Compte-rendu – Solmukohta 2016 – 1/3

Publié le jeudi 16 juin 2016 dans Articles,Slide

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Cette année, je voulais faire un compte-rendu de mon Solmukohta (Knutepunkt) et j’ai donc pris des notes des ateliers et séminaires auxquels j’ai assistés : je vous les livre un peu en vrac, un peu mises en forme (et encore une fois ce que j’écris n’engage que moi, et si j’ai déformé / mal rapporté un propos, je prie à l’avance les auteurs de m’en excuser, surtout quand je dévie parfois sur des considérations plus personnelles au gré de ma réflexion).

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Cette année, nous avons eu la chance (?) de partir sur un bateau faisant la navette entre Helsinki et Stockholm : nous étions tous délirants d’enthousiasme de faire cette expérience surréaliste, vivre quatre jours dans un univers entre Floshston Paradise et Las Vegas Parano, entourés de gnistes barrés et géniaux mais aussi de touristes beaufs et alcoolisés mais pas méchants, ne pas descendre à Marienhamn.

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Dû au manque de place, le programme était nettement moins copieux que l’année précédente (j’ai été particulièrement tiraillée entre aller voir des trucs qui m’intéressaient en tant qu’organisatrice ou en tant que chercheuse), mais nous étions plus nombreux parmi les français et nous connaissions plus de monde, donc nous avons beaucoup fait la fête pour compenser et il y a eu des moments pleins d’émotions.

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Nous n’avons pas pu participer à A week in Finland mais vous pouvez trouver des vidéos des Nordic Larp Talks de cette année ici :

Le jeu d’ouverture était assez particulier : une sorte de bar de la dernière chance. Quand on a vu embarquer des caisses entières d’épées-boudins, on pensait qu’on aurait une sorte d’énorme zombie-larp dans les coursives du paquebot et même si c’était réchauffé, ça avait de la gueule (surtout quand on a reçu nos goodies bags avec un masque d’hôpital chacun).

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En réalité, il n’en a rien été. Nous nous sommes tous réunis dans le dancing-bar-casino (où se sont déroulés tous les grands évènements sociaux du SK 2016). On recevait au hasard un archétype de personnage (je crois me rappeler avoir tiré un truc du style “jeune femme dépressive avec un toc”, le truc qui met en joie) et un autre papier avec un avantage/inconvénient décrivant une action à faire (et qui là était commune à plusieurs personnages. Bref, c’était pas super clair mais le but était d’aller vers les autres et de faire connaissance dans un cadre bienveillant et drôle.

IMG_20160310_203001The hour of the rant … Avec des tampons, du pratchett et du part time gender et des fées.

Nous avons assisté ensuite à The Hour of the Rant où chacun pouvait prendre le micro 5 mn pour se plaindre, ce qui a donné lieu à des moments assez ironiques de (gentil) bashing entre nordiques où les différents types de GN se justifient les uns par rapport aux autres.

  • Chronological act structure in historical Larps – Mikko Heimola

Le premier atelier auquel j’ai assisté portait sur les changements de période dans la construction de GN historiques et comment apporter aux joueurs des connaissances et des comportements appropriés (faire une histoire des mentalités, en somme, sans calquer des fonctionnements contemporains sur des périodes passées, ce qu’on voit souvent resurgir en jeu, malgré des efforts – et des livrets de monde trop denses). Les propositions faites concernaient surtout les jeux construits en actes mais il semble tout à fait possible d’utiliser certaines idées pour des jeux à déroulement “plus classiques” en France. Mikko a ainsi donné comme exemple des interventions subtiles de la part des organisateurs comme changer un calendrier et des éléments de décor pour marquer le changement d’acte sans encombrer les joueurs de documents (ce qui pose la question de “fait-on une pause entre actes ou fait-on enchainer directement les joueurs”) ; des émissions radio pour fournir les nouvelles informations (date, évènements, etc.).

L’autre possibilité évoquée est une technique vue sur certains jeux en France : des feuilles de perso d’entre actes, non transparentes, données aux joueurs pour couvrir ce qui s’est passé pour leurs persos avant et entre les actes et ainsi “remplir les blancs”. Les joueurs doivent comprendre les changements dans leurs relations, leurs statuts et les évolutions des évènements historiques les affectant. Il peut y avoir, dans une visée plus fateplay du jeu des indications d’évolution plus fermée et dirigée, comme par exemple ”la résolution de ton personnage a lieu dans l’acte II” et le joueur se débrouille pour amener son personnage à son acmée au moment indiqué.

Le problème des jeux historiques touche souvent à leur linéarité : les noeuds d’intrigue sont placés dans le scénario, ce qui fait qu’il est impossible de revenir en arrière “pour rejouer ce qu’on a raté” ; il est aussi difficile pour les organisateurs de vérifier que tout se déroule comme prévu. Ces enjeux donnent lieu à des GN où l’implication émotionnelle se construit rapidement dans l’évolution du jeu et les confrontations dramatiques sont fréquentes. Il n’y a donc pas de techniques parfaites pour gérer la construction scénaristique, notamment en acte, des GN historiques vue la complexité du processus historique et social et la difficulté de l’adapter sur les différents formats de GN. Il serait sans doute intéressant de l’expérimenter sur de plus longues durées de jeux et sur des constructions moins “traditionnelles” comme par exemple en remontant le temps.

  • The Firstborn is Dead. Alternative use of gender roles for historical larps – Salme Vanhanen

Le but de cette conférence était de présenter une façon intrigante et intéressante de faire du GN historique alternatif où les clivages traditionnels sur le genre étaient remplacés par une hiérarchie sociale construite sur l’ordre de naissance : obtenir donc des sociétés neutres, où des tensions existent quand même et s’expriment différemment. Cela implique un grand travail en amont : changer le lexique du genre et du statut social, des relations familiales et sociales, des titres, etc. Les Premiers-Nés ont les droits dominants (équivalent à ceux des hommes dans notre société patriarcale) et les Seconds-Nés ont les devoirs dominés (équivalents à ceux des femmes dans notre société patriarcale) ; les adresses et pronoms se font au pluriel neutre – ce qui n’est pas problématique en anglais comme en français…- : HE/she → they. Le Changement n’est pas que terminologique, le Premier-Né, qu’il soit homme ou femme, est dominant ; les nombres impairs (dans l’ordre de naissance) sont dominants (firstborns), les nombres pairs sont dominés (secondborns). Il est possible de créer des groupes s’ostracisant pour augmenter les clivages : les deux groupes peuvent par exemple ne pas avoir le droit de se mélanger, certains peuvent être condamnés à ne pas se reproduire donc s’orienter vers des couples gays (déplacement de la contrainte sociale et des frustrations qu’elle engendre). L’auteure suggère de laisser le calibrage des détails à débattre par les joueurs en amont du jeu et indique que cela aide à créer des sociétés réalistes et non basées sur les mêmes clivages que la nôtre. Un déplacement s’opère alors entre une histoire alternative et une histoire transformative (dans une optique de GN comme support d’une réflexion socio-culturelle, ce qui n’est pas sans rappeler le théâtre de l’Opprimé).

  • Larping the History of Finland – Mikko Heimola

Ce qui m’intéressait dans cette conférence portait sur de potentiels parallèles entre le GN dit à la Française (historique, romanesque, à secrets, etc.) et la branche du GN nordique décrite par ses acteurs comme étant non transparente, plutôt reconstitution et dramatique. Et aussi, comment traiter l’histoire récente (et donc des sujets sensibles) en GN. Effectivement, cette rétrospective parle de jeux situés principalement entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, basés sur des sources historiques plutôt recherchées, avec un objectif fort de reconstitution socio-culturelle réaliste. Cette pratique cherche la confrontation avec des sujets politiques sensibles et une expérience éclairante de la vie au cours des périodes choisies.

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Comme en France, cette orientation de jeu touche une sous-communauté, réduite en nombre (et en places) mais relativement prolifique. Les jeux traitent des luttes de classe, de guerre civile, d’évènements sociaux marquants, souvent sur des communautés locales, des histoires du quotidien : la petite histoire pour aborder la grande histoire, avec parfois des éléments surnaturels / horrifiques (comme on en voit en France avec les classiques invocations cthulhuesques, cimetières indiens, séances de spiritisme, boucles temporelles, etc.)

quelques exemples cités :

  • la situation pré- et post-guerre d’une communauté rurale (Siikalahti et Siikalahti 1939)
  • l’occupation militaire, la montée des nationalismes et les enjeux ethniques inhérents (Vienna 1918)
  • le devenir d’une communauté rurale aux mains des Gardes Blancs
  • l’activité socialiste clandestine

Ces jeux permettent d’aborder des temps forts historiques qui résonnent encore dans le quotidien des joueurs (par exemple expérimenter la construction socio-politique pendant les deux grandes guerres fait ressentir d’autant plus fortement l’artificialité de la division européenne gauche/droite) mais aussi de questionner des épisodes historiques “embarrassants” complètement déformés par les livres d’histoire, notamment scolaire (un problème par ailleurs récemment abordé en France sur les réseaux sociaux).

Le jeu finnois typique est dit de type “immersif” (immersion larp) soit sans pause, il comporte entre 30 et 50 joueurs et dure environ 24h (ce qui est assez proche de notre schéma actuel). Ces jeux cherchent à explorer à la fois l’histoire “réelle” et la construction de l’imaginaire collectif à partir de la transmission des sources de cette histoire “réelle”. Les organisateurs ont à coeur de se documenter de manière très approfondie en proposant par exemple aux joueurs des documents fouillés historiquement pour chaque groupe communautaire (création de valeurs, mythologies, anecdotes, fonctionnements).

Par exemple, en 2002 a eu lieu Lauantaiseura, un jeu sur la création des mythes nationaux, racontant la société savante, artistique et éco-politique qui a élaboré la mythologie nationale finnoise dans les années 1830 (comment les russes ont censuré les journaux finnois qui répondaient en exprimant un sentiment national pour lutter contre l’oppression).

Les principes sont donc :

  • un focus sur des points précis et bien connus de l’histoire
  • un focus sur le pays et sa “mentalité”
  • une résonnance entre des idées/idéologies du passé et le récit contemporain de ce passé

En prenant du recul sur cette approche, l’auteur indique qu’utiliser des sources originales révèle souvent des thèmes dissonants et qu’il est difficile de garder ces joueurs dans une remise en question, de les empêcher de retomber dans des schémas de jeu familiers. Il ressort des différents exemples présentés qu’on ne peut pas écrire un jeu en se disant “je veux apprendre … à mes joueurs, je veux qu’ils réalisent / prennent conscience de…”

Mikko conseille donc de partir de situations connues des joueurs et d’y introduire des thèmes plus complexes, des nuances de réflexions plutôt que de chercher à révolutionner d’emblée les idées reçues sur notre histoire. Cela implique de se demander en tant qu’organisateur, comment créer cette transformation de point de vue en douceur : avec des ateliers avant ou après ? une préparation des joueurs en amont ? est-ce l’organisateur ou le joueur qui écrit le personnage ?

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Marianne

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3 réactions à Compte-rendu – Solmukohta 2016 – 1/3

  1. Merci Marianne pour ce retour !

  2. Oui, très intéressant, merci !

  3. Tout lu, j’attends le 3 avec impatience. Merci.

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