Compte-rendu – Solmukohta 2016 – 2/3

Publié le jeudi 23 juin 2016 dans Articles

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Vous trouverez la première partie de cet article ici.

 

  • Historical Larps : Between Facts and Fantasy – T. Edland, M. Heimola, R. Hutchison, T. Lindahl,S. Sandquist

Cette conférence mettait en lumière la difficulté de faire du GN historique qui soit réellement proche des événements historiques. Les auteurs insistent ainsi sur le fait que certains (pour ne pas dire de nombreux) détails ne peuvent qu’être anachroniques (religion par cœur, hygiène, éclairage). Il faut alors faire des choix, se focaliser sur certains points (pour créer une immersion, un réalisme relatif basé sur des détails pour “faire vrai”, avec l’aide de la suspension temporaire d’incrédulité), même si cela fait diverger de la “vérité historique” (qui n’existe pas per se) ce qui permet en GN de jouer sur le pouvoir transformateur du souvenir. De même, la mémoire humaine affecte la perception et la construction de l’histoire, on le voit notamment par le traitement des sources écrites, donc peut-être que l’inquiétude de l’organisateur de GN historique devrait se déplacer de “être vrai” à “faire vrai” et créer une immersion non par les faits mais par les ressentis. Peu importe les sources, tout est sujet à interprétation et à des choix selon l’approche du GN envisagée.

Siri Sandquist développe deux exemples, à commencer par un GN Suffragett 1919, joué en 2014 (deux sessions) par une quarantaine de joueurs, qui ne comportant que des personnages féminins, donc certains joués par des hommes. La première session a eu lieu dans un musée de Stockholm (qui est parait-il une sorte de capsule temporelle) et l’autre dans un manoir en banlieue de Stockholm. La première édition du jeu a permis l’organisation de conférences dans le musée, autour du GN, sur la place des hommes et des femmes à l’époque et sur comment jouer une femme à une période historique précise ; des chercheurs ont ensuite participé au GN et des interviews de personnes ayant vécu le mouvement ont par ailleurs été réalisées. Il a fallu prendre des décisions sur les sujets politiques à débattre pendant le jeu. Par exemple, inclure ou non des sujets liés à la condition de la femme (comme la stérilisation de certains groupes sociaux) en plus du droit de vote (à éviter pour rester concentrées sur le sujet principal). Le fait de jouer dans un musée a en outre créé une dynamique de jeu intéressante pour (re)créer une ambiance : ne rien toucher et donc ne pas s’asseoir a augmenté le dynamisme et le déplacements des joueurs et donc le rythme du jeu.

Un autre exemple est celui du jeu Our responsability (Vår skyldighet, 2015), se déroulant pendant le congrès de Varberg pour la paix, juste avant la première guerre mondiale. Le jeu dure une journée et réunit 30-40 joueurs ; il a été réalisé en partenariat avec des associations et la municipalité de Varberg. Les personnages sont masculins et féminins et le choix du genre est laissé à l’appréciation du joueur. Ils sont construits à partir de personnes ayant réellement existées (et donc sur lesquelles des recherches ont été menées par les organisateurs, selon l’approche “real life people”) ; une des difficultés du jeu a entre autre été de concilier les “célébrités” historiques et les inconnus. Précédé d’ateliers de calibrage, le but du jeu était de préparer la conférence de 1915 et le protocole de la rencontre pour la paix en prévoyant notamment les différentes conséquences que cela aurait pour le monde.

Mikko Heimola présente un autre exemple, le jeu Robber-Hunt of John Parrot (association Greywolves) réunissant 40 joueurs, dans la forêt, près d’un lac (réserve naturelle), avec une cabane forestière et un village indien reconstruit : le jeu porte sur une colonie suédoise dans le Delaware en 1638-55, en réalité une tentative de former une compagnie commerciale pour l’empire suédois, qui sera un échec. Le jeu traite donc des rapports entre personnages suédois, finnois, iroquois et lenni-lenapes, avec une problématique des droits de colons sur la propriété terrienne, des tensions entre colons, la couronne et la compagnie commerciale. Le scénario développe par ailleurs tout un environnement onirique accessible pendant la nuit, présentant folklore et mythologies (avec tout le potentiel de quêtes ésotériques, voyages totémiques initiatiques, rêves éveillés, etc), convoquant les superstitions lenapes et iroquoises (têtes géantes, opossums). Le mélange des deux univers s’est révélé particulièrement intense à explorer pour les joueurs, entre autres parce que le site de jeu choisi était boisé, très dense et très vallonné (“a grueling trek to the heart of darkness”), ce qui s’est avéré très difficile pour les joueurs (crainte de se perdre). Se pose la question alors de la communication en amont du jeu mais aussi de comment (et pourquoi) “charger” les joueurs.

Un autre exemple de GN est donné : Between Us, un jeu pour 20 joueurs en deux actes (répartis sur deux jours), portant sur les début du mouvement LGBT en Norvège dans les années 1920, qui a eu lieu à Oslo dans la maison associative d’origine et qui a permis une grande fête non pas de fin, mais entre les actes (le but étant de créer un jeu intériorisé pendant les actes, sans délire déjanté : concept du “low key partying”). Ce jeu mettait en avant différents challenges, à commencer par le fait qu’il n’était pas possible de savoir comment ça s’était réellement passé, à cause d’un manque de sources directes. En outre, l’écriture des personnages allait délibérément vers un investissement émotionnel lourd avec des personnages difficiles et sombres : les joueurs avaient ainsi constamment conscience pendant le jeu que rien (pour les personnages) n’allait changer dans leur vie, dans leur société immédiatement, qu’il faudrait des années avant une quelconque amélioration de leur condition. Ce positionnement impliquait un accompagnement narratif de la progression du personnage au-delà du jeu (sur plusieurs décennies) pour montrer que la vie continue jusqu’à un réel changement juridique et social.

Trine Lise Lindahl parle ensuite d’un jeu situé en 1942, intitulé Someone to trust ? qui raconte le quotidien de pêcheurs avec leurs corvées domestiques, métiers, clubs sociaux et pratique religieuse, sous l’occupation allemande. L’auteure souligne que jusque dans les années 2000, le GN historique oblitérait les parties sombres de l’histoire, en se cantonnant à une approche strictement narrative ; ce n’est que récemment qu’on a vu émerger une volonté de traiter les côtés difficiles de l’histoire (et notamment de la seconde guerre mondiale) dans un but expérimental et compréhensif. Le jeu a donc été basé sur de nombreuses recherches : livres, documentaires, interviews, journaux, sites internet, archives, etc. mais aussi sur une zone géographique spécifique pour fusionner les histoires (perceptions) sur le village choisi pour le jeu. Ont alors été mis en place divers concepts :

  • light turborealism : tous les évènements sont réalistes (même si ce n’est pas réaliste qu’ils arrivent tous au même moment dans le même lieu).
  • but keep ur secrets : le jeu est de type “un jour de notre vie” donc il est important de ne pas faire sortir tous les secrets comme dans d’autres GNs. Il n’est pas si important de révéler des secrets pour des raisons de survie ou pour créer des tensions dramatiques.
  • focus sur  une illusion à 360°c : ce qui pose la question “où sont les limites ?”
  • des rôles genrés traditionnels (mais par contre plus de personnages allemands que ce ne devait être le cas).
  • merging stories into merging places : principe de convergence d’histoires (qui ont eu lieu à différents endroits à différents moments).

Ces principes posés induisent alors les interrogations suivantes :

  • Quelles sont les connaissances historiques dont les joueurs ont besoins ? Cela crée un challenge sur la quantité des informations à connaître sur la période (à différents niveaux : international, national et local).
  • Qu’est-ce qui change dans l’état d’esprit du joueur ? Les questions de genre, de lutte sociale soulevées au cours des recherches des organisateurs montrent que même si c’est proche dans le temps, il y a d’importantes différences par rapport à notre période. Par ailleurs, le choix du cadre, une société rurale donc, marque une importance de la religion et des morales villageoises, sans parler de l’incertitude sur quand la guerre finit, ce qui crée un contexte militaire et un impact psycho-culturel fort), mais aussi des discriminations (genres, classes, juifs, etc.)

Un tel travail de la part des organisateurs n’a pas été sans conséquences : d’après les retours, les joueurs ont estimé avoir participé à un des GN les plus réalistes qu’il leur ait été donné de jouer et les organisateurs ont pu accompagner les joueurs la plupart du temps comme prévu. Le seul bémol porte sans doute sur la retenue dont ont fait preuve les joueurs sur les extrêmes, ce qui pourrait se régler en attribuant à certains personnages des fonctions dramaturgiques clairement pré-établies.

  • Preparing non larpers for their 1st larp experience – Maury Brown & Ben Morrow

La question de l’intégration des débutants en GN a beaucoup été abordée dans le programme de cette année, notamment à travers le prisme du GN éducatif (le programme edularp a ainsi été décliné en plusieurs conférences pendant ces quatre jours).

La présentation a été très claire, en commençant sur les difficultés rencontrés par les primo-gnistes : le manque de connaissances, l’étiquette “newbies”, le coût pour s’équiper au démarrage, comprendre le type de GN qu’on veut faire, débuter seul…

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D’autres facteurs rentrent en ligne de compte comme le manque de confiance en soi ou encore l’appréhension du risque (crainte des conséquences ou des choix) surtout quand le jeu “change” de direction (“improvisational prompt”) ou que des mouvements de masse se créent : si je vois passer le bus, est ce que je peux/dois monter dedans ? Vais-je être ostracisé si je fais de “mauvais choix” ? (“Say the wrong thing syndroma”). Alors qu’avec l’expérience, vient (on peut en tout cas l’espérer) la notion de négociation / compromission inhérente à tout fonctionnement de groupe : suivant la familiarité à la pratique et à la communauté, on s’adapte.

D’après les auteurs, on voit donc tout un tas de biais venir censurer le joueur en devenir, avant même l’entrée en jeu  et avoir pour conséquences, au choix, un isolement volontaire, un ressenti négatif, voire un abandon de la pratique ludique avant même de l’avoir réellement investie / explorée. La stigmatisation d’être un “noob”, d’être “cette personne” dont on raconte l’anecdote moqueuse entre “initiés” pose la question d’une hiérarchisation au sein de la communauté avec en haut de celle-ci ceux qui enseignent ou méprisent les nouveaux. Le manque de connaissances est alors utilisé comme un levier du type “ça ne se fait pas”, ce qui infantilise le débutant en lui apprenant les codes par l’erreur culturelle, ce qui remet très certainement en question la motivation et la préparation du joueur débutant quant à intégrer un groupe qui peut être à la fois si inclusif et exclusif.

Le débutant peut alors se trouver bloqué (“choice paralysis”), dépassé par l’infinité de choix et le manque de clarté sur le sens et les conséquences d’un choix en GN. Est ce qu’il y a un bon choix et quels choix sont “corrects” ? Sans parler de l’ accumulation de conseils et de suggestions de joueurs plus chevronnés (“information overload”), sans doute bien intentionnés mais qui donnent trop à processer pour n’importe quelle personne normale, et qui par ailleurs poussent le débutant à choisir n’importe quoi de peur de “rater” (ce qui pose aussi la question d’un consentement éclairé).

Suite à ces constats, les auteurs proposent diverses approches qui pourraient mieux aider les nouveaux gnistes : leur proposer de participer à l’écriture de leur personnage, leur donner un cadre clair avec des choix précis, des contraintes et des défis ou encore la possibilité de se projeter (“iterated design : where will players take this – if / then”) et de questionner le positionnement en amont du jeu (“interaction design”). Les enjeux à prendre en compte portent aussi sur la mise en petits groupes/structures (pouvoir facilitant) ou encore sur les hiérarchies de pouvoir et la latitude d’actions (des personnages donnés à des débutants – à discuter en amont). D’une façon générale, il est plus facile de faire débuter des joueurs sur des jeux édités plusieurs fois, cela amoindrit l’importance dramatique de “faire rater le jeu” ; sans parler de donner la parole sur les attentes des nouveaux par rapport à celles des organisateurs et des autres joueurs.

Toute une partie de cette réflexion doit aussi porter sur la communication autour du jeu et de la communauté en laissant la possibilité d’avoir des modérateurs  / transmetteurs sur les réseaux sociaux (faciliter l’intégration avec pourquoi pas un tuteur – “character coaching”), des bases de données de terminologie ou même d’expériences (wiki commun), des tutoriaux vidéos : en gros, un guide du joueur qui faciliterait sa compréhension du jeu, de la philosophie de l’association et du fonctionnement communautaire sur un jeu en particulier. On pourrait avoir par exemple des fiches techniques synthétiques et valorisées (“quick rules”) et/ou des ateliers spécifiques pour les nouveaux joueurs (“mandatory, para-diegetic, lengthy and not rushed,directly designed to address deficits”).

Les auteurs donnent l’exemple du GN scolaire (de type Harry Potter) où les ateliers se font en jeu à travers l’orientation diégétique des étudiants (le contenu est donc en même temps diégétique et non diégétique), ce qui permet aussi une entrée en douceur dans le jeu. La transition dans le personnage s’opère en l’explorant avec les autres joueurs, ce qui permet d’apprendre et d’intégrer les règles mais aussi les attentes, de rencontrer les autres joueurs en construisant progressivement leurs personnages (double connaissance), d’apprendre la culture, trouver des accroches scénaristiques, nuancer le personnage, trouver des orientations de jeu dès le début afin de mieux s’y intégrer. Clairement identifier le temps/le lieu/la manière de contacter les organisateurs (PC orga ou point d’information) pour les débutants est primordial : poser des questions, trouver de l’aide pour développer son personnage, s’acclimater à la culture, prendre confiance sans jugement ni hâte. Enfin, un débriefing formalisé à la fin (qui peut aussi se faire en jeu, toujours dans l’exemple du GN scolaire avec les rencontres par maisons avec les préfets) permet un retour sur les attentes, les développements et les besoins a posteriori (“feedback mecanism”).

contact : www.learnlarp.com ; www.magischola.com ; www.magimundi.wiki

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Marianne

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3 réactions à Compte-rendu – Solmukohta 2016 – 2/3

  1. Toujours intéressant, merci 🙂

  2. En effet ! Merci pour ces compte-rendus.

  3. Merci pour ce compte rendu, c’est passionnant.

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