En finir avec le GNS ?

Publié le lundi 18 septembre 2017 dans Articles

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J’ai commencé l’ébauche de cet article en 2015, pour partager quelques réflexions sur la théorie GNS à une période où elle avait été à nouveau débattue dans le milieu du GN, notamment sur ce forum, ainsi qu’évoquée dans cet article de Muriel, dont elle précisera davantage sa vision dans cet article. En effet mon interprétation étant assez différente de celle de plusieurs intervenants, j’avais voulu préciser un peu les opinions que j’avais pu défendre dans des articles antérieurs. N’ayant pas assez de temps à l’époque pour rédiger un texte assez complet pour me paraître satisfaisant, je l’avais laissé de côté jusqu’à ce je lise récemment un article qui m’a donné envie de m’y replonger.

Posons en préambule que je ne prétends nullement détenir la vérité sur ce sujet, si tant est que cela ait un sens. Les théories autour du GN sont loin d’être vérifiables et chacun se les approprie selon sa propre pratique, à des degrés divers. On peut toutefois espérer que les discussions que ces théories génèrent permettent à chacun de mieux expliquer son point de vue et de mieux communiquer sur sa propre pratique afin qu’elle soit comprise par tous.

De la définition du GNS et de l’obsession immersionniste

Sans revenir longuement sur les liens entre GNS et immersion –j’invite ceux que ça intéresse à (re)lire les articles que j’avais écrit en 2011– je vais rappeler ici ma position sur ce sujet. Le GNS est une théorie décrivant les modes de jeux que les participants peuvent adopter, creative agenda en version originale, que l’on pourrait traduire par priorité créative ou encore proposition créative[1], il ne s’agit pas d’une théorie des attentes. Par ailleurs cette théorie peut décrire des comportements, mais uniquement si l’on prend en compte tous ses éléments et non uniquement la distinction entre les trois propositions créatives (je reviendrai plus tard sur ce point).

Ce modèle permet d’aider à définir ce que l’on veut créer dans un jeu afin de réfléchir au meilleur moyen d’y parvenir, notamment via un contrat social clair et des règles/métatechniques.

Il me semble qu’il est important de le préciser d’emblée, car nous commettons tous –moi le premier– des abus de langage lorsque nous parlons de GNS. La plupart ne sont pas très graves en eux-mêmes, mais ils peuvent induire en erreur quelqu’un qui n’est pas familier avec le concept. Nous parlons notamment de jeux que l’on pourrait classer selon une typologie ludiste, narrativiste ou simulationniste. Or il faut bien garder à l’esprit qu’une proposition créative précise la façon dont une décision sera prise par les participants à un moment précis pendant le jeu. Ainsi il est tout à fait possible qu’un jeu soit joué de façon narrativiste sur une session et simulationniste lors d’une autre session, ou que différentes modalités se succèdent au cours d’un même jeu. La seule chose que l’on peut dire d’un jeu donné, c’est que ses mécaniques et sa note d’intention peuvent nous donner une idée de la modalité de jeu préférentielle pour avoir la meilleure expérience possible, si tant est qu’il y en ait une.

De même on parle fréquemment de joueurs ludistes, narrativistes ou simulationnistes pour parler de leurs attentes et du type de jeu qu’ils souhaitent jouer, ce qui peut donner l’impression que la théorie GNS nous renseigne sur des attentes de résultat, alors qu’elle ne nous parle que des modalités. C’est pour cette raison que l’immersion et les objectifs sociaux du GN avaient été mentionnés comme une limite (erronée selon moi) du GNS dès ses origines. On retrouve par exemple cette limite mentionnée dans cet article qui explore les différentes raisons de faire du GN. En effet la cohésion sociale est, comme l’immersion, un produit de ce que l’on crée par ailleurs via des modalités de jeu. Le GNS ne sert qu’à caractériser ces modalités et n’a pas vocation à être un modèle complet de ce qu’on trouve dans un jeu de rôle ni de l’ensemble des motivations des participants.

Le complot narrativiste

Je pense que dans une activité donnée, le fait de chercher à définir ce que l’on fait est un mouvement qui accompagne souvent la volonté d’expliciter des normes implicites afin de pouvoir les dépasser. Nommer c’est prendre le pouvoir, s’affranchir des schémas devenus automatiques parce que l’on n’y pense plus.

Dans le contexte de la fin des années 90, alors que les discussions battent leur plein pour mettre au point les théories que Ron Edwards finira par formaliser en 2001 à travers une série d’articles, il me semble qu’il y a la volonté de créer des jeux de rôles différents de ce que l’on avait jusqu’à présent, et l’explosion des jeux de rôle « narrativistes » au début des années 2000 en est l’illustration. Même si la théorie GNS traite des trois modes de jeux de la même façon, dans les faits il me semble qu’elle a davantage servi –au moins au début– à des adeptes de jeux dits narrativistes à justifier la création de nouveaux types de jeux et à explorer de nouvelles façons de jouer. Or les jeux de rôle narrativistes contiennent beaucoup d’éléments nouveaux pour l’époque dont certains relèvent effectivement d’un mode de jeu narrativiste et d’autres non. Et c’est la raison pour laquelle il me semble que le narrativisme décrit dans la théorie GNS traîne avec lui depuis son origine son lot d’amalgames entre caractéristiques effectivement « narrativistes », et d’autres qui ne le sont pas directement.

Je l’avais évoqué en 2011 en parlant de paradoxe du narrativisme, sans entrer toutefois dans le détail, et je voudrais y revenir. Lorsque l’on parle de co-construction d’histoire, on a rapidement en tête des techniques qui permettent aux joueurs de prendre la main sur la construction de l’histoire, bien plus qu’ils ne l’avaient lors des premiers jeux de rôles où cette fonction était dévolue au meneur de jeu. Je vous conseille d’ailleurs la lecture de cet article de Hoog dans lequel il évoque ces répartitions différentes des rôles dans la construction d’une histoire. Or si pour Ron Edwards, la création d’un jeu narrativiste passe par la construction de l’histoire en temps réel et non en amont (Story Now), il me semble qu’il s’agit d’un raccourci trompeur de penser qu’un joueur qui se contente de « vivre » son personnage n’est pas actif dans la construction de l’histoire en train de se jouer, puisque ses choix diégétiques participent activement à la création du récit.

On entend fréquemment qu’une « attitude narrativiste » en jeu consisterait à prendre en compte des éléments de méta-jeu pour favoriser la meilleure histoire possible au détriment de la cohérence de l’univers ou de son personnage, par exemple en cherchant à « forcer » un choix que le personnage n’aurait pas fait « naturellement », pour des besoins dramatiques. Cette façon de présenter les choses est à mon avis au cœur de ce qui oppose ma vision à celle défendue habituellement dans le milieu du GN. En effet lorsque l’on commence à parler des éléments qui entrent en compte dans la prise de décision d’un joueur, au-delà de son objectif, on introduit pour moi la question de la posture (stance en version originale).

Dès les premiers articles sur le GNS, Ron Edwards parle des différentes postures que peuvent prendre les participants à un jeu, postures qui ne coïncident pas avec les propositions créatives. Il est d’ailleurs tout à fait possible d’adopter successivement différentes postures au cours d’une partie tout en gardant la même proposition créative. Cependant dans son article Ron Edwards pense que certaines postures sont a minima nécessaires pour certaines propositions créatives, sans vraiment étayer son propos. Je peux me tromper, mais je pense que cette vision est davantage due à un biais lié au jeu de rôle sur table et à ses habitudes culturelles plutôt qu’à une loi intrinsèque à la théorie GNS (en tout cas je n’ai pour le moment pas lu d’argument permettant de le justifier). Pour Ron Edwards les 3 postures possibles sont celles d’acteur, d’auteur et de metteur en scène. Vous pouvez retrouver dans cet article les définitions que je vais vous rappeler ici :

  • Dans la Posture de l’Acteur, un joueur détermine les décisions et actions du personnage en se servant uniquement des connaissances et de la perception qu’aurait le personnage.
  • Dans la Posture de l’Auteur, un joueur détermine les décisions et actions du personnage selon ses propres priorités, puis rétroactivement « motive » le personnage pour les accomplir.
  • Dans la Posture du Metteur en scène, un joueur détermine des aspects de l’environnement relatifs d’une certaine façon au personnage, mais tout à fait indépendamment des connaissances ou capacités à influer les événements qu’aurait le personnage. Ainsi le joueur n’a pas seulement déterminé les actions du personnage, mais aussi le contexte, le minutage et les circonstances spatiales de ces actions, ou même certaines particularités du monde extérieures aux personnages.

Ainsi dans le cas qui nous intéresse, on va souvent faire un amalgame entre la posture d’auteur et un mode de jeu narrativiste, parce que les deux sont historiquement et culturellement liés, mais je pense pour ma part qu’il s’agit de deux éléments bien distincts. De même, le raccourci entre mode de jeu simulationniste et posture d’acteur me paraît également erroné.

Le cas des jeux romanesques

Afin d’illustrer cela, je reprendrai le cas des jeux romanesques tels que Muriel les définit dans son article, et pour lesquels il me semble que l’on se trouve souvent dans le cas d’un mode de jeu narrativiste où l’on privilégie la posture d’acteur, ce qui est pour moi différent d’un jeu à tendance simulationniste. Bien sûr la volonté de construire une histoire n’est pas suffisante pour parler de narrativisme, et il faut se référer aux textes qui décrivent la théorie GNS pour comprendre pourquoi je considère que ces jeux ont tendance à favoriser un mode de jeu narrativiste (même s’ils ne le font pas forcément tous).

Pour cela il faut revenir au concept de Prémisse tel que défini par Ron Edwards. Une prémisse est une phrase simple sous forme de question, propre à chaque participant, qui sera au cœur de ses préoccupations pendant le jeu. Ici je parle bien des préoccupations du participant et non du personnage, même si elles peuvent parfois se confondre, puisque cette question contient des enjeux hors de l’univers du jeu. Cette prémisse ne sera d’ailleurs pas toujours explicitée et parfois sujette à interprétation, ce qui explique pourquoi on peut avoir une opinion différente sur la façon de jouer un même personnage dans un même jeu. Il faut noter également que les prémisses sont une sorte de « surcouche » ludiste ou narrativiste à une base d’exploration. On peut décrire un jeu simulationniste comme un jeu où l’exploration est centrale et où elle n’est pas « perturbée » par une prémisse extérieure à l’univers du jeu.

Une prémisse ludiste définira les objectifs et enjeux ludiques que se poseront les participants (Exemple : Est-ce que je peux jouer suffisamment bien pour que mon personnage survive aux dangers ?), alors qu’une prémisse narrativiste définira les thèmes et enjeux moraux que se poseront les participants (Exemple : La vie d’un ami vaut-elle la sécurité du groupe ?). Si vous êtes un peu familier des théories de la dramaturgie ou de la méthode eXperience qui tente justement de se les réapproprier dans le cadre de la conception de GN, vous pourrez associer cette notion au propos d’une histoire, ou à sa question morale. Dans un jeu narrativiste, il s’agit d’un point clef[2]. Si en tant que participant, la construction de l’histoire me permet de me poser de telles questions morales et éventuellement d’y répondre, et si ces questions sont centrales dans mon expérience de jeu, alors je me trouve dans un mode de jeu narrativiste. Dans un mode de jeu ludiste ou simulationniste, on peut construire des histoires aussi complexes qu’on le souhaite, mais le fait que ces histoires ne soient pas prioritaires fait généralement que les questions morales soulevées restent secondaires dans l’expérience de jeu.

Or je défends le fait que dans beaucoup de jeux dits romanesques, les enjeux moraux et humains posés aux personnages sont au centre de l’expérience du joueur et donc de sa manière d’appréhender le jeu et de construire l’histoire. L’exemple le plus flagrant me paraît être Les Noces de Cendre, où l’autrice expliquait dans une interview à Radio-GN comment elle avait conçu les personnages au centre de dilemmes moraux. Attention toutefois, je pense que le fait de ne pas avoir défini ces dilemmes en amont n’empêche pas aux joueurs de les faire émerger pendant le jeu et donc de suivre un tel mode de création d’histoire.

À l’inverse, l’exemple de Carmen Chabardès donné par Muriel est pour moi le signe d’une évolution des jeux historiques qui ne font plus de la construction commune d’une histoire signifiante un enjeu central, mais bien la recherche de la compréhension de mécanismes sociaux liés à une époque ou un milieu donné et qui favorise un jeu plus orienté vers le simulationnisme, c’est-à-dire l’exploration.

Priorité et exclusion

L’aspect le plus discuté de la théorie GNS et qui fait qu’elle est souvent remise en question est le principe d’exclusion des trois propositions créatives. En effet beaucoup de rôlistes/GNistes considèrent qu’un jeu peut offrir aux joueurs à la fois des challenges ludiques, une construction d’histoire signifiante et l’exploration d’un univers ou de personnages. Cela est assez compréhensible et plusieurs textes évoquant le GNS parlent du fait de mélanger les trois approches. Là encore je pense que les textes de Ron Edwards permettent de bien comprendre de quoi on parle lorsque l’on parle d’exclusion mutuelle, et je citerai un passage de cet article qui est essentiel pour bien appréhender le principe :

Dans une situation de jeu donnée, les trois modes sont exclusifs dans leur application. Quand quelqu’un me dit que leurs façons de jouer sont « tous les trois », ce que j’entends c’est que des caractéristiques de, disons, deux des objectifs apparaissent de concert, ou au service, de l’objectif principal. Mais deux objectifs avec le même niveau de priorité ne sont pas présents au même moment. Ainsi, au cours d’une partie narrativiste ou simulationniste, les moments ou aspects de compétition qui contribuent à l’objectif principal ne sont pas des morceaux de Ludisme. Au cours d’une partie ludiste ou simulationniste, des commentaires thématiques qui contribuent à l’objectif principal ne sont pas du Narrativisme. Au cours d’une partie narrativiste ou ludiste, les moments de respect de la plausibilité qui contribuent à l’objectif principal ne sont pas du Simulationnisme. L’objectif primaire, inaltérable est ce qu’il est pour une situation de jeu. La durée ou l’activité effective d’une « situation » est volontairement laissé sans plus de précision.[3]

Ainsi la théorie GNS accepte tout à fait que des aspects des trois propositions créatives soient présents dans un même jeu, mais donne une priorité à l’un de ces trois modes pour une situation de jeu donnée (instance of play en version originale), dans le sens où il sera toujours prioritaire si d’autres aspects entrent en conflit. Je pense qu’il est facile de se représenter en quoi à un moment précis, si deux participants se retrouvent en interaction, il existe de nombreuses situations où leur expérience de jeu sera amoindrie s’ils sont tous deux dans une optique de jeu différente. On trouve profusion de ces exemples dans des articles précédents parlant du GNS, je ne reviendrai donc pas dessus et sur la nécessité pour une meilleure expérience de jeu que les participants fassent des choix cohérents les uns par rapport aux autres lorsqu’ils se trouvent dans une situation donnée.

Je pense que là où cela se complique, c’est que justement une situation de jeu, c’est flou –volontairement même pour reprendre la phrase de Ron Edwards citée plus haut. La façon la plus simple de résoudre le problème est de considérer que pour un jeu donné, cette priorité doit être la même pour tous les participants du début à la fin du jeu. C’est une position souvent défendue par les « partisans » de la théorie GNS, s’assurant ainsi que tous les participants agiront de concert. Je pense qu’il est possible de nuancer cela, car le plus important reste pour moi qu’à un moment t, tous les participants impliqués dans une scène agissent selon le même mode, mais en réalité rien n’empêche –en théorie– que ce mode évolue au cours du jeu pour créer une nouvelle « situation de jeu » (au sens où l’entend Ron Edwards). Cela pose bien sûr quelques questions, notamment le fait d’être sûr que tous les participants soient capables facilement de connaître le mode de jeu pour une scène et de basculer d’un mode de jeu à un autre à un instant donné.

Mon expérience de joueur me laisse penser par ailleurs que des situations de dissonance entre différents modes de jeu n’est pas si fréquente, mais masque en réalité un autre problème. Dans les jeux qui ne définissent pas clairement leur proposition créative privilégiée, on observe surtout les habitudes culturelles des joueurs qui prennent le relais. Ainsi dans un groupe donné qui a l’habitude de jouer ensemble, il y a en général un mode de jeu privilégié implicite qui s’est mis en place et qu’il est difficile de faire bouger, d’où l’intérêt de brasser les groupes de joueurs lorsque l’on souhaite leur proposer des façons de jouer qui les sortent de leur zone de confort. Et même dans le cas d’un brassage, si la proposition créative privilégiée n’est pas définie (que ce soit en termes explicites du GNS ou non), on verra souvent un ou quelques joueurs plus charismatiques qui donneront une impulsion dans un mode de jeu auxquels les autres joueurs finiront par s’aligner, afin de limiter les dissonances. Nous avons une sorte de « facilité naturelle » à nous adapter à différents modes de jeu pour améliorer notre expérience, ce qui pourrait laisser penser qu’il n’est pas très important de définir la proposition créative d’un jeu en amont. Outre le fait que des dissonances peuvent malgré tout perdurer, j’ajouterais que le vrai problème est que dans un groupe donné, les modes de jeu possibles sont alors fortement limités. Il me paraît plus intéressant, du point de vue de la diversité des jeux proposés, de pouvoir s’inscrire à un jeu en sachant ce que l’on pourra y jouer, plutôt que de subir un effet de groupe que l’on n’aura pas vraiment choisi.

Je souhaite enfin signaler que malheureusement les notes d’intention, même les plus explicites, ne suffisent pas toujours, car les habitudes de jeu fortement ancrées sont parfois difficiles à dépasser. Au final ce sont les participants au moment du jeu qui prendront des décisions selon une proposition créative, même s’il ne s’agissait pas de la volonté initiale de l’auteur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle en plus de la note d’intention, il est important que les règles ou méta-techniques favorisent également la proposition créative souhaitée (pour plus d’informations à ce sujet, lire cet article d’Hélène Henry).

La théorie GNS c’est dépassé ?

La théorie GNS est à mon avis plus complexe que ce qu’elle paraît de prime abord, ce qui explique les innombrables articles qui tentent de la vulgariser ou de la réexpliquer, comme celui que vous êtes en train de lire aujourd’hui. Il s’agit d’ailleurs d’une critique qu’on a pu lui faire par le passé, indiquant que si les gens n’étaient pas capables de se mettre d’accord dessus, c’est qu’elle manquait d’utilité pour parler efficacement de nos pratiques de jeux et qu’il fallait l’abandonner.

Pour ma part je pense que comme toute théorie prétendant décrire une partie de la réalité, il est difficile de la laisser de côté tant que l’on ne parviendra pas à en trouver une nouvelle qui décrit mieux cette même réalité. Il me semble qu’à l’heure actuelle plusieurs théories sont venues effectivement la compléter, mais sans remettre en cause ses fondations. Or les articles qui enterrent la théorie GNS se contentent de nier ses principes sans proposer de théorie neuve pour la remplacer, ce qui ne saurait être suffisant[4].

Par ailleurs on oublie souvent lorsque l’on parle de théorie GNS qu’il s’agit d’un modèle qui s’est étoffé ensuite au sein de ce que l’on appelle le « Big Model » et qui intègre les propositions créatives au sein d’un schéma plus large. Lorsque j’ai cherché à comprendre le GNS, la lecture des articles de Ron Edwards parus en 2003[5] et qui sont un pas supplémentaire vers le Big Model m’a été nécessaire, et on voit le chemin qui a été fait depuis l’article précurseur de 1999, System Does Matter. Ce modèle a donc évolué entre 1999 et 2003, justement pour prendre en compte les critiques qui avaient été faites dès l’origine et mieux expliquer les implications de ce qu’il propose.

Pour autant même si cet article contribue à parler d’une théorie qui a plus de quinze ans et si je reste convaincu qu’elle nous permet de parler de jeux tout à fait actuels, il me semble important de garder à l’esprit que ce modèle n’a pas vocation à décrire la totalité de ce qui compose un jeu. De même que les rôlistes des années 90 ont eu besoin d’établir les bases de cette théorie pour pouvoir nommer et inventer de nouveaux types de jeux, j’espère que les rôlistes d’aujourd’hui et demain continueront d’élaborer de nouvelles théories afin de nommer et dépasser les aspects de notre pratique qui nous semblent évidents et qui ne sont que des conventions culturelles.

[1] Dans la suite de cet article j’emploierai indifféremment les termes de « mode de jeu », « modalité de jeu » ou encore « proposition créative »

[2] Story Now requires that at least one engaging issue or problematic feature of human existence be addressed in the process of role-playing. http://www.indie-rpgs.com/_articles/narr_essay.html

[3] Pour ce passage, je me suis permis de modifier la traduction proposée par ptgptb (http://ptgptb.fr/le-lns-chapitre-2) qui ne me paraissait pas bien rendre compte de ce qui était dit dans l’article original.

[4] Cet article de Vincent Baker paru en 2015 me semble assez symptomatique de ce phénomène : http://story-games.com/forums/discussion/20273/the-big-model-rip?fref=gc

[5] Simulationism: The Right to Dream, Gamism: Step On Up, Narrativism: Story Now

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GNiste depuis le début des années 2000, cofondateur de l'association eXpérience, Vincent est présent sur Electro-GN depuis son lancement en 2011. Après une trentaine d'articles, il se consacre désormais davantage à la gestion quotidienne du site et à la planification des nouveaux articles. Convaincu qu'il y a encore énormément à découvrir sur le GN et ce qu'il permet, il espère que de nombreux GNistes continueront d'écrire et de partager leurs réflexions sur Electro-GN ou ailleurs.

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5 réactions à En finir avec le GNS ?

  1. C’est quoi « GNS » ?

  2. Bonjour,
    pour les bases de la théorie je te conseille la lecture de cet article : https://www.electro-gn.com/317-latheoriegns

  3. J’ai tendance à préférer le LNS, plus francophile.

    Bon je vais pas refaire le débat du forum.

    Mais en deux idées principales :

    – LNS sont trois des plus importantes qualifications de choix de jeu, mais il y en a un tas d’autre ; on va dire que ce sont les plus “nobles” et positives.
    En effet on peut trouver l’Humorisme (certains vont privilégier des situations qui le mettent en porte à faux, en décalage pour créer des scènes hilarantes sans sortir du jeu), l’Egocentrisme (le joueur va privilégier ce qui le met en relief, cela peut être une scène où il va avoir l’ascendant, où il va se sacrifier héroïquement, jouer un rôle play très haut en couleur, bref tout ce qui va faire de lui ce qu’il croit être un “bon joueur”…), le Jenfoutisme (le joueur va réagir par rapport à ce qu’il est dans la réalité, faisant fi de la personnalité de son personnage ou d’un quelconque intérêt scénique), le Collaborationnisme (le joueur zélé qui se met parfois malgré lui à la place de l’orga et qui va orienter et construire ses choix dans l’intérêt de tous; dans ce but il peut mettre de côté des scènes fortes ou des orientations dictées par son personnage), l’Extrémisme (même si vous lui donnez un rôle d’ange il parviendra à tourner les choses de telle sorte à baiser la gueule de tout le monde. Il y a également celui qui va, au contraire, toujours faire les choix les plus humanistes et moralistes), le Masochisme (l’anti gamiste qui fera toujours les choix les plus fun, visant à le mettre en difficulté ou en situation visant à le ridiculiser), le Narcissisme (le joueur qui repère les photographes plus ou moins bien dissimulés et qui fera toujours les choix qui provoqueront les plus belles photos ! si si, ça existe !) et il y en a d’autres, les lister tous est impossible ; chacune étant enchevêtrées plus ou moins entre elles.

    – On en revient à l’exclusivité. Non seulement je crois qu’elle n’a pas lieu dans un GN mais également dans une décision. Plusieurs facteurs peuvent se combiner sans pour autant que l’un ressorte plus que les autres. Il est impossible de prendre une décision de jeu 100% narrativiste, ludique ou autre. L’esprit humain est d’une complexité insondable et il est bien imprudent d’estampiller ces mécanismes en les isolant : la porosité de l’esprit est permanente.

    Quoiqu’il en soit cette théorie GNS (ou LNS) est intéressante et a le mérite de faire naître une réflexion partagée. Après, communiquer dessus est casse gueule car les définitions de ces concepts sont très variables dans l’esprit des GNistes. Et même si une note d’intention est toujours imparfaite, rien de tel que d’écrire le plus simplement possible les attentes d’un orga sur un jeu.

  4. En ce qui concerne le premier point que tu défends, il me semble que les différents termes proposés sont de l’ordre de l’attente ou du comportement de joueur, et ne se placent pas en termes de propositions créatives. Il me paraît donc déplacé de les opposer au GNS, puisqu’ils ne traitent pas de la même chose. Et tu fais bien de dire qu’on ne peut pas tous les lister, c’est exactement la raison pour laquelle j’insiste toujours sur le fait que voir la théorie GNS comme une théorie des attentes et un non-sens.

    En ce qui concerne le second point, je pense qu’il y a une incompréhension sur le terme d’exclusivité. Ce qui est exclusif c’est le fait de donner une priorité créative. C’est-à-dire qu’on ne peut pas donner deux priorités à la fois. Donner une priorité à une proposition créative n’implique pas d’ignorer complètement les autres aspects du jeu.

  5. Sans vouloir ouvrir un débat sans fin et monopoliser l’espace, je tiens à essayer de répondre à tes arguments.

    Pour le premier point, je vois une dimension créative dans chacun des exemples. Si on prend le Collaborationnisme nous avons un joueur qui va créer en fonction de ce qu’il croit être l’attente des orgas et opter pour des décisions allant en ce sens. C’est une proposition créative comme une autre après tout. Je ne vois pas ce qui le différencie d’une dimension ludique, réaliste ou narrative. Pour le reste, je suis d’accord avec toi.

    Sur le second point, je t’assure avoir bien saisi l’exclusivité : la priorisation d’un axe sur les autres au moment d’un choix. L’esprit humain n’est pas analogique et ne suit pas un raisonnement de manière linéaire. Les derniers travaux en neurologie mettent en évidence le caractère quantique de la pensée humaine avec ce que l’on nomme “superposition d’état” (la fameuse théorie du chat à la fois vivant ET mort). Je crois que ces superpositions mènent à des décisions faisant une synthèse d’un ensemble de pensées parallèle sans pour autant prioriser un axe de pensée (je sais mon propos devient confus et m’en excuse… mais pas facile de synthétiser de tels concepts).

    Quoiqu’il en soit, merci pour ton article enrichissant.

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