Les Rois du monde, Un GN scandaleux écrit en une journée

Publié le jeudi 5 avril 2012 dans Critiques de GN

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Les rois du monde
Ou les bienfaits de la civilisation
(Un GN scandaleux écrit en une journée)

Écrire un scénario de jeu de rôle Grandeur Nature est un travail de longue haleine. En conséquence, les organisateurs ont souvent la tête pleine d’idées qu’ils n’auront jamais le temps de concrétiser. De plus, nous sommes friands de connaître les méthodes d’écriture des autres, d’en discuter, de les tester. Il n’est pas rare de voir les discussions de joueurs dériver vers des questions farfelues : Que se passerait-il si on organisait un jeu où les personnages seraient des mollusques ? Que se passerait-il si on écrivait les personnages en écriture automatique ? Que se passerait-il si on écrivait un GN en une seule journée ?

Cette dernière question avait le mérite de pouvoir trouver une réponse rapidement. Nous avons donc discuté longuement de la façon dont nous voulions procéder et nous avons posé par écrit, les bases d’une méthode d’écriture et un thème. Puis, par un beau samedi de juillet, nous avons pris rendez-vous. En une journée nous avons produit un jeu extraterrestre appelé sobrement « Les rois du monde, ou les bienfaits de la civilisation (Un GN scandaleux écrit en une journée) ».

 

Une soirée jet-set qui tourne mal

Très rapidement, nous avons décidé de donner à ce jeu un caractère vraiment particulier et original pour combler un éventuel vide scénaristique. Nous n’aurions pas les moyens de préparer beaucoup d’événements et le jeu allait donc reposer sur les joueurs. Nous avons mélangé deux thèmes : une soirée jet-set qui tourne mal, un bon prétexte pour boire, manger, danser et s’amuser, et les rois blancs d’Afrique, pour pouvoir aborder des sujets dramatiques malgré tout.

La soirée jet-set était un bon moyen d’amener des événements très divers sans avoir à trop se poser de question. La drogue (factice), l’alcool (véritable) étant un bon moyen d’obtenir de la part des personnages des comportements excentriques. Les costumes très colorés permettant également de créer un décalage entre les situations les plus dramatiques et l’aspect visuel de la scène. Nous voulions permettre aux joueurs de ridiculiser leurs personnages et de les faire souffrir au maximum. Les personnages n’étant pas du tout sympathiques, nous espérions que les joueurs riraient d’eux-mêmes avec plaisir.

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Le Bugunda, province napoléonienne

Bien que le jeu parle très clairement des colonies francophones d’Afrique, nous n’avions absolument pas le temps de chercher des informations sur un véritable pays. Nous avons donc opté pour une colonie fantasmée, faite de clichés en tout genre.

Le Bugunda (prononcé Bougounda) est donc dirigé par le président Auguste Moubé, qui avec l’aide des ambassadeurs Napoléoniens, saigne le pays. Traite des noires, trafic de diamants, détournement de médicaments et d’aides humanitaires, ces rois blancs ne reculent devant rien pour l’argent. La plupart méprisent les habitants d’Africa, même s’ils ne les détestent pas toujours.

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Il existe dans Les Rois du monde, deux types de « nègres », comme on dit à l’ambassade. L’esclave, vaguement civilisé, serviable et souriant, même si on lui marche sur le visage, et le guerrier noir, celui qui, toujours souriant, vous découpe à la machette pour vous apprendre un peu la vie. Les ambassadeurs vont connaître les deux durant le jeu.

Nous espérions que ce monde plein d’injustice serait un bon moteur dramatique, permettant aux joueurs de vivre des intrigues émotionnellement riches, malgré leurs costumes bariolés.

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Comment écrire un GN …

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les personnages, tous blancs et influents dans le pays, ne méprisent pas que les noirs, ils se méprisent entre eux au dernier degré. Ils ne respectent rien et quand le climat va se gâter, ce sera chacun pour sa peau.

Nous voulions écrire un jeu plutôt classique dans sa construction. Ce qu’on appelle un « jeu libre » où les joueurs sont lâchés du début à la fin sur la base de leurs fiches de personnage. Nous aurions pu choisir bien d’autres méthodes, mais nous tenions à viser ce qui se fait le plus régulièrement en GN.

Nous avons utilisé la méthode suivante pour créer les personnages et leur histoire. Nous avons écrit toutes les idées que nous avions et si elles semblaient en accord avec la thématique à au moins 3 personnes sur 4, nous la gardions.

Chaque idée devait générer un problème pour un personnage. Un problème qu’il pourrait tenter de résoudre pendant le jeu. Nous avons évalué les moyens possibles pour résoudre le problème.

Ensuite seulement nous avons rassemblé ces idées par paquets pour construire des personnages. Le personnage 1 veut donc voler un diamant (idée numéro 1) pour faire accuser son concurrent (idée numéro 2). Lorsque nous avions dessiné ainsi les prémices d’histoires de chaque personnage, nous avons essayé de penser au meilleur personnage possible pour porter cette histoire. Ici, pourquoi pas un ancien colon aventurier d’Africa, bourrin et sans pitié, arrivé depuis peu à des responsabilités en tant que barbouze de l’ambassade.

La méthode a ses limites : elle propose aux joueurs des pistes susceptibles de leur donner des idées de choses à faire durant le jeu, avec très peu de garanties. Nous y reviendrons plus loin.

Les personnages (politiquement très incorrects) devaient être des caricatures de blancs colonialistes. De même que les serviteurs noirs seraient des caricatures façon Banania du début du XXème siècle. Nous avons rédigé les fiches chacun de notre côté, après la journée d’écriture, le plus rapidement possible pour éviter d’oublier le sens de nos notes, regroupées dans un tableau excel.

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…en une journée ?

Nous devions écrire l’ensemble de ce que j’appellerai les « squelettes » des fiches de personnage, nécessaires mais suffisants pour rédiger ce que nous allions remettre aux joueurs. Pour cela il nous fallait respecter un timing précis.

Nous avons pris une demi-heure pour définir la thématique du jeu. Nous sommes très vite tombés d’accord sur le titre du jeu, et notre objectif de satire. Les joueurs feraient souffrir leurs personnages et les autres au maximum en exacerbant leurs défauts.

Ensuite nous avons pris deux heures pour proposer des idées, les noter et les trier. Un brainstorming sans autre directive qu’essayer d’écouter les autres et de faire des compromis : Si on sent qu’une idée ne plaît pas, inutile d’insister pendant des heures pour la faire accepter.

Ensuite nous avons découpé les histoires ainsi générées en familles en une heure, puis nous avons commencé à envisager les personnages. Qui sont-ils ? Quel problème ont-ils ? Et surtout, comment vont-ils pouvoir essayer de le résoudre ?

En revanche, nous savions que, même si certains de leurs plans pouvaient fonctionner, les personnages finiraient mal. Leur refus d’évoluer les condamnant à ne pas connaître de dénouement heureux.

Ensuite, nous avons pris le temps qui restait pour rédiger ce qui était arrivé avant le début du jeu. Les noms, les dates, les lieux, tout a pris une forme définitive, tandis que de nouvelles idées germaient dans nos têtes. Toutefois nous avons dû nous résoudre à laisser tomber la plupart d’entre elles par manque de temps.

 

Le moment de gloire

En listant les moyens que chaque joueur avait à sa disposition, nous avons essayé d’imaginer certaines scènes que les joueurs pourraient entreprendre. Nous avons cherché ensuite à donner un maximum de garanties que la scène se déroulerait d’une façon ludique et prenante. Jack allait devoir s’opérer lui-même pour extirper un diamant de sa gencive. Marie-Eugénie allait devoir négocier avec des révolutionnaires détenant son mari et menaçant de le découper en morceau. La responsable de maladies sans frontières allait probablement devoir trouver un remède au virus qu’elle s’était inoculée par accident.

En une journée, nous n’avons pas pu prévoir plus d’un « moment de gloire » par personne et tous n’étaient pas aussi excitants que nous l’aurions voulu. Nous savions qu’il nous faudrait compter sur l’énergie et la capacité d’improvisation des joueurs au moment du jeu.

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Un langage châtié

Le langage tenu par les personnages était souvent très imagé, à la manière des dialogues d’Audiard. Les expressions ouvertement racistes étaient encouragées. Tous les joueurs avaient été prévenus qu’ils devaient se forcer à être puants avec les autres joueurs et les serviteurs, joués par les organisateurs.

Pour montrer le manque de considération des blancs, les serviteurs ne se présentaient jamais deux fois avec le même nom. Et oui, ils se ressemblent tous :

« Ha non, Tam-tam, c’est lui, moi c’est Fetnat, Missié. »

De même les fiches, pour donner le ton, étaient particulièrement fleuries :

« Y’a rien qui m’arrive à la chaussette. Malheureusement, aujourd’hui, je commence à devoir faire des trous supplémentaires à ma ceinture et je transpire un peu du front. Et financièrement, c’est pas ça non plus. Je suis doué pour dépenser mon argent et entre les chasses au Panou Panou et la pute au kilo, ce pays paradisiaque m’aura vraiment sucé dans tous les sens du terme. Tous les week-ends, je commande 130 kilos de viande de 20 ans chez un marchand de peau de mes amis. Y’a pas à tortiller du cul pour chier droit, ça vous conserve un homme de faire de l’exercice mais ça vous ruine un larfeuille. »

« Tiens j’ai heurté quelque chose…. Ça devait être moins solide que mon pare buffle. »

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Comprendre ce qui se passe dehors

Pour donner aux joueurs des informations sur le monde en dehors de l’ambassade, nous avions prévu une télévision Bugundaise. Un carton découpé derrière lequel deux organisateurs présentaient les informations. Ce moyen permettait aux joueurs de découvrir qu’un vent de révolte soufflait sur le pays et que leur position devenait de plus en plus intenable.

Tout en se tirant dans les pattes, chacun d’entre eux essayait d’obtenir le soutien des autres et de joindre le président Auguste Moubé pour en savoir plus. Certaines de leurs actions pouvaient influencer l’extérieur. En passant des coups de fil à leurs contacts (et donc en appelant un numéro permettant de joindre les organisateurs) les joueurs nous informaient de leurs plans et nous essayions d’influencer le cours des événements autant que possible.

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Les limites d’un jeu bâclé

Une ambiance de soirée qui part à la dérive, de vaste n’importe quoi, d’humour noir (désolé), agrémenté de règles simplistes (retranscrites intégralement ci-dessous) :

Pour la baston, vous faites semblant de vous faire des bourre-pifs en mimant les sons pour plus de réalisme.
Pour la baise c’est pareil.

Ces dernières encourageaient très largement les joueurs à se lâcher, à prendre des initiatives et à mettre autant d’énergie que possible pour transformer ce jeu écrit en une journée en un bon moment.

Mais si cette méthode et l’énergie déployée nous ont permis de faire un jeu dont l’image restera longtemps dans les mémoires des participants, les joueurs ont tout de même beaucoup pédalé dans la semoule. Les meilleurs moments sont souvent venus des initiatives des joueurs, motivées par un esprit général très positif et un enthousiasme global. On retiendra les deux personnages qui ont cherché à quitter le pays en se tartinant le visage de merde pour essayer de se faire passer pour des bugundais. Un plan qui échoua (curieusement).

Baptiste CAZES
Citations extraites des fiches de personnages

Les rois du monde, ou les bienfaits de la civilisation

Année de production : 2009
Organisateurs : Association eXpérience et plus particulièrement Baptiste Cazes, Vincent Choupaut, Her vé Du rand et Rémi San Miguel
Durée : 3 heures
Budget : 100 €
Participation demandée : 5 €
Nombre de joueurs : 8 par session
Nombres d’organisateurs et assistants : 6

 

(le format de cet article est particulier car il est calqué sur celui qui sera utilisé pour le beau livre du GN, auquel vous pouvez vous aussi participer en nous contactant)

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Baptiste est Gniste depuis maintenant 15 ans, et a commencé par jouer des scénarios maison avec des amis sans vraiment avoir idée de ce qui se faisait autour. C'est plus tard qu'il a pu découvrir ce qui se faisait un peu partout dans le monde et continuer sans cesse de découvrir de nouveaux horizons. Il aime écrire des scénarios et vous pourrez en découvrir certains sur le site www.murder-party.org (Silence on meurt, Plan social). Persuadé que le GN est un art à part entière, Il a écrit un mémoire sur les jeux Grandeur Nature et veut promouvoir les partenariats inter-associatifs pour que notre loisir trouve un jour la place qu'il mérite. Il a l'honneur d'avoir été le Président de la glorieuse FédéGN.

9 réactions à Les Rois du monde, Un GN scandaleux écrit en une journée

  1. Vous êtes de grands malades. <3

  2. Très intéressant. Je suis à fond pour ce genre de contrainte. On passe souvent des mois ou des années à monter des jeux alors qu’on peut monter des trucs super en peu de temps en gardant son énergie pour le jeu proprement dit. Bravo ! Et le maquillage rend très bien (en photo en tout cas !).

  3. Rien que pour la photo de groupe, vous avez raison de la faire. Je m’en remets pas!

  4. C’était un jeu plein de bonnes idées. Et je salue l’expérience, c’est ce genre de tentatives qui font avancer le schmilblick. Personnellement, la conclusion que j’en tire, c’est qu’il ne faut pas essayer, avec aussi peu de temps, de boucler des intrigues complexes, basées sur des secrets. Je pense plutôt qu’il faut tout parier sur des mises en conflit ou en situation directes, avec des résolutions claires.

  5. J’adore l’idée, et j’admire le politiquement incorrect àla fois du jeu lui-même, mais aussi de la démarche. Bravo pour cette expérience !

  6. J’adore la simplicité des régles ! Vive les régles simples !

  7. Baptistes, tu devrais avoir honte de diffuser de telles photos. Toi, moi et bien d’autres venons de perdre nos derniers espoirs d’être encore crédible en GN. C’est moche.

  8. Je suis un peu déçu, j’aurai imaginé qu’avec la contrainte initiale, ça aurait donné un jeu plus original dans son format ou ses mécaniques (par exemple sans fiche ou évènementiel car pas le temps de le faire). Finalement l’article parle beaucoup plus de la thématique qui, j’ai l’impression, a davantage été choisie à cause de votre humour plutôt quà cause des contraintes que vous vous étiez imposés. Ou alors vous avez choisi de miser sur une thématique particulière pour compenser le peu de temps de préparation?

  9. effectivement, l’idée était d’essayer d’écrire un format classique en peu de temps. Et l’ambiance devait un peu faire office de couche de peinture.

    Depuis, il y a eu d’autres jeuw écrits en une journée dans des formats vraiment différents. Et dans certains cas, une journée c’était bien assez.

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