de manger épicé : certaines personnes recherchent ça, d’autres non, certaines personnes vont aimer ça même si ça va systématiquement les mettre en difficulté, d’autres vont l’encaisser sans problème – en tout cas, c’est bien d’avoir l’information accessible dans le menu.

Une dernière nuance : il est parfois sous-entendu que les jeux orientés type 2 produisent des expériences plus authentiques. Comme si pleurer toutes les larmes de son corps après avoir vu ses proches s’entretuer le jour de son anniversaire était le pinacle de l’expérience humaine, alors que jouer aux dés dans une taverne serait superficiel. L’idée que la souffrance produirait une expérience plus profonde, plus vraie, plus authentique que le plaisir devrait nous poser problème. Il existe au sein de la communauté du GN des courants qui mettent en question la tentation d’une escalade vers plus de drama, plus de trash, plus de larmes. Sandy Bailly défend la dignité du jeu dit “feel good”, notamment dans sa présentation à Solmukohta 2024 : “It’s not bad to feel good. The meaningfulness of slice of life and feelgood play”. Des jeux que l’on pourrait qualifier de “slow larping” comme Les Canotiers de Santeuil visent à contrarier l’idée que les gens heureux n’ont pas d’histoire. On peut aller voir aussi l’article “Finding the magic in the mundane”, qui argue que l’on a pas besoin de grandes scènes ou de situations exceptionnelles pour vivre des expériences profondes et significatives en jeu. Explorer des situations dans lesquelles nos personnages s’épanouissent, vivent des relations intimes et belles ou encore se sentent acceptés et vivent leur passion sans ressentir de honte peut également être très significatif et bouleversant pour les joueur·euses.

Crédit photo : Feuj Ben, GN Les Rencontres de la Taille 2024

Étendre la typologie ?

Les termes “fun de type 1” et “fun de type 2” sont couramment utilisés dans la communauté du GN aussi bien en francophonie qu’à l’international. Ils permettent de communiquer efficacement sur le type d’expérience qu’on vit. Mais il n’est pas interdit de s’approprier cette typologie d’expériences, voire de proposer des ajouts.

Le type 3

Depuis le début de l’utilisation de la typologie, il existe des spéculations sur un hypothétique “type 3”. Dans le monde de l’aventure en plein air, le type 3 est parfois référencé comme “pas fun du tout, ni pendant, ni après – un désastre total”. Cette catégorie a été peu retenue dans la communauté du GN en partie, je crois, à cause de la contradiction logique d’assigner un type à un fun qui n’en est pas.

En Belgique, une définition du fun de type 3 circule dans certains groupes. On le définit comme un fun spécifique que peuvent ressentir des personnes qui ont une expérience d’orga ou bien qui sont versées en théorie du GN, lorsqu’iels apprécient un design. Une forme de stimulation intellectuelle, en somme, quelque chose qu’on pourrait traduire par : “Je vois ce que vous faites et ça émoustille mes papilles gustatives d’analyse du GN”. Il m’est déjà arrivé de revenir d’un GN et de dire : “C’est pas que je me suis beaucoup amusé·e au premier degré, c’est pas non plus que j’ai particulièrement exploré des choses inhabituelles ou inconfortables, mais ce jeu était intéressant, j’en sors nourri·e et stimulé·e à un niveau meta”. On peut apprécier le dispositif technique mis en place pour un jeu, l’intelligence de la scénographie, le choix des méta-techniques en lien avec le thème du jeu. C’est tout un rayon d’expériences que l’on peut nommer “fun de type 3”. La recherche d’un plaisir de type 3 peut être une raison tout à fait valable de s’inscrire à un GN et des orgas peuvent activement chercher à concevoir ce type d’expériences, par exemple en créant un jeu avec un design particulièrement élégant ou expérimental.

Pot-pourri de funs

D’aucuns en Belgique également ont déjà pu entendre parler de “fun de type 0.5”, popularisé lors d’un Burger Quizz à BEta Larp dans une question qui concernait Les Rencontres de la Taille, un GN organisé par Projet Midnight. L’intention de la notion de 0.5 était de se démarquer du fun de type 1 dans ce que ce type de jeu “n’a même pas la prétention d’être cool”, pour parler d’un jeu sans aucun enjeu et avec des contraintes minimales – une proposition qui est un prétexte à jouer, un alibi pour passer du temps ensemble, sans chercher à accomplir quoique ce soit de grandiose et avec un impact émotionnel assez faible.

Après quelques discussions de clarification avec les initiateurs du concept, j’en comprends qu’il s’agit là d’une réaction à un discours ambiant qui associe (erronément) “GN de type 1” et “GN traditionnel d’heroic-fantasy”, dans lesquels on incarnerait des héros et donc, on serait “cool”. Je ne crois pas que la typologie du fun soit une manière appropriée de discerner entre différents genres de jeu. On tient aussi là un bon exemple de cas où des orgas présentent leur jeu d’une certaine manière, mais cela ne correspond pas à l’expérience des joueur·euses. Il est arrivé après une édition qu’un joueur dise aux orgas que “leur jeu, c’était du type 2”. Par sûre donc que le fun de type 0.5 soit autre chose qu’une boutade – mais une boutade qui a l’intérêt de nous forcer à nous poser des questions et à re-clarifier nos catégories.

Enfin, lors de BEta Larp 2024, Damien Bonnelle a proposé le fun de type 0 comme un fun dont on peut faire l’expérience quand on est sur GN mais qu’on ne joue pas. Les orgas, les roadies, les photographes, les intendant·es, les safers ne prennent-iels pas aussi du plaisir ? Leur type de fun ne devrait-il pas être pris en compte quelque part ? Parce que participer à un GN peut être une expérience en soi, même lorsque l’on n’est pas activement en jeu. Organiser, être bénévole, se promener dans un joli décor, revoir les copain·es, jouer de la musique, participer en famille avec de jeunes enfants – toutes ces choses et bien d’autres sont aussi des manières de prendre du plaisir en GN. Si on adopte cette grille de lecture, la différence entre le fun de type 1 et le fun de type 0 serait que le premier est une expérience vécue à travers le fait d’investir la diégèse, alors que le second se produirait en dehors. C’est une précision qui n’est pas présente dans la définition originelle de type 1 mais… On pourrait bien s’en accommoder ?

Conclusion

J’espère que cet article aura aidé à clarifier un ensemble de notions en les remplaçant dans leur contexte et en explicitant les enjeux. Soyons clairs : si le fun de type 1 et de type 2 sont assez largement utilisés dans la communauté du GN et en dehors, les autres types de fun mentionnés ici sont des concepts plus anecdotiques, utilisés seulement par quelques initiés (type 3 et type 0.5), voire sont des concepts tout à fait émergents (type 0). Je crois qu’il est intéressant de chercher à définir les expériences qu’on recherche ou que l’on vit et certains ajouts à la typologie originelle permettent de rendre davantage visible une diversité d’expériences que l’activité GN peut offrir (type 0 et type 3). Tous ces termes nous aident à communiquer les un·es avec les autres (nos ressentis, nos intentions, nos réflexions) et à nous faire comprendre – si, du moins, on prend la peine de les expliquer de manière à en faire un langage commun.

Remerciements

Merci à Benoit Nicaise, Damien Bonnelle, Thomas Huckel, Axiel Cazeneuve, Renzo Scandariato et Mehdi Hedhili pour les discussions stimulantes et/ou les relectures.

Ludographie

Si Qua Fata Sinant (La team sangria chez Rôle, France)

Clones (GaRou ASBL, Belgique)

Conscience (NotOnlyLarp, Espagne)

Ragnarok (Ragnarok ASBL, Belgique)

Ük Egsdiin (Eggrégore ASBL, Belgique)

Les Canotiers de Santeuil (Les Amis de Miss Rachel, France)

Les Rencontres de la Taille (Projet Midnight, Belgique)

The following two tabs change content below.

Rachel Hoekendijk

Rachel est une joueuse et volontaire enthousiaste de la scène belge. Philosophe de formation, elle aime particulièrement geeker sur les aspects les plus théoriques du GN (#larp_academia) et converse largement avec les sciences humaines.

Derniers articles parRachel Hoekendijk (voir tous)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.