Approches du GN historique français – 1ère partie

Publié le lundi 19 janvier 2015 dans Articles

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Approches du GN historique français 

Première partie : les fondements du genre

Avant-propos : cet article est la transcription d’une présentation intitulée « History in French LARP », faite à l’occasion des GNiales 2014, essentiellement à destination du public étranger. Son objectif était de montrer quelques éléments propres à la culture du jeu française, autour du GN historique. Ce contexte expliquera certains choix de présentation (la typologie par l’approche GNS en particulier) et la présence d’anglicismes que j’essaierai de traduire au mieux.

 

Extraits de la présentation aux Gniales – History in french LARP

 

Introduction

Le paysage GNistique français propose régulièrement des scénarios qualifiés d’historiques ou de « para-historiques », qui suscitent un intérêt certain.

Une première définition s’impose. On distingue en général dans la mise en scène de l’histoire trois catégories[1] :
– la reconstitution historique, très précise sur le plan des costumes ou de l’environnement, mais dépourvue d’approche par le personnage (les participants viennent en tant qu’eux-mêmes)
– le GN historiquement réaliste, apportant un soin minutieux à la reconstitution. Ils imposent cependant que les participants soient des spécialistes de la période, puisqu’il leur est demandé une grande minutie dans la reconstitution. C’est en général une affaire de passionnés et d’érudits dans un domaine précis (comme la culture viking par exemple)
– le GN d’inspiration historique, plus souple sur la reconstitution et le réalisme et utilisant d’abord l’histoire comme prétexte ou toile de fond.

C’est évidemment uniquement de la troisième catégorie qu’il sera question ici.

Dans la culture française, le GN d’inspiration historique est donc en général défini par les caractéristiques suivantes :

– un jeu dont le contexte historique sera un élément essentiel de l’immersion et/ou de la dramaturgie, pouvant aller du réaliste au fantastique et uchronique, et avec toujours une certaine liberté d’approche
– un jeu de format court, de 14 à 36 heures en général, pouvant compter de 20 à une centaine de joueurs, rarement davantage
– des personnages essentiellement écrits par les organisateurs, les rôles de domestiques étant tenus par des PNJ

Le propos de cet article sera de faire un point sur les approches et spécificités du GN historique dans la culture de jeu française.

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À la recherche de l’immersion

De prime abord, le GN historique propose d’abord une approche immersive, que l’on peut trouver aussi bien aux fondements de sa construction que dans l’intérêt qu’il suscite. L’immersionnisme dans le GN étant un sujet longuement  débattu[2] et qui est encore loin de faire consensus, nous nous en tiendrons à quelques fondamentaux. Le GN historique favorise une représentation réaliste (plutôt qu’abstraite) et une scénographie à 360° (plutôt que minimaliste) comme moyens d’atteindre l’immersion. L’approche historique permet une plongée dans une période ou une société donnée, et le processus d’appropriation de ses codes fait une partie de l’intérêt du genre. On pensera à l’importance des costumes, aux sites de jeux, parfois grandioses, mais aussi à l’appropriation culturelle par la musique, la danse, la mise en scène des loisirs, les repas et l’étiquette à table. De nombreux jeux touchent ainsi leur public par cette capacité à associer enrichissement culturel et escapisme, et attirent par leur capacité à faire découvrir l’Histoire par le jeu.

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Crédit photo : Joram Epis

Cet aspect peut permettre, par exemple, de comprendre ce qui a pu faire la popularité de très nombreux jeux situés à l’époque victorienne (comme l’emblématique Tempête dans une Tasse de Thé[3]). Dans un autre registre, le plus récent Les Feux de l’Agora[4], par un impressionnant travail de décor et d’accompagnement des joueurs, a proposé une appropriation culturelle très réussie sur une période peu exploitée auparavant et représentant un important challenge.

Il ne faut cependant pas en conclure que le GN historique ne serait qu’une forme de reconstitution « allégée » à laquelle on adjoindrait des personnages. Nous pouvons également considérer que la très grande diversité du registre historique tient à une problématique de gameplay.

Approches du gameplay : le modèle GNS dans le registre historique

Bien que la culture du GN française compte de nombreux jeux qualifiés d’ « historique », ce vocable ne constitue en effet pas un genre en soi si l’on considère la multiplicité des approches possibles dans ce registre. Afin d’illustrer cette diversité, il est possible de faire une typologie suivant le Three Way model  ou modèle GNS[5].

Image3 - Occitanie

Crédit photo : François Luc

                  – L’approche gamiste dans le jeu diplomatique : les jeux proposant une approche en délégations diplomatiques appartiennent à ce premier registre. Ils proposent généralement des enjeux de négociation ou de conquête de pouvoir, parfois doublés d’interactions personnelles et familiales poussées. Les approches gamistes purement historiques sont rares (on pourra néanmoins citer le jeu Occitanie[6], situé en 1400), laissant plus souvent place à des univers de fantasy[7]

                  – L’approche simulationniste et l’influence du drame historique : la plupart des jeux historiques dans la dernière décennie apparaissent fondamentalement simulationnistes. Sans se revendiquer ouvertement comme tels, ils s’inscrivent d’abord dans le souci de la cohérence du monde et de l’équilibre des personnages qu’ils mettent en place. Le déroulement de l’histoire procède de la liberté des joueurs à interpréter les choix et l’évolution de leur personnage, sous réserve que celle-ci soit cohérente avec leur psychologie, leur backstory et l’influence des autres personnages au cours du déroulement du jeu. Du fait d’une importante influence du drame historique et, souvent, de la littérature, de nombreux jeux axent leur cohérence autour du développement de l’arc narratif du personnage, au point qu’on a pu les qualifier de dramatistes. L’appellation de GN romanesque, pour finir, semble procéder de la même logique, même si cette notion est encore largement débattue.

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Crédit photo : Marc Arnaudy

Denses, prenant, proposant des univers riches, des personnages complexes et des jeux souvent riches en émotions, ce type de jeu a contribué a alimenter l’intérêt pour le GN historique et a gagné un public restreint, mais souvent passionné. Les exemples seraient trop nombreux, mais on pourra citer l’intéressant La Malbête[8], portant sur l’épisode de la Bête du Gévaudan, dans un contexte permettant de toucher à l’historique comme à la fiction et au fantastique, tout en réussissant à établir un équilibre efficace entre les trois.

                  – l’approche narrativiste : les jeux narrativistes au sens strict du terme apparaissent plus rares, dans la mesure où ils pourraient presque demander une plus grande prise de distance avec la cadre historique afin de favoriser la construction narrative. Carmen Chabardès[9], par exemple, s’articule autour d’une histoire de famille et du thème du deuil dans la petite bourgeoisie du début du XXe siècle. Le contexte historique ici n’a surtout d’intérêt que pour les questions liées à la place de la femme dans cette société, et non aux évènements historiques eux-mêmes.

Ce bref panorama permet donc d’observer que le GN historique a pris une diversité importante de thématiques et de formes. Au-delà des controverses liées à l’adhésion, ou non, au modèle GNS, il importe de simplement souligner que l’élaboration d’un GN historique ne se limite pas aux seules questions d’immersion visuelle et d’emprunt à la reconstitution historique. Les apports du genre historique sont donc importants, et les possibilités d’évolution encore vastes.

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Crédit photo : Lucie Choupaut

Ceci conclut la première partie de cet article. Une deuxième partie se proposera de revenir sur les codes inhérents au genre historique, l’élaboration des personnages et certaines de ses perspectives d’évolution.

 


[1] Xenia Salomonsen, the use of history in larp, in As Larp grows up, Knudepunkt 2003

[3] Association Les Amis de Miss Rachel, première édition 2004

[4] A-Team, association Wargs, première édition 2013

[5] Plus de lecture ici : http://www.electro-gn.com/317-latheoriegns. Je rappelle ici que, au-delà des âpres débats que la théorie peut susciter, il m’apparut pertinent d’utiliser ce modèle pour rendre cette typologie plus lisible à un public international, intention qui fut alors largement comprise dans ce sens

[6] Association Aquilon, 2011

[7] Il est néanmoins intéressant de noter à cet égard le nombre importants de GN inspirés de Game of Thrones, série empruntant elle-même largement à l’Histoire, la Guerre des deux Roses par exemple

[8] Association Dedales, 2012

[9] Association Experience, 2013

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Muriel A.

Ayant débuté le GN au début du millénaire, je suis organisatrice depuis plus de 10 ans, dans des jeux d'inspirations historique, expérimentaux, ou encore éducatifs. Passionnée par les théories sur le GN, j'aime analyser le design des jeux ou leurs mécaniques afin d'essayer d'en tirer des enseignements profitables.

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5 réactions à Approches du GN historique français – 1ère partie

  1. Rah ! J’aurais jamais penser que je serais un jour sur Electro Gn ! Et en plus raconté par notre Mumu nationale ( mumu tu es la plus belle :p ), et en plus en english ! wouha… finalement, le med bour a de l’avenir ! Je vous le dis mon bon monsieur !

  2. Petite précision concernant la reconstitution historique : il n’y a pas “une reconstitution” mais “des reconstitutions”. Il y a des assos qui font des rôles pour les participants et qui sont très proches du GN. Se limiter à la description actuelle de l’article c’est un peu comme dire “alors le GN c’est des mecs qui se tapent dessus avec des épées dans les bois”. Certes, y en a, mais ce n’est pas tout le paysage GNistique pour autant…

  3. @Fanny : Y’a t’il une différence entre des reconstitutions où l’on joue un rôle et des GN historiquement réalistes, où les participants doivent être des spécialistes de la période (définition de Mu) ?
    => vraie question de béotien, je ne connais rien au monde la reconstiution.

    Pour ce qui est de l’article : on veut la suite ! Ne nous faites pas languir, on vit mal la frustration de ne pouvoir commenter un article en pleine connaissance de cause 🙂

  4. @Fanny : je reprends la typologie de Xenia Salomonsen qui me paraît pertinente, ne connaissant pas le monde de la reconstitution plus que cela. Elle distingue trois approches que l’on retrouve, à mon sens, dans les manifestations en costume en France
    a) reconstitution historique, précise mais sans personnages (participants viennent comme eux-même)
    b) GN historique réaliste : reconstitution précise incluant des personnages, mais souvent l’apanage de spécialistes de la période. Dans cette approche je considère que le personnage a davantage une fonction d’archétype, puisque c’est la reconstitution qui prime et non la narration
    c) GN d’inspiration historique, pouvant être très réaliste dans la reconstitution ou plus libre, mais plaçant le personnage et la narration, en termes de priorité, avant la reconstitution
    En France la catégorie b) est plus qualifiée de reconstitution, dans cette typologie elle est le GN d’abord historique et réaliste. Ce qui est intéressant à mon sens, raison pour laquelle je l’ai gardée classifiée comme GN.
    (et un point FédéGN à Pink qui a bien lu la terminologie, il s’agit bien dans mon approche du même type de manifestation)

  5. @Thepimousse : j’ai gardé de bons souvenirs de l’Occitanie qui avait à mon sens pour qualités d’être très clair dans son approche (gamiste car opposition diplomatique et jeu d’influence), et un rare exemple de jeu de ce type cherchant à bien s’approprier son background historique et à le rendre visible.

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