La capacité de jeu, partie 2 : Les aptitudes à travailler

Publié le vendredi 9 décembre 2011 dans Articles

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Lire la première partie de l’article.

 

Maintenant que nous avons distingué quel type de joueur vous êtes, il serait criminel de vous laisser en plan sans pousser plus loin la réflexion et sans vous donner quelques directions à suivre lors de votre prochain exercice de jeu.

On parle de jeu entre les pièces d’un mécanisme lorsqu’il s’y glisse un mouvement non prévu par la machine. On parle également d’ajouter du jeu lorsque le mécanisme est tellement figé qu’il risque de se gripper ou de se casser. Le jeu, au sens théâtral du terme est cet espace qui apparaît entre les joueurs et la consigne, le cadre ou le contexte. Ce moment où le joueur trouve la liberté de s’exprimer d’une façon non préméditée et en toute liberté sans enfreindre la consigne. Ce jeu apparaît dans l’échange entre deux personnages ou dans l’échange avec l’environnement et est par nature précaire et fragile.

La capacité de jeu est l’aptitude à reconnaître l’apparition du jeu et à savoir s’appuyer dessus pour créer, construire et amplifier le mouvement.

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En GN, face à une situation, il existe 1000 options possibles pour le personnage et le joueur. Les nuances peuvent être extrêmement fines entre deux solutions, voire invisibles, mais elles existent, sans quoi il n’y aurait pas de jeu et nous serions des pantins.

Voyons les compétences attendues pour apprendre à jouer.

La présence

Avoir de la présence est une expression assez indéfinissable et quand bien même vous pourriez le ressentir et vous mettre d’accord avec quelqu’un sur le fait qu’un tiers a de la « présence », vous seriez bien en peine de définir une grille de notation.

En revanche, si avoir de la présence semble réservé à certains par nature, il est possible d’apprendre à « être présent » et entier à ce que l’on fait. C’est ce qu’on appelle être « en jeu » et l’admettre de façon à se concentrer sur l’environnement et les autre.

En GN, il s’agit de s’investir et ne pas quitter le jeu, ce qui signifie être concentré sur les autres et l’instant, leurs propositions et leurs envies, au-delà du scénario et d’une éventuelle intrigue.

L’écoute

 

LE point numéro 1 selon les formateurs de théâtre. Simple en théorie mais complexe en pratique. Être à l’écoute des gestes, de ce qui est dit et non dit, des silences, des tentatives, des appels. L’écoute n’est pas une qualité uniquement auditive, mais globalement sensorielle.

En GN, cela signifie être à l’écoute des propositions, du changement, même infime. Souvent un GN propose des intrigues très riche et lourdes. (Meurtre, trahison, fin du monde) et on oublie d’essayer de jouer ce qu’elles apportent en tuant aussi sec tout espace de « jeu ». Bien souvent celui qui dit « J’ai un problème ! » le voit résolu rapidement, efficacement et froidement, sans même qu’il ait eu le temps d’en profiter. Apprenez à faire durer le plaisir en profitant de chaque perturbation de la situation initiale pour chercher du jeu.

La naïveté

 

La naïveté est la capacité à ne pas anticiper, à se laisser surprendre. On parle parfois de méta-jeu lorsqu’on utilise des données extérieures à la diègèse et à l’univers du jeu. Être volontairement naïf signifie ne pas méta-jouer même si l’avenir du personnage est clair pour le joueur.

L’anticipation est difficile à éviter en GN puisqu’elle est quasiment necessaire à la perception de la thématique par les joueurs. Nécessaire pour que leurs initiatives ne quittent pas le contexte. Mais même si elle a lieu, il est important de savoir jouer sans en tenir compte, en « faisant semblant », et de savoir utiliser les méta-données de façon intelligente, en cherchant à créer du jeu.

Réaction

 

À chaque proposition, quelqu’un s’en empare et en fait quelque chose. Dans l’idéal tout le monde le fait de façon équitable. En vérité, dans la pratique, un joueur bien intentionné est à l’écoute, s’empare d’une proposition et la redistribue vers d’autres joueurs. Au pire, ces derniers restent inactifs. En improvisation, comme en théâtre traditionnel, il existe une tendance à développer la capacité de réaction. L’objectif est de devenir sensible à la plus infime variation de l’environnement pour réagir de façon créative.

En GN, encore une fois, faire de chaque changement, de chaque perturbation un maximum de jeu avant de passer à la suite.

Le GN me fait parfois l’effet d’une machine à brasser de l’information sans en tirer la moindre intensité dramatique. En un week-end, je peux tout vivre et ne rien ressentir à la fois. Apprendre à sentir chaque perturbation, chaque déséquilibre et réagir à ce changement avant de passer à autre chose est important pour maintenir une intensité dramatique cohérente et profiter du jeu.

Connivence

 

Comme dans toute activité sociale, le jeu théâtral et le GN peuvent amener un groupe à se sentir soudain dans une relation de communication privilégiée. La jubilation qui peut alors naître de ce sentiment de groupe est pour moi directement liée à la capacité de jeu de chacun et du groupe.

La capacité de jeu n’est pas au diapason du nombre de cours de théâtre que vous avez pu prendre. Il s’agit de la capacité de conscience de l’individu au sein du jeu. Les « qualités » à développer pour améliorer sa capacité de jeu sont également des « qualités » revendiquées par la morale collective courante : écoute, présence, disponibilité, ce qui peut faire penser que le jeu est un moyen d’éducation et que l’éducation de ces qualités améliorerait le jeu.

Le GN est, par nature, en partie informel et non-figé lors de sa représentation, il est un espace d’expérimentation de l’échange avec l’autre et l’environnement. La capacité à communiquer et à jouer dans et avec les limites fixées par le contexte est la quintessence de l’aspect ludique du GN. Les codes, les tentatives d’être « efficaces » vont contre la nature du « jeu » au sens théâtral du terme et sont un danger pour ceux qui cherchent par ce loisir une expérience sensible.

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Baptiste est Gniste depuis maintenant 15 ans, et a commencé par jouer des scénarios maison avec des amis sans vraiment avoir idée de ce qui se faisait autour. C'est plus tard qu'il a pu découvrir ce qui se faisait un peu partout dans le monde et continuer sans cesse de découvrir de nouveaux horizons. Il aime écrire des scénarios et vous pourrez en découvrir certains sur le site www.murder-party.org (Silence on meurt, Plan social). Persuadé que le GN est un art à part entière, Il a écrit un mémoire sur les jeux Grandeur Nature et veut promouvoir les partenariats inter-associatifs pour que notre loisir trouve un jour la place qu'il mérite. Il a l'honneur d'avoir été le Président de la glorieuse FédéGN.

5 réactions à La capacité de jeu, partie 2 : Les aptitudes à travailler

  1. Une précision importante, c’est que la nature du jeu, sa matière, peut grandement favoriser ou au contraire défavoriser le “jeu” du joueur. Donnez une matière dramatiquement forte à des joueurs, et
    ils en découlera de magnifiques scènes, donnez une matière froide, et le joueur peinera à en sortir du jeu et des émotions. Donnez une matière profonde, dense, et il n’aura pas à se restreindre
    d’avancer dans les problématiques de son personnage pour faire durer trop artificiellement une émotion.

    Tu parles de travers des joueurs, je tiens que c’est aussi pour beaucoup un gros travers des scénarii que de ne pas inciter, inviter les joueurs par la qualité de leur matière proposée à produire
    du beau, du bon.

  2. aucun doute là dessus en ce qui me concerne. je pense d’ailleurs que lorsqu’un personnage change et évolue au cours d’une scène, parce qu’un jeu bien construit le lui permet, on ne se pose pas
    vraiment la question en tant que joueur.
    L’évolution semble naturelle, car le joueur et le personnage évoluent ensemble, touchés tous les deux par l’histoire. Cette “synchronisation” est probablement un objectif courant des scénaristes.

  3. Très exactement. Une joueuse m’a mis dans sa préfiche “Je ne suis pas une bonne tragédienne, j’ai peur de ne pas savoir pleurer sur commande.” Je lui ai répondu : “Ne confonds pas les rôles, c’est
    à moi de te faire pleurer en te plongeant dans une situation où cela te viendra naturellement.”

  4. Intéressant, merci Baptiste !

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