Critique – Mad About The Boy – Partie 2

Publié le jeudi 18 juillet 2013 dans Critiques de GN

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Mad about the boy est un jeu de rôle Grandeur Nature nordique dans lequel une catastrophe a rayé les hommes de la surface de la terre. les femmes survivent et un programme pilote va permettre à certaines d’entre elles d’obtenir l’autorisation de porter un enfant via le gouvernement qui controle les banques de sperme. Retrouvez la première partie de cet article ici.

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Nous allons dans cette deuxième partie attaquer la conception du jeu, les ateliers, et la question de la transparence en GN. Vous en saurez également plus sur le rôle d’Isak, homme survivant qui débarque au milieu des femmes au début de l’acte 2.

Les ateliers

Les ateliers préliminaires ont duré une petite douzaine d’heures. Une bonne partie d’entre eux étaient dédiés à la préparation des hommes jouant des rôles de femmes. Démarche, gestes, attitude, voix. Les autres étaient souvent destinés à bien appréhender le contexte du jeu : Un monde sans hommes.

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J’ai vraiment apprécié l’ensemble des exercices qui consistaient à partir de réflexions sur notre vie réelle pour apporter des choses au jeu. Je vous propose de prendre 5 minutes pour vous plier à l’exercice suivant, si vous n’êtes pas trop sensible :

“Faites un atelier depuis chez vous en lisant electro-gn”

Premièrement, pensez à un homme qui compte ou a compté énormément pour vous, dans votre vie. Il peut s’agir d’un parent, d’un amant, d’un ami (la suite de l’exercice est sans doute plus facile si vous êtes une femme).

Maintenant imaginez-vous une journée lambda. Prenez le temps de lire chaque phrase qui suit et d’y réfléchir calmement avant de lire la suivante. Vous êtes peut-être au travail, peut-être chez vous. Il y a un homme près de vous. Il peut s’agir d’un proche ou non. Soudain, il commence à tousser. Puis la quinte de toux se fait plus violente. Il semble surpris et regarde sa main, tachée de sang. Soudain il tousse de plus belle et cette fois, crache une grande quantité de sang. Il tombe au sol et les yeux grands ouverts, la main serrée sur son torse, il suffoque, se crispe et s’éteint en une minute d’agonie.

Que faites-vous ? Si vous quittez l’endroit où vous vous trouvez, c’est pour découvrir que ce spectacle a eu lieu partout, dans les autres pièces, dans les rues. Un gigantesque carambolage occupe les routes, partout des femmes appellent à l’aide, à qui pourra aider leur fils, leur mari, leur ami. Vous réalisez alors l’ampleur du désastre. Tous les hommes sont morts ? Quelques appels téléphoniques à vos proches vous confirmeront bientôt que oui.

Trois semaines plus tard, le chaos s’est installé. Nous sommes après l’apocalypse. Les corps jonchent les rues, les magasins sont pillés, les femmes se regroupent, préparent leur survie, s’attaquent, se défendent, cherchent à rejoindre leurs proches. Les communications marchent mal. Personne ne sait qui est aux commandes. Que faites-vous ? Où êtes-vous ?

Trois ans plus tard, un gouvernement existe. Les communications sont en partie rétablies, même si le pays a stoppé les vols internationaux et protège ses frontières. Une grande partie des femmes ont changé d’activité. Les étudiantes en médecine sont docteurs, d’anciennes ingénieures vivent loin de la ville pour assurer leur survie en cultivant leur terre. Mais la civilisation semble avoir repris l’avantage sur le chaos. Où êtes-vous ? Avec qui ? Qu’allez-vous faire maintenant ?

À la suite de cet exercice de projection, nous avons essayé de déterminer ce qui pouvait dans cette réflexion être utile à notre personnage. A-t-elle eu une expérience similaire du désastre ? Comment a-t-elle organisé sa vie ?

Vous pouvez respirer avant de continuer la lecture de cet article. L’atelier est terminé.

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D’autres ateliers ont également été vraiment utiles. Mais vous ne pourrez probablement pas les faire devant votre PC. L’un d’eux consistait à se braquer à tour de rôle avec des armes à feu, pour réapprendre à avoir peur des armes, ce qui est effectivement assez souvent banalisé en GN.

Plusieurs discussions ont également permis de mieux comprendre le contexte du monde. Par un jeu de questions/réponses avec les organisateurs, nous avons pu réfléchir tous ensemble à ce que serait un monde 3 ans après un tel événement. Les musulmanes porteraient-elle encore le voile ? Les bars lesbiens seraient-ils plus fréquentés ? Les armes à feu seraient-elles plus facile à trouver ? Quels produits seraient rares et cher ? Définitivement un exercice très efficace.

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Prendre le temps d’être ensemble

D’une manière générale, le fait de passer presque 4 jours sur place a vraiment rendu l’expérience très agréable. La pertinence des ateliers et des discussions fait beaucoup, certes, mais le simple fait d’avoir du temps avant et après le jeu pour parler avec les autres joueurs, se baigner nu dans un lac avec eux, boire dans un sauna, manger, fumer, s’improviser des ateliers entre nous et envisager le jeu à venir, fait que le pire GN du monde serait devenu une expérience positive.

Une amie me disait récemment avoir parfois la sensation de quitter des amis après une semaine de vacances lorsqu’elle terminait un GN. Je pense que nous avons tous déjà eu ce sentiment de vide. Lorsqu’on l’associe à un bon GN, et à un GN-blues de rigueur, on sait combien cela peut être douloureux.

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Je crois que le temps que nous avons eu ensemble après le jeu pour faire la fête, danser, et débriefer encore, a vraiment permis de partager ce blues et je regrette de ne pas avoir plus souvent le temps de me poser avec les autres joueurs immédiatement après le jeu. Nous avons cette culture en France du repas entre joueurs quelques semaines après un jeu, mais déjà la pommade vient se poser sur de vieilles cicatrices et l’émulation est parfois retombée.

Ce temps passé entre joueurs directement sur le site de jeu est vraiment un moment intense. C’est aussi ce moment qui est propice aux retours honnêtes et critiques sur la conception du jeu. Il est très difficile de dire à un organisateur que son jeu nous a déçu, que nous n’y avons pas trouvé notre compte. Et cette précaution étouffe bien souvent la critique qui permettrait aux auteurs de progresser. Libérer de l’espace de non-jeu pour mieux jouer me semble être une bonne piste. C’est ce qui fait que j’aime autant les GNiales, et autres conventions autour du GN.

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L’anticipation et la transparence en GN

Le GN Français est assez peu enclin à jouer la carte de la transparence. Dans Mad About the Boy, le curseur est placé à l’extrême, le jeu ne comporte aucun secret. Je ne suis pas un défenseur de cette façon de faire par rapport à une autre, mais j’aimerais qu’on se refuse moins souvent à utiliser la transparence. J’aimerais que l’idée reçue selon laquelle la transparence empêche l’immersion disparaisse. Et je sais que pour cela il n’y a pas d’autres moyens que de jouer et d’essayer des GN qui proposent un jeu sans secret. Mais je vais essayer de vous raconter ce qu’apportait cette volonté de transparence sur ce jeu en particulier.

Tout d’abord, l’intégralité des fiches est envoyée aux joueurs (joueuses, dans la plupart des cas). Tout le monde peut tout lire. Vous découvrez ensuite votre rôle et les rôles des autres femmes de votre “famille”. Ce sont celles avec qui vous avez décidé de postuler au programme, ce sont les femmes avec lesquelles vous avez décidé d’élever un enfant. Vous savez donc comment elles sont, quels sont leurs doutes et également quelle sera leur fonction dans l’histoire.

Mon sentiment est que tout savoir permet ici aux joueurs de penser eux-mêmes la dynamique du groupe. Qui sera générateur de conflit ? Comment réagirais-je en cas de dispute ? Qu’est-ce qui nous rapproche, qu’est-ce qui nous sépare ? Votre préférence pour créer ce genre de synergie en tant qu’auteur ira souvent, en France, à une backstory de 15 pages détaillant de nombreuses expériences communes. Je pense que ça marche. Il existe juste d’autres façons de faire qui, selon le contexte du jeu (ici de l’anticipation réaliste), pourront être aussi efficaces.

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Vous pouvez également lire l’intégralité des autres rôles et envisager à l’avance quel comportement vous adopterez avec telle ou telle femme. L’un des personnages était docteur tout comme le mien. Nous avons donc pu ensemble réfléchir rapidement à la façon dont nous allions essayer de ne pas nous contredire sur les avis médicaux.

Tous les joueurs savaient d’ailleurs que j’étais docteur et lorsque la présence d’un médecin a été requise, tous ont très vite pensé à moi et ont libéré de l’espace pour que je puisse prendre en charge le patient. Une discipline de jeu plus simple à avoir lorsque tout le monde est dans une optique narrativiste et que chacun a eu le temps d’anticiper son comportement face aux événements annoncés du jeu.

L’événement-clef du jeu est d’ailleurs connu de tous. L’acte deux débute avec l’arrivée d’Isak. Un homme, peut-être le seul, ayant survécu et ayant vécu caché durant 3 ans. Il vient d’échapper à un groupe de femmes qui le retenait prisonnier. Il a peur, il a froid, et il est profondément traumatisé.

Je trouve que cet exemple peut servir de cas d’école intéressant pour comparer ce qui se passe lorsqu’on décide d’utiliser la transparence ou le secret. On pourrait choisir de cacher cette information aux joueuses et d’utiliser l’arrivée d’Isak comme une surprise. On peut choisir d’annoncer dès le départ de quoi sera fait l’acte 2.

Je pense que ce point précis fera l’objet d’un article à part entière, mais je voudrais profiter de ce que vous connaissez désormais le contexte de ce jeu pour amorcer la réflexion.

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Si l’on décide de garder le secret :

Il semble évident que logistiquement, la mise en scène est plus complexe. Il faudra réunir les joueuses et travailler l’arrivée d’Isaac pour préserver la surprise jusqu’au bout. Le choc des joueuses sera plus grand. Le choc des personnages en revanche pourra passer après le choc des joueuses. C’est un risque, pas une obligation.

Ce sont d’abord les joueuses qui se poseront des questions sur ce qui se passe, puis les personnages. Les réactions ensuite seront probablement plus spontanées, moins réfléchies. L’absence d’anticipation diminue la capacité des joueurs à envisager un jeu narrativiste et à penser à l’intérêt de leurs actions pour l’histoire. On basculera donc dans un jeu simulationniste plus évident.

Ensuite, la mise en scène des minutes qui suivront la surprise demandera également plus de travail à l’organisateur. Les réactions spontanées engendrent plus de chaos et le risque de voir Isak submergé par l’ensemble des joueuses est grand. Ce qui est sans doute assez réaliste, mais difficile à lire lorsqu’on est joueur. Car 25 personnes se regroupant autour d’un même point d’intérêt génère plus facilement une cacophonie illisible, cela va de soi. Il faudra donc que l’organisateur anticipe et pense chacun de ses personnages pour que le jeu reste lisible, que chaque joueur puisse trouver comment se comporter à ce moment-là et trouve quoi faire durant l’acte deux.

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Si l’on décide de jouer la carte de la transparence :

L’anticipation dont je viens de parler devient un travail confié aux joueuses. Ce sont elles qui vont devoir garder en tête une optique narrativiste et penser à leur place dans l’histoire durant l’acte deux. L’arrivée d’Isak n’est plus une surprise, chacun sait qu’il va devoir composer avec cet événement par la suite.

L’arrivée d’un homme nu et effrayé reste un moment poignant. On peut plus immédiatement se concentrer sur ce que son personnage ressent à ce moment-là, sans passer par la case “surprise”. Mais on perdra une partie de la spontanéité.

Les réactions sont plus artificielles pour le joueur mais pas forcément moins immersives. Car les minutes qui suivent l’événement sont plus facilement lisibles, moins chaotiques, sans que les organisateurs aient besoin de travailler la mise en scène.

De plus, Isak est un joueur lui aussi. Il est donc intéressant de ménager son jeu. En étant moins sollicité, il aura plus d’espaces pour jouer. En définitive, pour lui comme pour les joueuses, chacun devra trouver son rôle dans l’histoire à venir, sans marcher sur les autres, en préservant le jeu de tous.

Le curseur de la transparence et du secret peut donc avoir des conséquences assez immédiates sur la responsabilité des joueurs ou de l’organisateur et sur la tendance du jeu (narrativiste ou simulationniste).

Une autre difficulté pour l’organisateur qui choisira le secret, est de bien penser que si les joueurs anticipent autre chose que ce qui va arriver, ils risqueront d’être déçus. Ce n’est pas une obligation, mais ce serait une erreur de ne pas prendre en compte cette déception potentielle. Un peu comme lorsque l’on imagine une fin pour un film ou une suite pour une série télévisée et qu’on découvre une surprise que l’on n’attendait pas et qui dénature nos repères.

Une difficulté supplémentaire liée à la transparence, c’est qu’on considère un peu vite que la mise en scène demandera moins d’effort si l’on ne préserve pas la surprise. Je crois qu’au contraire, il est souvent bon de compenser la perte du “choc de la découverte” par une mise en scène qui marquera les esprit et surprendra au maximum.

Cette parenthèse sur la transparence et le secret terminée, je voudrais revenir sur le jeu d’Isak, qui n’apparaît dans l’espace de jeu qu’à partir de l’acte deux. Que fait Isaac durant tout l’acte 1 ?

Vous découvrirez dans la troisième et dernière partie la réponse à cette question, ainsi que la description de l’utilisation des blackbox, les méthodes de débriefing et une surprise !

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Baptiste est Gniste depuis maintenant 15 ans, et a commencé par jouer des scénarios maison avec des amis sans vraiment avoir idée de ce qui se faisait autour. C'est plus tard qu'il a pu découvrir ce qui se faisait un peu partout dans le monde et continuer sans cesse de découvrir de nouveaux horizons. Il aime écrire des scénarios et vous pourrez en découvrir certains sur le site www.murder-party.org (Silence on meurt, Plan social). Persuadé que le GN est un art à part entière, Il a écrit un mémoire sur les jeux Grandeur Nature et veut promouvoir les partenariats inter-associatifs pour que notre loisir trouve un jour la place qu'il mérite. Il a l'honneur d'avoir été le Président de la glorieuse FédéGN.

5 réactions à Critique – Mad About The Boy – Partie 2

  1. Je suis bluffé! Le thème, parfaitement border et l’organisation narrative semblent parfaitement coordonnés. Les temps de préparation et d’extraction semblent bien plus qu’un bonus. Je pense définitivement qu’il faut oser proposer ça en France. A la fois pour la qualité qu’on y trouve/ qu’on y crée et aussi, plus politiquement, pour le développement et la reconnaissance de cette activité.

  2. La transparence permet aussi de reporter une partir de la création de personnage des organisateurs vers les joueurs. Les orgas déterminent les fondamentaux de chaque personnage, et les joueurs développent tout le reste.
    -> Inconvénient : pas de plaisir de lire une fiche comme un roman.
    -> Avantage : meilleure appropriation du personnage, et gain de temps considérable pour les orgas (le temps étant en général LA ressource critique pour eux).

  3. Autre chose: les photos de l’article font un bien fou. Le GN vu autrement.

  4. Bonjour,

    Très intéressé par les femmes authentiques et naturelles, je souhaiterais obtenir le numéro de téléphone ou le contact de la jeune femme brune, voilée, dont vous diffusez présentement la photo.

    Merci d’avance

  5. Le secret de l’arrivée de l’homme est un cas particulier dans ce gn, car c’est un secret de polichinelle. Vu que ça se base sur Y, les joueur se douterons bien qu’a un moment donné ils rencontrerons le dernier homme sur terre.(Voir également un singe male :p)

    Et il faut différencier les informations disponibles en jeu (les dossiers des candidates par exemple) et les informations externes, influençant donc le méta jeu.

    Je suis pas chaud de la méthode de la transparence (sauf si on ment aux joueurs en leur donnant une fausse trame ou en ommettant des infos gniark), car cela nullifie le plaisir de la découverte en jeu.
    Et on ne peut plus calquer sa propre surprise avec celle du personnage sans parler du fait qu’il faut faire un exercice mental pour savoir ce que l’on a appris en jeu et ce que l’on sait en dehors du jeu.

    J’avais une question qui me taraude : Comment à été gérer l’aspect scientifique du gendercide (ce qui était le gros point faible du comic mais bon le postulat est en lui même est tout à fait tgcm ^^)
    Est ce que la première chose qu’on faite les doctoresses, c’est de prélever un maximum de sperme pour des inséminations (ce qui est la chose la plus rationnelle à faire 😉 )

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