À l’occasion de l’édition 2017 de LaboGN (l’université d’été du GN), Gilles Cruyplants et moi-même nous sommes lancés dans une expérimentation GNistique peu convaincante sur laquelle il nous semblait intéressant de revenir.
LaboGN est un lieu idéal pour expérimenter des choses autour du GN. On y rencontre des gens venant d’horizons et de cultures de jeu différents, on y parle de ses projets et une émulation stimulante pour la créativité apparaît très vite. C’est aussi un endroit où l’infrastructure permet de tester des choses potentiellement complexes : matériel et compétences techniques à disposition, pool de joueurs testeurs motivés, tolérance à l’échec…
Gilles avait proposé au programme un atelier/table ronde sur le fait de faire jouer un même personnage à plusieurs joueurs. Il s’agissait de penser à différents cas où cela pouvait être intéressant, mais aussi de réfléchir à des moyens pour permettre que ce jeu partagé soit facilité. Nous n’étions que 3 lors de cette discussion, mais nous avons soulevé quelques idées qui seront développées plus bas. À l’issue de cette discussion, Gilles et moi étions suffisamment motivés pour nous lancer dans l’écriture expresse d’un jeu visant à tester quelques pistes jetées sur le papier.
Les retours de la table ronde
Sans vouloir refaire l’atelier, les discussions s’étaient attardées sur la notion de transmission du personnage (d’un joueur à l’autre) et du fait que celle-ci fût implicite (ne nécessite pas d’action) ou explicite (besoin de partager des informations). Celle-ci, avec la gestion de l’acceptation du changement chez les participants, permettait alors une cohérence du personnage, de joueur en joueur.
En ce qui concerne les ateliers permettant de se préparer à jouer à plusieurs, quelques idées émergèrent:
- La méthode “hot seat” de co-création : les joueurs du même personnage répondent conjointement aux questions des autres,
- Le “face au miroir” : chaque joueur se regarde mutuellement et adopte les mêmes postures selon certaines émotions à jouer/ressentir,
- Des ateliers/blackbox au passage de relais où l’un rejoue certaines scènes clefs de l’autre,
- La mimique : déterminer un tic, un trait particulier qui permette l’appropriation par les joueurs du même personnage mais aussi l’acceptation par les autres.
A posteriori, nous aurions dû aborder la notion d’intégration/appropriation du personnage par chaque joueur l’interprétant et les procédés permettant de la garantir. Ce qui, on le verra plus tard dans cet article, ressortit à l’occasion de l’expérience.
Les bases discutées, nous nous sommes attardés sur quelques exemples pratiques – ou pouvant être utiles.
En matière de transmission implicite, un jeu simultané des joueurs est envisageable (ex : film Vice Versa), on peut également jouer sur le fait que les joueurs assistent au jeu des autres et s’en nourrissent (ex : un GN sur le mode des films muets où l’un joue le geste et l’autre la parole par la suite). Quelques autres idées furent évoquées où les joueurs incarneraient une certaine abstraction (ex : jouer la relation amoureuse entre deux personnes sur une scène juxtaposée et se nourrir mutuellement du jeu des autres).
Pour ce qui est de la manière explicite, le personnage passe de main en main mais n’est joué que par un joueur au même moment.
Exemples :
- Le joueur joue un moment/âge de la vie du personnage (ex : Dark Vador)
- Le joueur reprend le rôle d’un autre joueur qui ne vient plus (Ex : jeu à campagne/suite)
- Le joueur joue deux personnages qui se rencontrent (Ex : jeu à multi-rôles/pnj)
Le jeu test
Nous avions très peu de temps l’un et l’autre pour écrire ce jeu test : nous avons commencé à travailler dessus mercredi en fin de matinée, nous nous sommes revus brièvement le soir même puis nous avons lancé les inscriptions pour le lendemain soir. C’était là sans doute notre première erreur : travailler dans la précipitation.
Notre volonté était de faire un jeu minimaliste, rapide à écrire et à jouer. Nous nous sommes donc arrêtés sur notre première idée, celle de jouer plusieurs âges de la vie d’un personnage : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Nous avons assez vite déterminé que cela raconterait l’histoire de deux personnages principaux (des amis d’enfance qui se brouillent définitivement à l’âge adulte). Nous avons opté pour la répartition des rôles comme suit : chaque âge de la vie de chaque personnage serait joué par un joueur différent. Cela nous donnait donc 8 joueurs.
Un premier problème s’est présenté à nous : comment occuper les joueurs qui ne jouent pas pendant les scènes qui se déroulent dans un autre âge que le leur ? Notre deuxième erreur a été de considérer qu’être spectateur était un problème et d’ajouter aux scènes des personnages secondaires parfaitement inutiles pour l’histoire.
Nous nous sommes ensuite lancés dans l’élaboration d’un tableau complexe pour proposer une répartition la plus équitable possible des scènes pendant lesquelles les joueurs interviendraient, à la fois comme personnages principaux, mais aussi comme personnages secondaire. Cela a donné un tableau très indigeste qui a énormément compliqué l’organisation du jeu. Si nous avions eu pour objectif de créer une usine à gaz, nous n’aurions pas pu faire mieux.
Les ateliers
Notre troisième erreur a été de consacrer plus de temps de jeu que de temps d’ateliers en amont. Au lieu de tester les idées que nous avions évoquées lors de la table ronde (raison d’être de notre expérimentation), nous nous sommes concentrés sur la partie jeu avec un nombre conséquent de scènes (13) d’environ 5 à 10 min. Ainsi, nous nous sommes perdus dans la création d’un jeu bancal au lieu d’assumer notre envie expérimentale de tester plusieurs ateliers suivis d’une mise en situation simple pour avoir une idée de leur efficacité.
À titre indicatif, voici les ateliers que nous avons animés avant le jeu :
- Après répartition des 8 joueurs sur l’un ou l’autre des deux personnages principaux, nous avons organisé un hot seat pour donner un peu plus de consistance aux personnages résumés simplement par deux adjectifs qualificatifs. Les 8 joueurs se faisaient face (4 pour 1 personnage, 4 pour l’autre) et se posaient des questions simples sur le personnage qu’ils allaient incarner (ex : quelle était ta relation avec tes parents quand tu étais enfant ? C’était quoi tes vacances préférées ado ? …). Chaque joueur attendait son tour de parole pour répondre à la question posée. Les joueurs ont, a posteriori, regretté que les réponses aux questions n’aient pas été données de manière collégiale. Par ailleurs, il a été souligné que cet atelier de hot seat, très efficace pour des personnages ayant déjà un peu de consistance, fonctionne mal à partir d’une page vierge.
- Après le hot seat nous avons proposé un atelier de démarche : chaque joueur était invité à chercher la démarche de son personnage enfant, adolescent, adulte et vieux. Cet atelier n’a pas fonctionné, les joueurs se sentant particulièrement bloqués par le fait d’imposer aux autres joueurs une démarche qui ne leur conviendrait pas.
- Après les démarches, les joueurs se sont réunis par personnages pour définir entre eux un geste, une mimique du personnage que l’on retrouverait tout au long de sa vie.
- Les joueurs se sont ensuite répartis les âges qu’ils allaient incarner pendant le jeu
Les retours sur le fait de jouer un personnage par plusieurs joueurs
Le jeu a été un échec franc. Heureusement un seul des participants sur les 8 a passé un moment vraiment mauvais, les autres ayant souligné les nombreuses défaillances sans pour autant avoir eu envie de mourir dès la première scène.
Voici une liste des retours que nous avons eus à la fin de ce test :
- Inutilité des personnages secondaires : acceptation d’être spectateur de la part de la presque totalité des joueurs, particulièrement dans le cadre d’un test,
- Ateliers à revoir entièrement (hot seat à répondre de manière collégiale et pas chacun son tour), y passer plus de temps pour permettre l’implication des joueurs dans les personnages,
- Vrai problème d’implication dans les personnages principaux, soit les personnages partagés avec les autres joueurs,
- Davantage scripter les scènes pour guider le jeu et aider les joueurs à rentrer dedans,
- Problème de la narration éclatée qui perturbe la chronologie et la bonne compréhension des âges au cours des scènes,
- Ajouter un atelier d’amitié par âge pour aider les joueurs et ne pas les jeter tous nus dans le bain de l’improvisation.
L’élément le plus intéressant à retenir de cette expérience est la vraie difficulté qu’ont eue les joueurs à investir la psychologie du personnage partagé par les autres. Outre le mauvais design que nous leur avons proposé pour ce faire, nous sommes arrivés à la conclusion que loin d’être un détail, c’était vraiment le point à travailler le plus dans le cadre d’un jeu imposant l’incarnation d’un personnage par plusieurs joueurs.
L’expérimentation incomplète que nous avons menée mériterait certainement des suites dans la communauté. Nous serons curieux de lire vos témoignages et idées sur cette question en fin de compte plus complexe qu’elle n’y paraît.
Lucie CHOUPAUT
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16 octobre 2017 at 11 h 45 min
Je me demandais, justement, quel est l’intérêt réel de jouer un personnage à plusieurs si il n’y a pas d’interaction entre les joueurs qui jouent ce même personnage ?
Je me trompe peut-être, mais à la lecture, j’avais l’impression que les deux personnages principaux étaient joué que par un seul “couple” à la fois. Moi en voyant un design comme ça (c’est à dire un même personnage à différents âges) j’aurai été intéressé d’avoir une discussion entre le même personnage à différents âges. Du genre : l’enfant qui demande à son lui adulte pourquoi il a abandonné ses rêves…
Sinon, j’aime bien cette idée…
6 octobre 2018 at 19 h 57 min
Je ne sais pas si c’est pertinent de commenter un article d’un an, mais j’ai déjà joué une murder party (ou GN, je ne connais pas bien les subtilités de vocabulaire) dont l’un des ressorts principal était que deux joueurs jouaient le même personnage… et c’était très convaincant (je dirais même génial).
Pour résumer sans donner trop de détail, il s’agissait d’un huis-clos avec 6 personnes, et pour des raisons liées à l’intrigue, un personnage avait eu son esprit dédoublé, et deux joueurs jouaient ces deux parties.
Les mécaniques de jeu empêchaient de se dire les noms dès le début, et cette découverte est évidemment un plot twist qui mène à une confrontation.
Bref, je ne sais pas si c’est exactement ce genre de jeu qui était prévu à l’origine, mais le fait que deux personnes jouent le même personnage, c’est possible.
19 décembre 2018 at 17 h 43 min
J’aime bien le concept en tout cas ! Et j’aime bien les récits des ratés, c’est souvent très instructif.
Pour ajouter quelques idées, j’ai pu jouer il y a quelques temps à “Everyone is John”, un jeu de rôle papier très minimaliste qui consiste à diriger une seule personne : John.
Celui-ci est incarné par le MJ et chaque joueur va représenter une voix dans sa tête essayant de prendre le contrôle de John grâce à un système d’enchères.
On peut trouver les règles ici : https://1d4chan.org/wiki/Everyone_Is_John
J’ai tenté de les traduire au mieux en français : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1Nzp0jA9Gi7PKt4chyWk1KtXlRJ-RnQ9dIhHOIL-nRdY/